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Notre regard

Intégration | Le regroupement familial, une question vitale

SARAH VINCENT et MARINE ZURBRUCHEN elisa-asile

Si tu accueilles un être humain, tu l’accueilles tout entier, c’est-à-dire avec l’ensemble de ses droits fondamentaux. Comme tu ne dirais pas à quelqu’un: «Bon d’accord, je t’accueille chez moi, mais seulement si tu te coupes la jambe », tu ne vas pas dire à une personne de renoncer à son droit à vivre en famille. Or, le droit à la vie familiale fait partie des droits fondamentaux. Pouvez-vous vous imaginer être contraint de fuir votre pays sans vos enfants et ne pas pouvoir être réunis? Ou l’être seulement après de longues années d’attente et de lutte ?

Panneau protestant contre la politique de séparation familiale de l’administration Trump. Photo : aismallard

C’est à cette injustice que l’association elisa-asile est confrontée quotidiennement dans son travail de spécialiste en matière de regroupement familial pour les personnes issues du domaine de l’asile. Lorsqu’une personne obtient le permis B réfugié au terme de sa procédure, elle a un droit immédiat au regroupement familial (art. 51 LAsi). Tel n’est pas le cas des personnes titulaires d’un permis F (appelé « admission provisoire »). Nous soutenons que ces dernières devraient se voir appliquer des conditions de regroupement familial équivalentes à celles prévalant pour les réfugié·es.

Lorsqu’un permis F est octroyé à la suite d’une demande d’asile, c’est parce que le retour dans le pays d’origine est illicite, impossible ou inexigible. Le besoin de protection internationale est reconnu et la Suisse violerait de nombreuses dispositions internationales en renvoyant ces personnes. Nous ne sommes pas dans une configuration où elles sont venues en Suisse pour leur convenance, mais pour sauver leur vie.

Actuellement, les personnes au bénéfice d’un permis F doivent attendre trois longues années avant de pouvoir déposer une demande de regroupement familial. Ensuite, elle devront justifier disposer d’un salaire leur permettant de subvenir aux besoins de toute la famille et d’un logement suffisamment grand.

De fait, la majorité des personnes admises « provisoirement » finissent par rester durablement en Suisse. Alors que le parcours d’intégration de ces dernières est actuellement souvent difficile, il est démontré que le fait d’être réuni avec sa famille permet de pouvoir mieux s’intégrer et contribuer à son pays d’accueil. Un récent rapport établi par la Croix-Rouge Suisse l’atteste[1]Crois-Rouge Suisse, La famille, essentielle à la santé et à l’intégration, janvier 2023.

« Si j’avais su que je ne pourrais pas faire venir mes enfants, j’aurais préféré mourir sous les bombes avec eux.» Voici ce qu’un père de quatre enfants a répondu quand il lui a été annoncé qu’il ne pourrait pas déposer de demande de regroupement familial avant trois ans et tant qu’il n’avait pas de travail suffisant pour faire vivre sa famille de six personnes à Genève. Aujourd’hui, ses enfants se trouvent toujours sous les bombes en Syrie.

La séparation, obstacle à l’intégration

Il est très difficile pour toute personne séparée de sa famille de s’investir pleinement dans sa vie dans son pays d’accueil. La séparation familiale a un impact négatif important sur l’état psychologique et les capacités d’apprentissage. Cela est particulièrement vrai pour les personnes au bénéfice de l’admission provisoire, rongées par la culpabilité et l’inquiétude vis-à-vis de leurs proches. En effet, si le retour dans le pays d’origine a été jugé inexigible pour la personne qui se trouve en Suisse, c’est bien souvent que les conditions de vie ne sont pas viables non plus pour la famille encore au pays, notamment dans les situations de guerre. Il est également contraire à l’intérêt supérieur des enfants de ne pouvoir accéder dans les meilleurs délais au regroupement familial. Notre permanence est quotidiennement témoin de la détresse de ces familles et du traumatisme d’une procédure de regroupement familial au mieux interminable, au pire inaccessible.

La nécessité de vivre en famille, sans délai et sans condition financière, a été reconnue pour les personnes au bénéfice du statut S – les réfugié·es fuyant l’Ukraine. Sur quelle base peut-on justifier une telle différence de traitement avec les personnes détentrices d’un permis F?

Le regroupement familial est une question vitale, de respect des droits humains et de dignité humaine. Si nous ne permettons pas aux personnes au bénéfice d’un permis F de s’épanouir et de vivre dignement, nous ne pouvons pas espérer en retour qu’elles contribuent à la prospérité de la Suisse.

Que voulons-nous pour notre société suisse ? Nous vivons dans un pays qui se revendique défenseur des droits humains, mais il serait grand temps que ce principe se traduise en actes pour ne pas simplement rester une légende nationale.

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Notes
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1 Crois-Rouge Suisse, La famille, essentielle à la santé et à l’intégration, janvier 2023