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Notre regard

Édito | Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde *

Sophie Malka

Certains propos peuvent anéantir des années de travail. Dans ce registre, le Conseiller fédéral Beat Jans a fait fort lors de sa première session parlementaire en tant que chef du Département fédéral de justice et police (DFJP). S’opposant à la motion visant à trouver un pays de transit pour y expulser les Érythréen·nes débouté·es, il a expliqué «que beaucoup d’Érythréens sont bien intégrés ou même nés en Suisse. ’Cela poserait des problèmes de renvoyer tous les admis provisoires dans un pays de transit.’»[1]Tdg, Le Parlement serre la vis aux Érythréens qui posent problème, 13.03.24[sic!]

Image: Chancellerie fédérale

Soit Beat Jans n’a pas compris QUI sont les personnes admises «provisoirement» et les raisons pour lesquelles elles restent en Suisse. Soit il s’inscrit dans le discours de l’UDC et d’autres élu·es de droite qui entretiennent la confusion sur ce statut.

Vu sa couleur politique, on penche pour la première option. Mais on reste pantois·es pour ne pas dire attéré·es. Deux mois et demi après avoir pris la barre de la migration et malgré 10 ans au Conseil national, où la thématique de l’asile n’a cessé d’être au cœur des débats, comment peut-il confondre débouté·es et admis·es provisoires?

PARENTHÈSE DIDACTIQUE: l’admission provisoire – ou permis F – est octroyée en cas d’illicéité, d’inexigibilité ou, plus rarement, d’impossibilité du renvoi. Procéder à une expulsion vers le pays d’origine violerait les obligations internationales de la Suisse, généralement parce qu’après examen de la demande d’asile, le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) a estimé que la vie de la personne pouvait être mise en danger ou était à risque de torture ou de traitement inhumain ou dégradant.

Il s’agit donc d’une protection internationale qui s’apparente plus ou moins à la protection subsidiaire octroyée dans l’Union européenne.

La plupart des «admis·es provisoires» vivent durablement en Suisse. Si ces personnes parviennent à trouver un travail stable, elles pourront obtenir un permis B au bout de quelques années, puis un permis C, avant de pouvoir espérer devenir suisses. Comme le rappelait Beat Jans dans son intervention, des enfants naissent avec ce permis F qui constitue pour eux un véritable frein, à commencer par la formation.

Depuis 2019, l’Agenda Intégration Suisse (AIS) tente de réparer les méfaits de ce statut si mal-nommé et si mal compris en investissant dans l’intégration sociale et professionnelle. Une solution bien plus efficace face au défi migratoire que toutes les restrictions prônées par la majorité politique. Selon la Confédération, un franc investi en rapporte quatre à la collectivité, en termes de réduction d’aide sociale et de recettes fiscales[2]Confédération, AIS. Rapport du groupe de coordination, 2018, p. 11.

Combien d’institutions et d’associations actives dans l’intégration s’échinent à expliquer combien ce permis F est gage de stabilité en cas d’embauche? Que le qualificatif «provisoire», rédhibitoire pour tout recruteur·euse est trompeur ?

Alors que même le SEM a opéré un changement en 2016 dans sa communication[3]Le SEM parle désormais d’un taux de protection reconnu par la Suisse, incluant les admissions provisoires aux statuts B réfugiés. Lire notre analyse statistique dans VE 196 / février 2024, les propos de Beat Jans risquent de nous ramener des années en arrière. Plutôt que chercher à flatter la ligne dure de l’échiquier politique avec des solutions à l’emporte-pièce –procédures en 24 h pour certaines nationalités, fermeture des centres fédéraux durant le week-end– sans doute aurait-il mieux fait de profiter de ses 100 jours d’entrée en fonction pour potasser son sujet.

Comme il n’est pas trop tard pour redresser la barre, Vivre Ensemble a décidé d’offrir à Beat Jans un abonnement à notre revue pour la durée de son mandat au DFJP ! **

*Albert Camus

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Notes
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1 Tdg, Le Parlement serre la vis aux Érythréens qui posent problème, 13.03.24
2 Confédération, AIS. Rapport du groupe de coordination, 2018, p. 11
3 Le SEM parle désormais d’un taux de protection reconnu par la Suisse, incluant les admissions provisoires aux statuts B réfugiés. Lire notre analyse statistique dans VE 196 / février 2024