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Notre regard

Iran | L’oppression, d’une révolution à l’autre

Textes: Julien Vaudroz
Infographies & update: Sophie Malka


«Le Rapporteur spécial est alarmé par la violence à laquelle les femmes et les filles sont continuellement exposées, y compris les meurtres, les violences physiques et sexuelles, et la répression féroce des minorités ethniques et religieuses.»

Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran, 2023
UPDATE Novembre 2023- Ne pas oublier la population iranienne! +

Le 6 octobre 2023, le Prix Nobel de la Paix 2023 était attribué à Narges Mohammadi, journaliste et militante iranienne des droits humains, emprisonnée depuis 2022 à la prison d’Ervin à Téhéran. Le 19 octobre 2023, le Prix Sakharov pour la liberté de l’esprit, « la plus haute distinction accordée par l’Union européenne aux actions en faveur des droits de l’homme » était décernée à Mahsa Amini et au mouvement iranien «Femme, vie, liberté», un an après son soulèvement suite au meurtre de la jeune Kurde iranienne. Octobre 2023 toujours, une adolescente de 16 ans, Armita Geravand, meurt après avoir été agressée par les forces de l’ordre parce qu’elle ne portait pas le voile….

Depuis la parution de notre édition d’octobre, l’ombre de l’Iran plane sur le désordre mondial et la guerre au Proche Orient. Fragilisée par un soulèvement populaire qui dure, la République islamique est soupçonnée de durcir sa répression. Et malgré cela, le 2 novembre 2023, l’Iran prenait la présidence du Forum annuel du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Selon les opposants en exil du Conseil national de la résistance iranienne cette présidence est « une récompense pour les crimes contre l’humanité » perpétrés par Téhéran. Et elle sera vue par le régime comme une incitation à « davantage de torture et de tueries » selon des ONG et personnalités qui s’en sont inquiétés auprès du Haut commissaire des aux droits de l’homme de l’ONU [1]RTS, Présidé par l’Iran, le Forum annuel du Conseil des droits de l’homme est critiqué et boycotté, 2.11.23.

Un mois après avoir reçu le Prix Nobel de la Paix, le 6 novembre, Narges Mohammadi entamait une grève de la faim avec sept autres codétenues  » pour protester contre le refus des soins aux détenues auxquelles il n’est laissé d’autre choix que «le voile obligatoire» ou «la mort». En solidarité, sept de ses codétenues lui ont emboîté le pas. Quelques semaines auparavant, Narges Mohammadi avait été battue par les gardiens dans la cour de la prison pour avoir dénoncé la torture et les mauvais traitements administrés à ses codétenues. »[2]Le Monde, Tribune, Nous, militants des droits humains, exigeons la libération immédiate de Narges Mohammadi, lauréate du prix Nobel de la paix 2023, en grève de la faim, 9 novembre 2023.

Sophie Malka

Nous publions ci-dessous notre chronique Monde parue le 4 octobre 2023 dans la revue Vivre Ensemble, dans le cadre d’un dossier spécial sur l’Iran.

L’oppression, d’une révolution à l’autre

1979 : LA GRANDE DÉSILLUSION

Depuis la révolution de 1979 et le renversement du Shah, l’histoire iranienne a été ponctuée de mouvements de contestation. Un sentiment de désillusion a accompagné ces sursauts populaires. La concentration du pouvoir de la nouvelle République iranienne par le président Khamenei et l’instauration du régime théocratique a marqué le début du désenchantement: la révolution devait apporter la libération face à l’autoritarisme du régime déchu.

Selon l’anthropologue Chowra Makaremi (p.16), les crises qui ont suivi émanent majoritairement de la perte de légitimité de ce pouvoir. Désillusions lors d’élections de candidats réformistes, trucages des votes et renforcement autoritariste envers les minorités ont érodé la confiance à l’égard du pouvoir théocratique. Dans cette instabilité grandissante, les outils répressifs de l’État face aux manifestations se sont renforcés, s’accompagnant d’une rhétorique nationaliste mythifiant une identité per- sique (Parsa, 2020). L’objectif était de fabriquer un sentiment de cohésion nationale au détriment des minorités religieuses, ethniques ou linguistiques (Beck, 2012). En a découlé une atomisation de la société.

Le mouvement insurrectionnel «Femmes, vie, liberté» apparaît comme l’évolution logique de la crise de confiance entre l’État et sa population amorcée dès 1979. Cette nouvelle révolution dont le meurtre de Jina Masha Amini le 16 septembre 2022 fut le catalyseur surprend par l’intégration d’un plus large pan de la population que lors des révoltes de 2009 et 2019. La volonté de remettre en cause la misogynie, la xénophobie et l’autoritarisme de l’État en Iran transcende le mouvement et rassemble. Il s’y est développé une solidarité interclasse, intergenre et interethnique autour de la demande d’un changement de système et d’une prise en compte des voix des minorités.

LES MINORITÉS PRISES POUR CIBLES

En février 2023, le rapporteur spécial de l’ONU sur l’Iran a rendu son rapport sur la situation des droits humains depuis les révoltes qui ont suivi la mort de Jina Mahsa Amini.
Javaid Rehman y dresse un tableau très alarmant, s’inquiétant de l’utilisation systématique de la violence par les autorités iraniennes contre les manifestant·es et en particulier dans les régions kurdes et baloutches. Il voit le meurtre de Jina Mahsa Amini comme «symptomatique des violences à l’égard des femmes et du déni de leurs droits fondamentaux et de leur dignité.»

