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The New Humanitarian | « C’est comme vivre dans une salle d’attente qui ne mène nulle part »

Les camps de réfugié.es censés être des mesures de sécurité provisoires deviennent des lieux de vie durables pour une grande majorité des réfugié.es. La durée de l’attente pour trouver une nouvelle solution n’est jamais connu, de ce fait les personnes ont le sentiment de n’avoir aucun avenir. De nombreuses personnes perdent espoir face à cette incertitude prolongée et tentent parfois de mettre fin à leurs jours. Les conditions de vie dans les camps violent souvent le droit à la dignité des personnes et poussent celles-ci à des comportements à risques, comme la consommation de drogues, la mendicité et la prostitution. Parfois certaines personnes développent des troubles psychologiques liés aux tensions quotidiennes.

Photo de Levi Meir Clancy sur Unsplash

Ndizeye vit depuis plus de 20 ans dans un camp au Malawi. Ce pays applique une politique d’exclusion à l’égard des requérant.es d’asile. Toutes les personnes réfugiées sont obligées de vivre dans des camps et n’ont pas le droit de travailler. Les perspectives de s’intégrer dans la communauté d’accueil sont réduites à néant, d’autant plus que les rapports internationaux indiquent que moins de 1% des réfugié.es dans le monde seulement, réussissent à s’installer chaque année. Garder espoir dans ce contexte devient presque irréel. Ndizeye essaie de tenir bon, il s’occupe en suivant à distance une formation de business management à l’Université Southern New Hampshire aux Etats-Unis. Il se demande combien de temps il gardera espoir. 

Cet article a été publié par The New Humanitarian dans sa série « Inverser le récit » qui permet aux réfugiés, demandeurs d’asile et aux migrants de s’exprimer sur les politiques et les événements qui façonnent leur existence. Vous pouvez consulter l’article ci-dessous ou directement sur la page du journal ici.

Inverser le récit: « C’est comme vivre dans une salle d’attente qui ne mène nulle part ».

Que se passe-t-il quand les soi-disant ‘solutions’ pour les réfugiés échouent?

de Ndizeye Innocent

L’Agence des Nations unies pour les réfugiés, le HCR, affirme que les réfugiés comme moi, qui sont obligés de partir de chez eux, disposent de trois options : se porter volontaires pour retourner dans leur pays d’origine, s’intégrer dans leur pays d’accueil, ou se réinstaller dans un pays tiers. Mais, pour l’immense majorité des réfugiés, ces solutions dites « durables » ne fonctionnent pas. 

Je le sais parce que je suis un réfugié qui continue de chercher une « solution durable » . Mais, au lieu d’en trouver une, j’ai le sentiment que le monde entier m’a oublié et que je suis bloqué dans un camp de réfugiés où ma vie m’échappe. C’est aussi le cas de milliers d’autres personnes comme moi. 

J’ai à présent 28 ans. Quand j’étais plus jeune, je me disais qu’un jour, je retournerais au Burundi, mon pays d’origine. Mais le temps a passé et ce rêve s’est peu à peu transformé en chimère. La réalité, c’est que je vis dans le camp de réfugiés de Dzaleka, au Malawi, depuis plus de vingt ans. Les lois en vigueur au Malawi m’interdisent de faire partie intégrante de la société, et j’ai peu d’espoir d’être réinstallé dans un pays tiers où je pourrais vivre pleinement ma vie. Au niveau mondial, moins de 1% des réfugiés sont réinstallés chaque année. 

Si vous lisez ces lignes, vous êtes probablement mieux à même de remédier à cette situation que moi. Alors j’aimerais vous poser une question : ce statu quo vous satisfait-il ? Si ce n’est pas le cas, que pouvez-vous faire pour qu’à l’avenir, les réfugiés ne soient pas condamnés à vivre de cette façon, dans des limbes dévastatrices ? 

Partout dans le monde, des millions de réfugiés comme moi ont été obligés de fuir à cause de la guerre, de la persécution ou de catastrophes naturelles. 

Au lieu de trouver des solutions, nous croupissons – souvent pendant une décennie ou plus – dans des camps de réfugiés qui étaient censés nous mettre en sécurité de manière provisoire mais qui, en fin de compte, deviennent des camps permanents.

Nous vivons perpétuellement dans l’attente. Nous attendons ces « solutions durables » qui surviennent si rarement. Imaginez passer des années et des années dans l’incertitude, avec peu de chances de trouver un jour un endroit où vous serez chez vous. C’est comme si l’on vivait dans une salle d’attente qui ne mène nulle part. 

« Nous n’étions pas en sécurité »

Je n’avais que quelques mois, en 1994, quand ma famille a dû fuir la ville de Cibitoke, dans le nord-ouest du Burundi, à cause de la guerre civile. Ma mère m’a raconté plus tard que, le matin où nous sommes partis, elle avait vu de la fumée et des flammes commencer à s’élever des maisons voisines, alors que des rebelles hutus prenaient la ville d’assaut, tuant les gens aveuglément. 

Mon père n’était pas au logis, alors ma mère, née sourde et muette, et qui était enceinte à l’époque, m’a mis sur son dos, a pris ma soeur aînée par la main, et a rejoint d’autres personnes qui se sauvaient à toutes jambes. 

Il nous a fallu quatre longs mois périlleux pour atteindre la Tanzanie. Nous avons traversé, à pied, des forêts infestées de serpents venimeux et autres animaux sauvages dangereux pour éviter les milices rebelles. On m’a raconté que beaucoup de gens sont morts de faim et que des enfants ont dû être laissés sur place parce qu’ils ne pouvaient pas marcher. 

