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Cath.ch | Asile: à quel moment le récit d’un mineur est-il «vraisemblable»?

Déterminer la crédibilité du récit d’un mineur demandeur d’asile : entre écueils et nécessités. En Suisse, la question de la ‘vraisemblance’ des déclarations des mineur·es non accompagné·es sollicitant l’asile est cruciale. Caritas Suisse souligne l’importance de ne pas réduire les récits des jeunes à une simple analyse superficielle, en tenant compte des aspects culturels, éducatifs et traumatiques. Cet article explore les enjeux complexes liés à l’évaluation des témoignages, mettant en lumière la nécessité d’une approche pluridisciplinaire pour comprendre la réalité des jeunes demandeur·euses d’asile et répondre à leurs besoins spécifiques.

Cet article a été publié sur le portail cath.ch. Il est à lire sur leur site sur leur site.

 Photo de Kenny Eliason sur Unsplash
Photo de Kenny Eliason sur Unsplash

Asile: à quel moment le récit d’un mineur est-il «vraisemblable»?

Raphaël Zbinden

En Suisse, les autorités s’efforcent de déterminer le degré de «vraisemblance» des déclarations des requérants d’asile mineurs non accompagnés (RMNA) pour savoir comment traiter leur cas. Caritas Suisse met cependant en garde contre une lecture réductrice des récits des enfants et des jeunes, qui ne tient pas compte de la situation culturelle, éducative ou traumatique.

«[…] pour une personne illettrée, vous êtes [pourtant] en mesure d’utiliser sans difficulté un téléphone portable». Telle a été l’observation du Secrétariat d’État aux migrations (SEM) face aux déclarations d’un RMNA, relatée par Caritas Suisse dans un article publié le 29 juin 2023. Le bureau fédéral a, sur cette base, remis en question l’absence de scolarisation revendiquée par le jeune. En lien avec d’autres «invraisemblances» sur sa version, le SEM lui a retenu un âge présumé de 18 ans.

Les autorités attendent une connaissance quasi-parfaite du cadre de vie

Mais quelles déclarations, au juste, semblent «vraisemblables» ou non aux autorités? Pour déterminer l’âge d’un requérant, le SEM doit se baser sur les documents d’identités originaux, les déclarations et enfin une éventuelle expertise médicale. Majoritairement, les déclarations constituent un socle pour déterminer si un requérant est mineur dans la mesure où il est rare que ce dernier ait fui avec ses documents d’identités originaux.

Dans certaines décisions du SEM, le fait de ne pas connaître précisément sa date de naissance mais uniquement l’année constitue un indice d’invraisemblance. Ainsi que de ne pas connaître la date précise du décès de son père ou de son entrée sur les différents territoires traversés. «L’analyse de la pratique du SEM montre qu’il est parfois attendu des requérants une connaissance quasi parfaite de leur cadre de vie», relève Fanny Coulot, représentante juridique de Caritas Suisse au Centre fédéral d’asile de Boudry (NE). L’œuvre d’entraide catholique a une expertise certaine de ces situations puisqu’elle est mandatée par la Confédération pour la représentation et le conseil juridiques des RMNA en Suisse romande, en Suisse centrale et au Tessin.

Facteurs culturels

Dans le cas où le jeune ne possède pas cette connaissance précise de son cadre de vie, ses déclarations peuvent être considérées comme «vagues», «stéréotypées» ou «dénuées d’émotions», rendant son récit «invraisemblable», observe Fanny Coulot. Or, ces indices d’invraisemblances sont à examiner avec beaucoup de recul, avertit-elle. En effet, les déclarations du jeune dépendent largement des capacités cognitives et langagières influencées par les traumas et des contextes socio-culturels. Elles sont à mettre en perspective avec certaines spécificités personnelles et culturelles. Par exemple, en Afghanistan, l’âge n’est pas important, les anniversaires ne se fêtent pas et le repère temporel peut être lié aux fêtes religieuses ou à l’agriculture. Au Burundi et en Côte d’Ivoire, c’est la retenue qui est de mise dans l’expression des émotions, et la culture du silence y est importante.

Dans d’autres décisions, pour attribuer un âge adulte au requérant, le SEM peut également relever une précédente fuite du RMNA d’un camp de réfugiés, le non-respect du règlement dans le camp, ou encore le fait qu’il se prétende majeur pour pouvoir sortir sans autorisation. Faire preuve de «débrouillardise» durant le parcours migratoire ou «d’assurance et d’aplomb» durant l’audition peut également être relevé comme signe d’une maturité d’adulte.

Prendre en compte la psychologie

«Or, le RMNA est avant tout un enfant ou un adolescent et, par définition, un être en développement», note l’employée de Caritas Suisse. Le contexte socio-émotionnel dans lequel l’adolescent est placé influence sa capacité d’anticiper le regret qu’il ressentirait en prenant des décisions inappropriées ou risquées. Par exemple, il/elle peut dissimuler sa vulnérabilité et son âge réel lorsqu’il/elle est confronté à des situations d’accueil inadaptées aux RMNA, pour pouvoir fuir cette situation à risque.

Les mineurs sont par ailleurs très sensibles à la suggestibilité et auront tendance à adapter leur récit en fonction des questions posées, de leur culture et niveau de scolarité. Face à la détresse, les adolescents peuvent également avoir des comportements de dépassement des limites et des conduites à risques.

Pour une approche pluridisciplinaire

«En tant que représentants juridiques Caritas des RMNA, nous invoquons régulièrement dans le cadre de nos recours interjetés contre les décisions du SEM, une analyse incorrecte au regard des éléments propres à l’enfant et à sa culture», affirme Fanny Coulot. Dans l’un des arrêts où Caritas a obtenu gain de cause, le Tribunal administratif fédéral (TAF) a par exemple reconnu que «même des enfants en bas âges sont capables d’utiliser des tablettes et des smartphones».

Fanny Coulot plaide ainsi «pour un processus interdisciplinaire et participatif, réunissant psychologues, neuroscientifiques, experts de droits des migrations et de droits des enfants, associations de soutien aux migrants, représentants juridiques et autorités cantonales et fédérales compétentes». «En développant des techniques d’écoute, une telle approche pourrait libérer la parole des mineurs non accompagnés, en quête de protection, en ayant bien à l’esprit leurs besoins prioritaires et leur vulnérabilité», affirme-t-elle. (cath.ch/com/rz)


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