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Notre regard

Carte blanche | Je suis consternée

LINDA CHRISTEN
Juriste, secteur réfugié·es du Centre social protestant Genève

En tant que juriste engagée dans la défense des requérant·es d’asile, je me dois de faire part de la consternation que j’ai éprouvée en recevant une décision juste avant Noël. Elle concernait un jeune homme souffrant de troubles dépressifs. Le recours avait été déposé le 9 août 2023. Nous étions le 21 décembre 2023. Il s’agissait d’une décision incidente rendue par un juge du Tribunal administratif fédéral (TAF) qui considérait le cas comme voué à l’échec et impartissait au recourant un délai au 5 janvier pour payer une avance de frais, à défaut de quoi le recours serait déclaré irrecevable. À titre informatif, mon mandant, débouté, avait été hospitalisé pour un risque de passage à l’acte suicidaire au mois de janvier 2023. Au vu de sa situation médicale, une demande de réexamen de sa situation avait été déposée au SEM, laquelle avait été rejetée et faisait l’objet dudit recours.

Je ne souhaite pas discuter de l’argumentation juridique à proprement parler, mais bien plutôt questionner l’éthique de ce juge à propos du moment choisi pour rendre sa décision. La question mérite d’être posée sachant que le recours avait été introduit plusieurs mois auparavant et qu’il n’y avait donc pas d’urgence à statuer avant la fin de l’année. Elle se pose d’autant plus que le recourant est suivi pour des troubles dépressifs dont on sait qu’ils sont souvent exacerbés en période de fêtes de fin d’année et qu’ils requièrent une attention particulière dans les cas les plus à risque.

Compte tenu de cette fragilité psychologique –connue du juge– ainsi que du contexte prévalant à Genève, où la problématique du suicide parmi les personnes en quête de protection est une réalité malheureusement tragique, rendre une telle décision à ce moment-là fait preuve d’un manque de considération par rapport à la situation du recourant, mais également des services médicaux fortement sollicités à cette période de l’année.

En dépit de l’adage dura lex, sed lex (« la loi est dure, mais c’est la loi »), il serait de bon ton que ce juge fédéral, à l’activité éloignée des réalités concrètes du terrain, se rappelle que derrière chaque verdict prononcé à la simple lecture d’un dossier se trouve une personne. La justice ne doit pas uniquement se limiter à l’application stricte de la loi, aussi dure puisse-t-elle être; elle devrait tenir compte des fragilités individuelles au moment de communiquer la décision et faire preuve de considération à l’égard des personnes les plus vulnérables.