Bénéficier de l'asile, statut très favorable et en principe définitif, est quelque chose de très différent que de bénéficier d'un simple statut provisoire. Mais pour l'obtenir, il faut être « reconnu » réfugié au terme de la procédure d'asile. Or l'art. 69 de la nouvelle loi suspend celle-ci pour des groupes entiers de requérants, qui seront placés d'office sous une protection provisoire. Un préjudice majeur est ainsi causé à ceux d'entre eux qui auraient obtenu l'asile en cas d'examen de leur cas. Les « vrais » réfugiés sont ici directement visés.
L'idée que les réfugiés reconnus doivent obtenir un statut aussi favorable que possible est au coeur même de la Convention de Genève sur les réfugiés de 1951 qui y consacre l'essentiel de ses dispositions. Celle-ci précise que le réfugié reconnu doit bénéficier de conditions de vie aussi proches que possible de celles des ressortissants du pays d'accueil pour ce qui a trait au travail, au logement, aux prestations sociales, et à la formation.
Une idée force derrière ce statut généreux : celui qui a connu les pires persécutions doit pouvoir refaire sa vie dans le pays où il a trouvé refuge. Et mieux il s'y intégrera, plus vite il pourra aussi lui apporter sa contribution au même titre que chacun de ses habitants. En privant certaines catégories de réfugiés de la possibilité d'obtenir l'asile, la suspension de la procédure prévue en cas de protection collective revient en fait à suspendre le droit d'asile et la Convention de Genève.
Bien sûr, les Chambres fédérales ont introduit quelques échappatoires qui semblent atténuer le caractère absolu et définitif de la suspension de la procédure que prônait le conseiller fédéral Koller. Mais celles-ci ne sont que des faux semblant.
Prévoir que l'on n'appliquera pas la protection collective s'il s'agit « manifestement » d'un cas d'asile n'a pas de sens. La décision sera prise uniquement sur la base des formalités d'enregistrement. Arnold Koller s'est opposé à toute audition sur les motifs d'asile en présence d'un représentant d'oeuvre d'entraide, et l'ODR n'admet jamais que quelqu'un est un réfugié au sens de la loi avant une enquête approfondie. Il n'y a en outre strictement aucun recours possible contre la décision de suspension de la procédure
Seul « cadeau » lâché par les Chambres : la possibilité de demander la reprises de la procédure après cinq ans (art. 70). Cinq ans d'attente à végéter dans un statut totalement inadapté pour des personnes traumatisées, dont les médecins nous disent qu'elles risquent de rester invalides à vie si elles ne sont pas prises en charge à temps, et qui se retrouveront traitées comme des requérants nouvellement arrivés !
A la fin de la protection provisoire, le droit d'être entendu sur les obstacles au renvoi devra se faire par écrit (dans une langue officielle...) et dans un délai précis, simultanément pour tout le monde (art. 76). Les services juridiques et les réseaux de solidarité seront totalement débordés. Comble du cynisme, il est prévu dans le projet d'ordonnance d'application que ceux qui n'écriront rien verront leur demande d'asile définitivement radiée, et que ceux qui formuleront des objections perdront toute possibilité d'aide au retour s'ils sont ensuite déboutés.
De surcroît, le rejet de leur demande se fera en principe par décision de non entrée en matière (art. 35), ce qui signifie là encore renvoi immédiat, sauf recours dans les 24 heures (art. 45 al. 2 et art. 112). Comme les motifs d'asile seront largement périmés au moment de la levée de la protection provisoire, qui implique normalement le retour à la paix, et que les souvenirs et les moyens de preuve auront disparu, seuls quelques très rares cas échapperont au renvoi.
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