Aller au contenu
Notre regard

Les mots des migrations. Qu’en pensent les jeunes?

Derrière des capsules vidéo, un processus collectif d’appropriation et de sensibilisation au traitement médiatique de l’asile

Du 23 au 27 octobre 2023, trois capsules vidéo estampillées Les Mots des migrations ont été publiées sur les réseaux sociaux. Trois jeunes de l’ECG Aimée-Stitelmann y questionnent le traitement médiatique de la migration, son omniprésence et le poids des mots utilisés. Obligatoirement courtes pour favoriser leur diffusion sur Instagram, ces séquences sont davantage des invitations, par des jeunes pour des jeunes, à ne pas prendre pour argent comptant ce qui circule sur les réseaux sociaux, à interroger les titres, les chiffres, le vocabulaire et à s’informer.

Ce projet est le résultat d’une collaboration entre Vivre Ensemble et le groupe La Voix de la Diversité (LVD) et s’inscrit dans une logique d’éducation aux médias [1]Soutenu par le Bureau de l’intégration des étrangers et de la citoyenneté du canton de Genève et la fondation Fondia. L’équipe de Vivre Ensemble a proposé une journée de formation aux jeunes de La Voix de la Diversité, puis un accompagnement leur permettant de mener un atelier au sein de deux classes de l’établissement genevois. LVD s’est réapproprié le matériau pour proposer des « réels » sur Instagram et Facebook au printemps 2023. Au-delà de ces rendus, c’est tout le processus interne qui a été pour les jeunes un enrichissement, comme nous le racontent Vjosa Gërvalla, journaliste à Albinfo et initiatrice de LVD et Dritë Asllani, coordinatrice de ce groupe.

Vjosa, tu as été derrière l’idée de cette collaboration pour parler du traitement médiatique de la migration. Quelle était pour toi la finalité du projet ?

Vjosa: Les mots sont bien plus que des outils linguistiques; ce sont des architectes de notre réalité, façonnant notre perception du monde. Les personnes issues de la migration, confrontées quotidiennement à une cascade de mots les définissant souvent de manière simpliste, positive ou négative, sont particulièrement sensibles à cette puissance. Pour moi, la finalité

du projet était de mettre en lumière la non-innocuité du vocabulaire et de souligner leur poids considérable dans notre société.

Il était crucial de rappeler que les mots peuvent être des leviers, tantôt positifs, tantôt négatifs. Apprendre à les questionner, à explorer leur contexte, leur sens, leur message devient ainsi vital pour chacun d’entre nous. La collaboration avec Vivre Ensemble a offert une magnifique opportunité au groupe de jeunes de travailler, réfléchir, et d’apprendre à communiquer leurs inquiétudes liées à ce chapitre. Bien plus qu’un simple exercice linguistique, c’était une exploration profonde de la façon dont la terminologie fabrique notre compréhension du monde et de nous-mêmes.

En quoi a-t-il été un succès ? Des regrets ?

Vjosa: La collaboration a permis aux jeunes d’exprimer et de cibler leurs sentiments face à certains articles de presse, de nommer des ressentis jusque-là difficiles à identifier. Le travail avec Vivre Ensemble a su accompagner le cheminement réflexif du groupe, allant au-delà du simple développement critique à la lecture des articles pour cultiver une sensibilité aux messages et aux intentions médiatiques.

Mon regret aujourd’hui est qu’un exercice aussi nuancé demande plus de temps pour assimiler les subtilités du langage et intégrer toute sa complexité. Malgré cela, le succès réside dans le chemin parcouru, dans la prise de conscience des jeunes face à la puissance des mots et leur impact sur la perception collective.

Dritë, tu es membre de la LVD depuis tes 15 ans. Tu t’es beaucoup investie dans ce projet: tu as mené, avec Arblinda, l’ate- lier en classe, puis la production de réels et de vidéos. Qu’est-ce qui te motivait dans cette thématique ?

Dritë: Mon implication est liée aux raisons de mon engagement au sein de La Voix de la Diversité. Comme tu l’as mentionné, j’ai rejoint le groupe très jeune, car j’avais envie de rencontrer d’autres jeunes issu·es de la diversité qui auraient, comme moi, le souhait que chacun·e se sente légitime d’exprimer sa voix au sein de la société. La dynamique du groupe nous a amené·es à partager nos histoires. En écoutant les récits de celles et de ceux qui sont arrivés de loin, j’ai été particulièrement touchée. Je suis moi-même arrivée en Suisse avec mes parents lorsque j’étais petite.

