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SOSF | Rapport CNPT : témoignages de la violence

Flickr; Jeanne Menjoulet « Border »

La Commission nationale pour la prévention de la torture (CNPT) a pour mandat depuis 2012 d’accompagner les vols de renvois de personnes exilées. Dans son dernier rapport concernant la période d’avril à décembre 2021, l’observation prend en compte les tests COVID forcés effectués sur les personnes renvoyées. Le rapport formule de nombreuses recommandations, certaines récurrentes depuis plusieurs années, telles que de ne pas entraver des parents lorsque leurs enfants sont présents, de ne pas utiliser ces derniers comme interprètes, ne pas entraver des personnes de manière disproportionnée lorsqu’il n’y a pas de risques sécuritaires, etc. La CNPT déclare également être contre la pratique d’un test COVID sous la contrainte. Solidarité sans frontières (SOSF) réagit à un rapport qui « met en évidence deux problèmes : l’incroyable violence avec laquelle un régime d’expulsion toujours plus strict est imposé et le rôle de la CNPT comme miroir aux alouettes de l’État de droit. » L’association pose la question de l’impact de ces rapports qui décrit une violence extrême envers les personnes exilées.

Nous reproduisons ci-dessous l’article de Solidarité Sans Frontières (SOSF)  » Le rapport de la CNPT sur les expulsions: Témoignages de la violence » publié sur son site le 29 septembre 2022.
Le résumé du rapport est consultable sur le site du Secrétariat d’État aux migrations (SEM) ainsi que la Prise de position du comité d’experts Retour et exécution des renvois en application du droit des étrangers (avril décembre 2021) en réponses aux recommandations du rapport CNPT.

Le rapport de la CNPT sur les expulsions : Témoignages de la violence

Le « monitoring des renvois en application du droit des étrangers » de la Commission nationale de prévention de la torture montre en détail comment se déroulent les expulsions. Malgré des critiques manifestes, la question demeure : quel est l’impact de ce rapport ?

D’avril à décembre 2021, la CNPT[1]La Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) a pour base juridique internationale le Protocole facultatif des Nations Unies pour la prévention de la torture et est régie au niveau … Lire la suite a accompagné 33 renvois forcés par avion de niveau 4, qui sont résumés dans le nouveau rapport de la commission. Le niveau d’exécution 4 signifie que l’expulsion a lieu par vol spécial parce qu’il faut s’attendre à ce que la personne concernée se défende fortement. Au moins deux policier·es par personne accompagnent le vol et « les menottes, autres moyens d’entrave et la force physique » sont explicitement autorisés. Les expulsions accompagnées par la CNPT ont concerné 130 personnes, dont six familles avec 15 enfants.

Dans son rapport annuel, la commission parle d’un traitement globalement « professionnel » et « respectueux » de la part de la police. Ce jugement est toutefois accompagné d’un grand « mais ».

Dans trois des cas observés, des enfants ont assisté à l’application de mesures de contrainte à l’encontre de leurs parents, avant et pendant le vol. Dans une autre situation, un enfant a été contraint de traduire pour ses parents. En outre, une famille de quatre personnes a fait l’objet d’un important déploiement de police. Celle-ci a menotté une femme enceinte et a refusé d’enlever les entraves pour qu’elle allaite son bébé. La commission note également dans son rapport que des policiers cagoulés ont transporté une personne entièrement menottée dans un fourgon cellulaire à l’aéroport. Dans la moitié des cas, les observateur·ices ont noté un menottage partiel avant le vol. Même les personnes les plus coopératives ont régulièrement été partiellement attachées. Dans 15 cas, un menottage complet a été appliqué, et dans six de ces cas, un casque de protection a été utilisé. Egalement, dans son rapport, la CNPT s’oppose une nouvelle fois clairement à la pratique des tests de contrainte COVID.

Le langage technique du rapport, qui s’inspire du langage des autorités, ne permet que difficilement de se rendre compte de la violence qui accompagne ces expulsions. Attaches complètes ou partielles, utilisation de la force physique, casques, filets à crachats et tests forcés : le régime de rapatriement applique des mesures de contrainte sévères – comme le montre le rapport, souvent à l’encontre de parents en présence de leurs enfants. Et ce, après que les personnes concernées ont été enfermées pendant des jours, des semaines ou des mois, ou qu’elles aient eu peur d’être expulsées. Cette forme d’expulsion s’accompagne également d’un processus de déshumanisation : lorsque des individus, souvent des jeunes hommes, sont menés vers un avion, entièrement ligotés, par des policiers cagoulés, cela fait d’eux des personnes dangereuses. Et ce, alors que leur principal délit est l’absence de titre de séjour.

