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Notre regard

Visas humanitaires | Des conditions d’application trop strictes

La question des visas humanitaires revient sous le feu des projecteurs. En raison de son inapplicabilité, que la crise en Afghanistan a mise en lumière et qui est dénoncée depuis des années par les associations du terrain. Cet instrument de la politique d’asile suisse, faussement présenté comme un substitut aux demandes d’asile aux ambassades supprimées en 2012, a très vite été dénoncé comme trop strict dans les exigences à remplir pour pouvoir accéder à une protection internationale sans risquer un parcours trop périlleux.  Le visa requiert de la personne qu’elle fasse preuve de sa mise en danger réelle et d’un lien avec la Suisse. Alors que sa prédécesseuse, Karin Keller-Sutter, avait contribué à affaiblir ce droit, la reprise en main de cette question par une Elisabeth Baume Schneider qui demande « de déplacer un peu les frontières du possible » intervient dans un contexte où les besoins de voies de fuite sûres sont intensifiés. Elle questionne la nécessité du deuxième élément dans une volonté d’assouplir l’application de l’octroi du visa.Actuellement, non seulement de trop nombreux écueils existent pour réussir à déposer cette demande, mais elle est ensuite majoritairement refusée. Inaccessibilité de l’ambassade, preuves de menace non reconnues, bureaucratie kafkaïenne; certains services juridiques dédiés à ces démarches ont jeté l’éponge. La Croix Rouge suisse a fermé son Service spécialisé en dressant un bilan alarmant :  en 2021, 37 visas humanitaires étaient attribués à des ressortissant·es afghan·es sur les 10 000 demandes déposées concernant l’Afghanistan. En 2022, le nombre s’élève à 98 au total.

Des exemples récents ont été relayés dans les médias. Le Courrier relatait en 2022 l’histoire d’une activiste syrienne réfugiée en Iran pour laquelle le Tribunal administratif fédéral (TAF) a cassé la décision du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) en demandant l’établissement d’un visa humanitaire. L’émission Mise au Point du 11 juin 2023 de la RTS a également dressé le portrait de Malalai, une femme afghane qui a travaillé pour des organisations suisses de défense des droits des femmes en Afghanistan, financées par le canton de Genève, notamment. À la prise de pouvoir par les Talibans, elle est menacée et cherche à fuir. L’ambassade suisse ayant été relocalisée au Pakistan, elle s’y est rendue avec sa fille pour y faire une demande de visa humanitaire, mais l’autorisation n’a jamais été délivrée. Le SEM la considère en sécurité au Pakistan et estime que « le fait d’avoir collaboré avec la Suisse à l’étranger avec une ONG basée en Suisse ne suffit pas à considérer que la personne a un lien étroit avec la Suisse. » Il aurait fallu que son dernier employeur, l’ONG en question, soit financée par la Confédération. C’est là-dessus que la Conseillère fédérale aimerait justement assouplir le droit.

L’accès à des voies légales sûres toujours plus réduit

Au-delà des cas individuels, ce qui est en jeu dans cet instrument l’accès à une voie légale sûre pour atteindre un pays de refuge. Ce besoin essentiel est actuellement impossible à réaliser pour la vaste majorité des personnes fuyant l’insécurité et poussées sur de périlleuses routes de l’exil. Les autres procédés sont également semés d’embûches. Que ce soit par la réinstallation ou le regroupement familial, les obstacles se dressent.

Photo de Ehimetalor Akhere Unuabona sur Unsplash

Le 30 novembre 2022 faisant face à un besoin de logement accru, le DFJP décidait de stopper jusqu’à amélioration de la situation son programme de réinstallation qui consistait à accueillir un contingent de réfugiés reconnus par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Si le regroupement familial est un droit pour la famille nucléaire, son application par la Suisse est extrêmement restrictive, compliquée et lente pour celles et ceux qui sont en droit d’en bénéficier. De plus, il a récemment été reconnu que la Suisse applique des critères plus stricts que le reste de l’Europe pour les détenteur·ices d’une admission provisoire. Quant au visa humanitaire, qui pourrait théoriquement être une bouée de secours, on le voit, elle constitue de la poudre aux yeux.

Malalai, est un emblème de beaucoup d’autres femmes afghanes ; mais aussi d’Afghan·es vulnérables pris au piège d’un régime dictatorial, des femmes d’Iran sur lesquelles la révolte a fait se resserrer les griffes de l’autoritarisme, des familles angoissées sachant leurs proches vivant encore sous la menace, des parents âgées qui ne peuvent se prévaloir d’un regroupement familial. Et pour bien d’autres encore, le visa humanitaire doit redevenir un outil législatif utilisable.

Ressources et documentation sur le sujet :

Documents administratifs et politiques

Permettre à nouveau de déposer des demandes d’asile auprès des ambassades Daniel Jositsch Motion 21.3282 (18.03.2021)

Avis du Conseil fédéral sur la Motion 21.3282 (12.05.2021)

Directive : Demande de visa pour motifs humanitaires Secrétariat d’Etat aux migrations (14.09.2018)

Documents médiatiques

Le combat de Malalaï Mise au point, RTS (11.06.2023)
La conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider veut assouplir les visas humanitaires RTS info (10.06.2023)
Visa humanitaire pour une activiste syrienne  Le Courrier (07.04.2022)
Déposer une demande d’asile auprès d’une ambassade restera impossible Le Matin (02.02.2022)
Wir hatten nie eine Chance par Noemi Landolt, WOZ – traduction Vivre Ensemble (20.01.2022)

Documents d’ONG et associatifs

Faciliter la délivrance des visas humanitaires pour les Afghan-e-s en quête de protection Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) (15.08.2022)
Visas humanitaires : un marché de dupes Françoise Jacquemettaz, Centre Suisses – Immigrés (26.07.2022)
Le Tribunal administratif fédéral contraint le SEM à délivrer un visa humanitaire  Elisa Turtschi, Vivre Ensemble – asile.ch (19.04.2022)
Visas humanitaires: obstacles majeurs et critères restrictifs Croix – Rouge suisse (11.04.2022)
Fact-checking | Le visa humanitaire, une voie légale sûre pour les personnes en danger? Elisa Turtschi, Vivre Ensemble – asile.ch (08.02.2022)
Visas humanitaires pour les Afghan·es : prises de position et pétition Vivre Ensemble – asile.ch (18.08.2021)
Sept ans de conseil en matière de visa humanitaire: Conclusions et recommandations Croix-Rouge Suisse (12.2021)
Visa humanitaire : chemin de fuite sûre ou course d’obstacles ? Observatoire Suisse du droit d’asile et des étrangers (2019)