De par mon récit et les parcours de mes ami·es du groupe, la thématique des «mots des migrations» m’a d’emblée intéressée. J’ai souhaité m’y investir afin de lever les malentendus sur les personnes issues de la migration.

Pour moi, il est essentiel que les jeunes soient sensibilisés à l’influence des médias et puissent développer un esprit critique, car la migration fait partie des histoires de nombreuses personnes autour de nous. Nous croisons tous le chemin d’une personne migrante au cours de notre vie.

Comprendre l’impact des mots et leur(s) sens caché(s), développer un esprit critique, comprendre la migration et ses conséquences est l’objectif que je souhaitais atteindre avec ce projet qui représente un bout de moi, de mes ami·es, et de nos valeurs!

Qu’as-tu appris au travers de nos ateliers et de ce défi de le retransposer en classe ?

J’ai principalement retenu l’importance de questionner ce que nous lisons et entendons dans les médias, la presse, l’audiovisuel, etc., et de se renseigner sur les thématiques énoncées. Dans nos ateliers, il s’agissait de la thématique de la migration, puisqu’elle est le point commun entre notre groupe de La Voix de la Diversité et votre association Vivre Ensemble. Connaître un champ lexical lié à la migration, repérer les rhétoriques (invasion, criminalité, etc.), questionner les chiffres et utiliser les mots corrects ont été les étapes de notre cheminement réflexif pour atteindre une lecture critique de l’information liée à ce thème.

Comment te sentais-tu face à ces jeunes, qui n’ont qu’un à deux ans de moins que toi?

Transposer ces connaissances m’a beaucoup apporté en termes de compétences. Cela m’a surtout transmis le désir de poursuivre des projets qui font sens pour les jeunes et encouragent la diversité. Quant au fait de mener l’animation de l’atelier pour des jeunes de mon âge, cela a été une expérience intrigante et enrichissante. Mes doutes sur ma pertinence en tant qu’«animatrice» se sont rapidement estompés lorsque j’ai observé que les jeunes accordaient une attention particulière à la thématique et appréciaient notre dynamique de présentation.

J’ai pu échanger avec ces jeunes et ils m’ont partagé le fait qu’ils étaient sensibles aux mots utilisés pour qualifier les personnes issues de la migration; c’est donc un projet réussi pour nous, et aussi pour les jeunes, qui ont été contents et intéressés par notre passage!

Qu’as-tu envie de dire aux jeunes suite aux dernières votations fédérales ?

La politique a le pouvoir de mobiliser les jeunes comme de susciter un fort désintérêt. Je souhaiterais dire à celles et ceux qui se sentent parfois en marge de cette politique qu’il existe diverses manières de s’exprimer, de porter son opinion et de marquer sa légitimé au sein de notre société, que ces voix-là constituent également une part importante de notre démocratie.

Mon expérience au sein de La Voix de la Diversité a été un enrichissement, une découverte et surtout une école de la vie. Pour ces raisons, j’encourage vivement chaque jeune à expérimenter l’univers associatif et à s’engager dans un groupe, un conseil, un collectif ou autre qui porte les valeurs et les ambitions qui leur ressemblent!

L’engagement citoyen est un acte politique précieux pour notre démocratie.

Propos recueillis par Sophie Malka

La Voix de la diversité, une invitation à la rébellion créative

LVD est née en 2019 de la volonté de Vjosa Gërvalla et de Shem Asllani de permettre aux jeunes, souvent issu·es de la migration, de montrer qu’ils sont autre chose que l’«étiquette» à laquelle veut les réduire la société. Libérer des énergies créatives, nourrir chez eux un sentiment de légitimité et encourager des projets qui tissent des liens est au cœur du projet qui a mené diverses actions, dont des vidéos, sur de multiples sujets sociétaux. « ous créons un groupe qui inspire, armant celles et ceux qui se sentent ’différents’ à agir dans cette société qui les entoure, à se sentir légitimes. Notre stratégie d’action, forgée avec les jeunes, est un plaidoyer pour une approche inclusive, utilisant leurs expériences comme des leviers pour renforcer la conscience citoyenne», explique Vjosa Gërvalla. Qui veut rappeler que la diversité n’est pas une source de division, mais un catalyseur puissant pour une société vibrante et inclusive. «Les mots des migration» est le premier projet mené par ce jeune collectif ayant pour thème la migration. (à retrouver sur Instagram et Facebook)


L’information a un coût. Notre liberté de ton aussi. Pensez-y !
ENGAGEZ-VOUS, SOUTENEZ-NOUS !!

Notes
Notes
1 Soutenu par le Bureau de l’intégration des étrangers et de la citoyenneté du canton de Genève et la fondation Fondia