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Notre regard

Pakistan | 1,7 million d’Afghan·es expulsé·es dans le silence international

Elles menaçaient de le faire depuis de longs mois. Elles l’ont fait. Début novembre, les autorités pakistanaises ont commencé à expulser toutes les personnes étrangères en situation illégale sur leur territoire. Sont visé·es les Afghan·es, dont plus de 4 millions résident au Pakistan après avoir fui les violences endémiques qui ravagent leur pays depuis la fin des années 1970. La prise de pouvoir des talibans à Kaboul à la mi-août 2021 avait provoqué un nouvel exode, et près de 1,7 million d’entre eux et elles y vivraient sans permis de séjour, parfois depuis des décennies.

JÉRÔME FÉLIX

UNHCR / Oxygen Empire Media Production

Le 7 octobre dernier, le gouvernement pakistanais a lancé un ultimatum à toutes les personnes séjournant dans le pays sans statut, soit quasi exclusivement des Afghans·es. Celles-ci étaient tenues de quitter « volontairement » le Pakistan avant le 1er novembre sous peine d’être arrêtées et expulsées. Une étape de plus dans le harcèlement de cette population déjà vulnérable [1]Amnesty, Pakistan. Le gouvernement doit cesser de harceler et d’arrêter arbitrairement les Afghan·e·s en quête de refuge, 6 juin 2023. Quelque 175000 Afghan·es se sont ainsi résolu·es à tout abandonner et à prendre la route [2]Arabnews, Pakistan sets up 49 holding centers for undocumented migrants ahead of deportation, 1 novembre 2023. Pour les autres, la police pakistanaise n’a pas lésiné sur les moyens : destruction de maisons au bulldozer sans préavis, arrestations et rafles à grande échelle, internement dans quelques 49 « centres de dépor- tation » et finalement, expulsions forcées.

À la frontière afghane, c’est le chaos. Des dizaines de milliers d’Afghan·es arrachés à leur lieu de vie s’entassent dans le froid et le dénuement en attendant de pouvoir rentrer dans leur pays d’origine.

L’accueil risque d’y être brutal. Deux tiers de la population dépendent de l’aide humanitaire pour survivre, 95 % des gens ne mangent pas à leur faim et il y a pénurie d’à peu près tout [3]voir notamment OSAR, Afghanistan : derniers développements, 31 août 2023. Surtout, les talibans au pouvoir depuis août 2021 font régner la terreur. Les personnes n’appartenant pas à l’ethnie majoritaire pachtoune sont au mieux discriminées, sinon persécutées. Les voix critiques, même modérées, sont réduites au silence. Pire encore : qui n’est pas homme, de vive préférence barbu, est exclu de la société. Les femmes et les filles sont ainsi privées de tous droits et complètement mises à l’écart. Interdites notamment de scolarité ou de formation après l’âge de 12 ans, de toute activité professionnelle qualifiée, de tout accès aux lieux publics et plus généralement de toute sortie sans être accompagnées d’un homme de la famille et sans être couvertes de la tête aux pieds, visage compris. L’accès à la justice leur est également proscrit, au cas où il leur viendrait l’idée de se plaindre d’un mariage précoce ou forcé ou de violences domestiques, toutes pratiques en forte recrudescence depuis le retour des talibans [4]voir notamment rapport OSAR précité, Report of the Special Rapporteur on the situation of human rights in Afghanistan, Richard Bennett, 9 February 2023 et Amnesty … Lire la suite.

C’est donc dans cet enfer où tous leurs droits sont violés que le Pakistan est en train de renvoyer plus de 800 000 Afghanes. On en imagine une seule, sa vie ainsi détruite, et on multiplie par 800000. 800000 violations d’un principe fondamental, celui du non-refoulement d’un réfugié vers un État où sa vie ou sa liberté serait menacée. L’horreur au-delà de toute échelle.

De quoi faire bondir la communauté internationale ? N’exagérons rien. Le seul État à avoir vertement critiqué le Pakistan est… l’Afghanistan, peu enthousiaste à la perspective d’accueillir un million et demi de pauvres en plus. Pour le reste, on exprime sa préoccupation, on prie les autorités pakistanaises de respecter le droit international [5]voir The Times of India, Pakistan’s forced expulsion of Afghan refugees sparks global reactions, 3 novembre 2023. et on retourne aux priorités du moment, Proche-Orient, Ukraine. Certaines victimes émeuvent plus que d’autres.

Données socio-démographiques

Président · Arif Alvi

Premier ministre par intérim · Anwaar-ul-Haq Kakar (depuis août 23)

Capitale · Islamabad

Taille · 796 000 km2

Population · 248 millions d’habitant.es

Ethnies · Penjabis 44.7%, Pashtounes 15,4%, Sindhi 14,1%, Saraiki 8,4%, Muhajirs 7.6 %, Baloutches 3.6 %, autres 6.3 %

Religion · islam 96.5 % (sunnite 85-90 %, chiite 10-15 %), autres (y.c. chrétiens et hindous) 3.5 %

Réfugié.es · Le Pakistan figure depuis des dizaines d’années dans les premiers pays d’accueil de personnes réfugiées dans le monde. 1,7 millions de réfugié·es enregistré·es et plus de 2 millions de réfugiés non-enregistrés.

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