DIVERS PROFILS À RISQUE

CRIME D’APOSTASIE

Les minorités religieuses sont victimes de discrimination en matière d’éducation, d’emploi et de lieu de culte.
Les personnes musulmanes converties qui auraient «renié l’Islam» sont victimes de violations généralisées et systématiques s’ils et elles pratiquent leur foi (détention, interrogatoire, torture, disparition forcée, peine de mort). (Amnesty International, 2022)

MANIFESTANT·ES

Selon le Rapporteur spécial de l’ONU, l’État a fait un emploi illégal de la force létale contre les manifestant·es. Cette violence se retrouve dans l’utilisation de munitions réelles, mais aussi la détention, la torture et autres mauvais traitements envers l’opposition. Le recours à la violence excessive était déjà de mise avant les protestations de 2022.

FEMMES

Les autorités continuent de traiter les femmes comme des citoyennes de seconde zone notamment pour le mariage, le divorce, l’emploi et l’accès aux fonctions politiques. Avec l’élection de l’ultraconservateur Ebrahim Raisi en 2021, les autorités ont durci leur méthode pour imposer le port du voile aux femmes. Celles-ci protestent et défient les lois discriminantes et dégradantes d’imposition du voile ainsi que le harcèlement et les violences au quotidien, les détentions arbitraires, les actes de torture et autres mauvais traitements.

PERSONNES LGBTQI+

Le Code pénal iranien sanctionne les relations sexuelles entre adultes de même sexe avec des châtiments corporels et la peine de mort. La pratique des «thérapies de conversion » est courante et approuvée par l’État. Souvent synonymes de torture ou de traitements inhumains et dégradants, ces méthodes sont aussi appliquées à des enfants. La transidentité est légale depuis 1979 et l’État pousse à la « réassignation sexuelle » les personnes homosexuelles, le changement de sexe devenant la seule issue pour échapper à une inculpation. (tetu.com)

PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES

« Les forces de sécurité ont tiré illégalement à balles réelles sur des hommes, des femmes et des enfants afghan·es qui tentaient de franchir la frontière entre l’Afghanistan et l’Iran […]. Les Afghan·es parvenu·es à entrer en Iran étaient soumis·es à des détentions arbitraires, ainsi qu’à des actes de torture […] avant d’être renvoyé·es de force.»

MINORITÉS ETHNIQUES

Les minorités sont sujettes à une discrimination généralisée. Celle-ci s’observe par des entraves à l’accès à l’éducation, à l’emploi, à un logement ou aux fonctions politiques. Le rapport de l’ONU dénonce aussi la surreprésentation des minorités ethniques dans les victimes de la répression et l’utilisation d’une force létale dans les régions kurdes ou baloutches.

Données socio-démographiques

Population Environ 85 millions d’habitant·es
Ethnies Perse, azéri, kurde, lur, baloutche, arabe, turkmène et des tribus turques

Religions Islam (officiel) 99,6 % (chiites 90-95 %, sunnites 5-10 %), 0,4 % autres (bahaïs, chrétiens, soufis, juifs, yarsans)

Régime République théocratique
Chef de l’État Ali Hoseini-Khomenei (depuis le 4.6.1989). Le chef suprême est nommé à vie par l’Assemblée des experts L’actuel président Ebrahim Raisi (depuis le 18.6.2021) est élu à la majorité absolue en deux tours de scrutin pour un mandat de quatre ans

Dates clés

  • 1979 Renversement du Shah et révolution islamique
  • 1981 Élection de Khamenei en tant que président de la République
  • 1988 Massacre des prisonniers politiques après la fin de la guerre Iran-Irak
  • 1989 Décès de Khamenei, Khomenei devient le Guide suprême après modification de la Constitution
  • 1999 Révoltes étudiantes violemment réprimées
  • 2009 «Mouvement vert» après la réélection de Ahmadinejad et les accusations de fraude sévèrement réprimé
  • 2019 Manifestations après la hausse de la taxe sur le pétrole sévèrement réprimées
  • 2021 L’ultraconservateur Raïsi est élu président. Des grèves secouent le pays
  • 2022 Décès en septembre de Jina Mahsa Amini. Début du mouvement «Femme ! Vie ! liberté !»
Illustration: Sara Ashrafi, 2023 (copyright)

Ressortissant·es d’Iran: quelle protection en Suisse?

Les autorités iraniennes recourent à une violence généralisée envers les minorités et les manifestant·es, avec une forte augmentation du nombre d’exécutions. Malgré cela, la Suisse continue de considérer les renvois vers l’Iran comme raisonnables, ne qualifiant pas les récentes évolutions de violence généralisée (OSAR, 2022).

Les demandes d’asile fondées sur l’appartenance à des minorités religieuses sont souvent rejetées, sous prétexte que leur pratique, si elle se fait en privé, n’expose à aucune sanction. Il en va de même pour les manifestant·es, qui ne risqueraient rien, selon le Secrétariat d’État aux migrations (SEM), à moins d’exercer de hautes fonctions politiques.

Ce positionnement inquiète au vu des violations quotidiennes des droits humains en Iran qui touchent indistinctement les civils comme les leaders politiques. Des menaces qui pèsent aussi sur les protestataires à l’étranger afin de les faire taire [3]Le Point, Massi Kamari, menacée par l’Iran pour avoir manifesté en France, 10 janvier 2023. Une ressortissante franco-iranienne a diffusé l’enregistrement téléphonique de menaces proférées sur elle et sa famille par un représentant du gouvernement iranien afin de l’empêcher de manifester en France.


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Statistiques suisses concernant les ressortissant·es d’Iran

Données basées sur les décisions prises en première instance après examen des motifs d’asile. Ne sont pas considérées les décisions de non-entrée en matière (NEM).*

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