Encore et toujours, le statut des réfugiés de la violence est présenté comme la grande nouveauté de la nouvelle loi sur l'asile. Grande nouveauté ? Vraiment ? N'avons-nous pas déjà toutes ces derniers années accueilli collectivement à titre provisoire les réfugiés de la violence Bosniaques ? Comme le montre une comparaison rigoureuse du droit et de la pratique actuellement en vigueur avec la solution préconisée par la nouvelle loi, il n'y aura guère de changement pour les réfugiés de la violence. Sauf sur un point : l'octroi du statut provisoire suspendra à l'avenir toute procédure d'asile, ce qui empêchera ceux qui remplissent les conditions de l'asile de bénéficier de ce statut beaucoup plus favorable. Les « vrais » réfugiés seront les grands perdants.
Actuellement : si le renvoi « n'est pas raisonnablement
exigible en raison d'un danger concret » (art. 14a al. 4 de
la Loi sur le séjour et l'établissement des étrangers - LSEE)
Nouvelle loi : au cas ou des personnes « sont
exposées à un danger général grave, notamment pendant un guerre ou une
guerre civile ou lors de situations violences généralisées »
(art. 4 LAsi)
Evaluation : sans changement. La nouvelle formule reprend la
définition du « danger concret » donnée par la jurisprudence actuelle.
Actuellement : libre appréciation du Conseil fédéral,
après consultation du Haut Commissariat des Nations Unies pour les
réfugiés (art. 14a al. 5 LSEE). En pratique l'avis des cantons est
également sollicité et les oeuvres d'entraide peuvent faire connaître
leur position spontanément.
Nouvelle loi : libre appréciation du Conseil fédéral
après consultation des cantons, des oeuvres d'entraide et du HCR (art. 66 LAsi).
Evaluation : la consultation obligatoire des cantons
et des oeuvres d'entraide ne change pas grand chose à la pratique.
Actuellement : par les centres d'enregistrement pour
ceux qui demandent l'asile. Possibilité d'enregistrement direct par
les cantons pour ceux qui ne sollicitent que le statut provisoire
(directive 52.3.1, pt 3.1).
Nouvelle loi : dans tous les cas auprès d'un centre
d'enregistrement fédéral (art.
69 LAsi)
Evaluation : risque de surcharge des centres d'enregistrement.
Actuellement : admission provisoire (livret F)
Nouvelle loi : protection provisoire (livret S)
Actuellement : comme les requérants d'asile (art. 14c al. 6 LSEE).
Nouvelle loi : comme les requérants d'asile (art. 82 et 88 LAsi)
Actuellement : pas d'interdiction pendant les premiers
mois, mais restrictions liées au marché de l'emploi (art. 14c al. 3
LSEE).
Nouvelle loi : interdiction pendant les trois premiers
mois, puis restrictions liées au marché de l'emploi. Dérogations év.
par décision du Conseil fédéral (art. 75 LAsi).
Evaluation : rares étaient ceux qui trouvaient du
travail dès les premiers mois. Les dérogations possibles viendront
peut-être compenser ce léger recul.
Actuellement : admis par directives (52.3.1 pt 3.3), en
application du droit international (protocoles additionnels des
Conventions Croix-Rouge de 1949).
Nouvelle loi : admis par la loi pour les personnes
séparées par la guerre, sauf circonstances particulières (art. 71 al.
1 let. b LAsi).
Evaluation : la formulation restrictive de la nouvelle
loi pourrait ne pas couvrir le regroupement des réfugiés kosovars avec
leurs parents venus en Suisse avant la guerre. Les modalités pratiques
(formalités à accomplir, preuve de l'identité) seront déterminantes.
Actuellement : possible sans restriction. Ceux qui
n'ont pas demandé l'asile au début de leur séjour peuvent toujours le
faire par la suite.
Nouvelle loi : suspension automatique de la procédure
d'asile dès l'octroi de la protection provisoire (art. 69 al. 3 LAsi).
Reprise possible après 5 ans (art. 70 LAsi) ou à la levée de
la protection (art. 76 LAsi).
Evaluation : un quart des Bosniaques admis
provisoirement entre 1993 et 1996 ont fini par obtenir l'asile. Ils
auraient perdu cette possibilité avec le nouveau droit (sauf
rattrapage aléatoire à la levée de la protection - cf. ci-dessous).
L'administration en escompte une économie de travail car la suspension
de la procédure supprime l'audition cantonale et l'examen au cas par
cas. C'est un calcul à courte vue, car au lieu de traiter les cas au
fur et à mesure, on se retrouvera avec un grand nombre de demandes à
traiter précipitamment lors de la levée de la protection.
Actuellement : obtention éventuelle d'un permis B pour
cas de rigueur après 4 ans (art. 13 let. f de l'ordonnance sur la
limitation du nombre des étrangers - OLE).
Nouvelle loi : autorisation de séjour cantonale
provisoire après 5 ans avec amélioration éventuelle des conditions
d'assistance laissée à l'initiative du canton. Possibilité pour le
canton d'accorder un permis C après 10 ans (art. 74 et 91 al. 4 LAsi).
Evaluation : les permis B humanitaires n'étant
accordés aujourd'hui que de façon restrictive, la nouvelle loi
pourrait déboucher sur une amélioration, mais seulement dans les
cantons les plus généreux, et pour autant que la protection collective
se prolonge plus de 5 ou 10 ans.
Actuellement : décision collective sans notification
individuelle. Droit individuel à faire valoir des obstacles au renvois
et à obtenir le réexamen de son cas, sans délai précis pour le
solliciter.
Nouvelle loi : décision collective notifiée
individuellement avec possibilité de signaler par écrit les motifs
s'opposant au renvoi (art. 76
LAsi). Pas de réexamen ultérieur sauf fait nouveau.
Evaluation : l'obligation de s'exprimer par écrit dans
un délai précis posera d'énormes problèmes pratiques car il n'y aura à
ce stade aucun dossier auquel se référer, faute de procédure d'asile,
et les services des oeuvres d'entraide seront submergés de demandes,
toutes les personnes protégées devant agir en même temps. En pratique,
il sera très difficile de faire apparaître à ce stade des risques de
persécutions actuels. Seuls les cas de traumatisme irréversible
justifiant une dispense à l'exigence d'un risque actuel pourraient
encore obtenir l'asile. Mais ce sont justement ceux-ci qui auront le
plus de peine à faire valoir leur cas par écrit dans l'embouteillage
que ne manquera pas de créer la levée collective de la protection pour
des milliers, sinon des dizaines de milliers de cas.
En fin de compte, il ressort de cette comparaison qu'il n'y a pas d'amélioration décisive pour les réfugiés de la violence. La suspension de la procédure et les restrictions introduites à la levée de la protection empêcheront par contre de nombreux réfugiés individuellement persécutés à obtenir l'asile comme ils en aurait le droit, plutôt que de rester cantonnés dans un statut précaire et provisoire.
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