Aux yeux de Sosf, ce rapport met en évidence deux problèmes : l’incroyable violence avec laquelle un régime d’expulsion toujours plus strict est imposé et le rôle de la CNPT comme miroir aux alouettes de l’État de droit.

Au début du résumé des rapatriements observés, les autorités d’exécution sont « félicitées » pour leur comportement : on leur reconnaît en principe un « traitement professionnel et respectueux » des personnes à rapatrier. Mais ensuite, des critiques – à notre avis graves – sont émises sur le comportement du personnel d’exécution, c’est-à-dire les polices cantonales en charge et le personnel de sécurité des aéroports suisses de Zurich, Genève et Berne.

Il est également frappant de constater que la CNPT se répète dans ses critiques lorsqu’elle affirme dans son rapport avoir observé le même comportement des autorités dans des cas particuliers, comportements auparavant déjà existants. C’est grave, car dans certains cas, non seulement les prescriptions de l' »Ordonnance relative à l’usage de la contrainte et de mesures policières dans les domaines relevant de la compétence de la Confédération »  , mais aussi l’art. 27 de la « Loi fédérale sur l’usage de la contrainte et de mesures policières dans les domaines relevant de la compétence de la Confédération » ont été violés. Cela concerne en particulier les cas où les personnes concernées n’ont pas été informées à l’avance de leur expulsion de manière détaillée et dans une langue qu’elles comprennent, comme le prévoit la loi.

 Il y a également eu plusieurs cas d’usage inapproprié de la force par les autorités et/ou d’atteinte à la dignité des personnes concernées par des propos et des gestes dégradants. Dans de tels cas, il est toutefois moins évident que les dispositions légales relatives à l’usage de la contrainte aient été violées. Ceci parce que, d’une part, la loi et l’ordonnance autorisent un usage proportionné de la force – y compris à l’aide de la force physique ainsi que de moyens de contrainte tels que les menottes, les attaches-câbles, les ceintures Zerberus, le casque Sparring et le filet à crachats – et que, d’autre part, l’adéquation de l’usage de la force ne peut être évaluée qu’au cas par cas.

La commission émet des critiques, des pistes de réflexion et des recommandations à l’intention des autorités d’exécution. Celles-ci peuvent s’exprimer à ce sujet , mais ne sont pas légalement tenues de donner suite aux recommandations de la CNPT. C’est ce qui ressort des « pouvoirs » légaux de la CNPT cités plus haut. Cela soulève tout d’abord la question de savoir si la CNPT ne représente pas simplement un miroir aux alouettes pour l’État de droit. Il y a de nombreux arguments en faveur de cette hypothèse. On peut néanmoins supposer que les observations régulières de l’exercice de la contrainte par les autorités et la publication de rapports à ce sujet pourraient avoir un effet préventif. Mais cet effet est difficile à mesurer. Le public n’a guère prêté attention à ce rapport pourtant explosif : la banque de données des médias suisses ne contient qu’une poignée d’articles sur le rapport. Il est également difficile d’évaluer dans quelle mesure les enquêtes de la CNPT ont une influence directe sur les autorités.

On constate clairement que l’action de l’État en Suisse est de plus en plus souvent observée, commentée et critiquée par des commissions formellement « indépendantes ». La CNPT n’est pas la seule à être active dans le domaine de la politique migratoire : la Commission fédérale des migrations (CFM) et la Commission fédérale contre le racisme (CFR) le sont également. Toutes les activités de ces commissions ont en commun le fait qu’elles contribuent certes à l’information sur les violations des droits fondamentaux commises par les organes étatiques. Malheureusement, elles sont surtout thématisées par les ONG et la société civile, mais ne sont pas perçues comme il se doit par les médias ou la politique officielle et ne servent pas d’impulsion pour empêcher les violations des droits fondamentaux et pour développer la protection juridique.

(pf, ln)

Notes
Notes
1 La Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) a pour base juridique internationale le Protocole facultatif des Nations Unies pour la prévention de la torture et est régie au niveau national par la loi fédérale du 20 mars 2009 sur la Commission de prévention de la torture. Il s’agit d’une commission indépendante des autorités. Elle enquête et entre en dialogue avec différents acteurs, mais ne traite pas les plaintes de particuliers. Elle n’est pas un organe de médiation ou de plainte. Outre des visites régulières de prisons, de cliniques psychiatriques et de centres fédéraux d’asile, la CNPT accompagne depuis 2012 les renvois forcés d’étranger·es par voie aérienne et publie des rapports annuels à ce sujet, consultables sur son site Internet.