Même après avoir atteint le camp de réfugiés de Nyarugusu, dans la région de Kigoma, dans le nord-ouest de la Tanzanie, nous n’étions pas en sécurité. Certains disaient que des rebelles hutus qui avaient participé aux tueries allaient aussi venir à Nyarugusu. Les gens ont pris peur, craignant que la violence n’éclate dans le camp. C’est ainsi qu’en 1998, trois ans après notre arrivée, nous sommes repartis, cette fois pour le Malawi. 

« Les gens qui ne peuvent envisager l’avenir baissent les bras »

La vie dans le camp de réfugiés de Dzaleka n’a pas été facile. Le camp avait été conçu pour héberger 10,000 réfugiés, principalement des personnes qui avaient fui le génocide au Rwanda en 1994, mais plus de 50 000 personnes y vivent actuellement.

La dure réalité qui est la nôtre pousse souvent les gens à prendre des décisions désespérées.

Ma mère s’est mise à mendier dans la rue pour pouvoir nourrir ses enfants, personne ne voulant l’employer en raison de ses handicaps. Comme beaucoup d’autres jeunes femmes ici, qui n’ont aucun autre moyen de gagner de l’argent, ma soeur aînée, à l’adolescence, est devenue une travailleuse du sexe pour subvenir aux besoins de notre famille. 

Un grand nombre de garçons avec lesquels j’ai grandi ont aujourd’hui des troubles psychologiques et ils se sont tournés vers la drogue pour tenter d’échapper à la réalité. Des couples se disputent à cause du manque d’argent. Et des hommes perdent le sens de la dignité parce qu’ils ne parviennent pas à entretenir leur famille. J’ai vu des gens qui ne peuvent envisager l’avenir baisser les bras et mettre fin à leurs jours. 

Voilà la vie que mènent les réfugiés de Dzaleka – et d’autres camps de par le monde – depuis des décennies. C’est la vie à laquelle nous sommes condamnés car personne n’a réussi à trouver de vraies solutions pour nous.

« Mon tour viendra-t-il un jour ? »

Même plus de deux décennies plus tard, nous ne pouvons toujours pas regagner notre pays. Ma mère est traumatisée par ce qu’elle a vécu au Burundi en 1994 et ne veut pas y retourner. Par ailleurs, ce pays est toujours instable et dangereux.

En même temps, il n’est plus possible de s’intégrer dans la communauté au Malawi. En avril de l’année dernière, le gouvernement a adopté une nouvelle politique qui veut que tous les réfugiés vivent à Dzaleka, même ceux qui ont habité en-dehors du camp pendant des années. Et le gouvernement n’autorise pas les réfugiés à travailler. 

Malgré ces perspectives peu réjouissantes, je continue de m’instruire. Je suis actuellement un cours de business management en ligne, proposé par l’Université Southern New Hampshire aux Etats-Unis, mais j’ai peu d’espoir de pouvoir quitter un jour le camp ou de trouver un emploi.

J’ai parfois le sentiment qu’il ne sert à rien d’étudier. Beaucoup de jeunes se découragent et arrêtent leurs études. Mais je continue à nourrir l’espoir qu’un jour, une opportunité se présentera à moi, que je décrocherai un emploi et que ma vie s’améliorera. Ce ne sera peut-être pas possible à Dzaleka, mais j’aurai peut-être la possibilité d’aller vivre dans un pays tiers. 

Quelques-unes de mes connaissances – dont des amis d’enfance – ont été réinstallées au Canada, en Australie ou dans des pays européens. Quand je les ai vu partir, je me suis demandé : « Mon tour viendra-t-il un jour ? ». 

« Les réfugiés ont besoin qu’on les traite avec dignité »

A Dzaleka, beaucoup – et j’en fais partie – ont entamé le processus de réinstallation, notamment en préparant des documents et en prenant part à des sélections et en assistant à des entretiens, mais on les fait attendre depuis une décennie ou plus, sans aucune évolution.

Quand nous demandons des nouvelles au HCR, on nous répond que nos dossiers sont clôturés ou qu’ils ont été égarés. La plupart d’entre nous ne reçoivent aucune explication. Il est très chronophage de tenter de savoir ce qu’il en est ou de rouvrir nos dossiers, et cela ne mène le plus souvent à rien. On a parfois le sentiment que les gens qui sont les plus anciens dans le camp sont oubliés, tandis que les dossiers de réfugiés qui viennent d’arriver sont traités plus rapidement, ce qui fend le coeur de beaucoup de gens.

Comme je l’ai dit, je garde espoir. Mais ce n’est pas facile quand on sait la manière dont le système fonctionne dans le camp et quand on connaît le nombre insignifiant de réfugiés qui sont réinstallés dans le monde

Comme tous les autres êtres humains, les réfugiés ont besoin qu’on les traite avec dignité. Leurs droits doivent être respectés. Les gouvernements des pays hôtes et les organisations internationales qui disent vouloir les aider doivent unir leurs forces et trouver les moyens d’autoriser les réfugiés à travailler, à circuler librement et à s’intégrer. Les pays riches doivent faire davantage pour réinstaller les réfugiés.

Avant tout, il nous faut des raisons de croire que notre avenir sera meilleur que le présent ou le passé.

Edité par Moulid Hujale et Eric Reidy.

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