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2. Capacité d'accueil : la grande intox recommence

Service de presse N° 4 - 25 mai 1999

1. Réfugiés de la violence :
rien de bien nouveau, sauf le pire

Encore et toujours, le statut des réfugiés de la violence est présenté comme la grande nouveauté de la nouvelle loi sur l'asile. Grande nouveauté ? Vraiment ? N'avons-nous pas déjà toutes ces derniers années accueilli collectivement à titre provisoire les réfugiés de la violence Bosniaques ? Comme le montre une comparaison rigoureuse du droit et de la pratique actuellement en vigueur avec la solution préconisée par la nouvelle loi, il n'y aura guère de changement pour les réfugiés de la violence. Sauf sur un point : l'octroi du statut provisoire suspendra à l'avenir toute procédure d'asile, ce qui empêchera ceux qui remplissent les conditions de l'asile de bénéficier de ce statut beaucoup plus favorable. Les « vrais » réfugiés seront les grands perdants.

Critères d'application :

Actuellement : si le renvoi « n'est pas raisonnablement exigible en raison d'un danger concret » (art. 14a al. 4 de la Loi sur le séjour et l'établissement des étrangers - LSEE)
Nouvelle loi : au cas ou des personnes « sont exposées à un danger général grave, notamment pendant un guerre ou une guerre civile ou lors de situations violences généralisées » (art. 4 LAsi)
Evaluation : sans changement. La nouvelle formule reprend la définition du « danger concret » donnée par la jurisprudence actuelle.

Prise de décision :

Actuellement : libre appréciation du Conseil fédéral, après consultation du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (art. 14a al. 5 LSEE). En pratique l'avis des cantons est également sollicité et les oeuvres d'entraide peuvent faire connaître leur position spontanément.
Nouvelle loi : libre appréciation du Conseil fédéral après consultation des cantons, des oeuvres d'entraide et du HCR (art. 66 LAsi).
Evaluation : la consultation obligatoire des cantons et des oeuvres d'entraide ne change pas grand chose à la pratique.

Enregistrement :

Actuellement : par les centres d'enregistrement pour ceux qui demandent l'asile. Possibilité d'enregistrement direct par les cantons pour ceux qui ne sollicitent que le statut provisoire (directive 52.3.1, pt 3.1).
Nouvelle loi : dans tous les cas auprès d'un centre d'enregistrement fédéral (art. 69 LAsi)
Evaluation : risque de surcharge des centres d'enregistrement.

Statut :

Actuellement : admission provisoire (livret F)
Nouvelle loi : protection provisoire (livret S)

Assistance de base :

Actuellement : comme les requérants d'asile (art. 14c al. 6 LSEE).
Nouvelle loi : comme les requérants d'asile (art. 82 et 88 LAsi)

Possibilité de travailler :

Actuellement : pas d'interdiction pendant les premiers mois, mais restrictions liées au marché de l'emploi (art. 14c al. 3 LSEE).
Nouvelle loi : interdiction pendant les trois premiers mois, puis restrictions liées au marché de l'emploi. Dérogations év. par décision du Conseil fédéral (art. 75 LAsi).
Evaluation : rares étaient ceux qui trouvaient du travail dès les premiers mois. Les dérogations possibles viendront peut-être compenser ce léger recul.

Regroupement familial :

Actuellement : admis par directives (52.3.1 pt 3.3), en application du droit international (protocoles additionnels des Conventions Croix-Rouge de 1949).
Nouvelle loi : admis par la loi pour les personnes séparées par la guerre, sauf circonstances particulières (art. 71 al. 1 let. b LAsi).
Evaluation : la formulation restrictive de la nouvelle loi pourrait ne pas couvrir le regroupement des réfugiés kosovars avec leurs parents venus en Suisse avant la guerre. Les modalités pratiques (formalités à accomplir, preuve de l'identité) seront déterminantes.

Procédure d'asile :

Actuellement : possible sans restriction. Ceux qui n'ont pas demandé l'asile au début de leur séjour peuvent toujours le faire par la suite.
Nouvelle loi : suspension automatique de la procédure d'asile dès l'octroi de la protection provisoire (art. 69 al. 3 LAsi). Reprise possible après 5 ans (art. 70 LAsi) ou à la levée de la protection (art. 76 LAsi).
Evaluation : un quart des Bosniaques admis provisoirement entre 1993 et 1996 ont fini par obtenir l'asile. Ils auraient perdu cette possibilité avec le nouveau droit (sauf rattrapage aléatoire à la levée de la protection - cf. ci-dessous). L'administration en escompte une économie de travail car la suspension de la procédure supprime l'audition cantonale et l'examen au cas par cas. C'est un calcul à courte vue, car au lieu de traiter les cas au fur et à mesure, on se retrouvera avec un grand nombre de demandes à traiter précipitamment lors de la levée de la protection.

Amélioration avec la durée :

Actuellement : obtention éventuelle d'un permis B pour cas de rigueur après 4 ans (art. 13 let. f de l'ordonnance sur la limitation du nombre des étrangers - OLE).
Nouvelle loi : autorisation de séjour cantonale provisoire après 5 ans avec amélioration éventuelle des conditions d'assistance laissée à l'initiative du canton. Possibilité pour le canton d'accorder un permis C après 10 ans (art. 74 et 91 al. 4 LAsi).
Evaluation : les permis B humanitaires n'étant accordés aujourd'hui que de façon restrictive, la nouvelle loi pourrait déboucher sur une amélioration, mais seulement dans les cantons les plus généreux, et pour autant que la protection collective se prolonge plus de 5 ou 10 ans.

Levée du statut provisoire :

Actuellement : décision collective sans notification individuelle. Droit individuel à faire valoir des obstacles au renvois et à obtenir le réexamen de son cas, sans délai précis pour le solliciter.
Nouvelle loi : décision collective notifiée individuellement avec possibilité de signaler par écrit les motifs s'opposant au renvoi (art. 76 LAsi). Pas de réexamen ultérieur sauf fait nouveau.
Evaluation : l'obligation de s'exprimer par écrit dans un délai précis posera d'énormes problèmes pratiques car il n'y aura à ce stade aucun dossier auquel se référer, faute de procédure d'asile, et les services des oeuvres d'entraide seront submergés de demandes, toutes les personnes protégées devant agir en même temps. En pratique, il sera très difficile de faire apparaître à ce stade des risques de persécutions actuels. Seuls les cas de traumatisme irréversible justifiant une dispense à l'exigence d'un risque actuel pourraient encore obtenir l'asile. Mais ce sont justement ceux-ci qui auront le plus de peine à faire valoir leur cas par écrit dans l'embouteillage que ne manquera pas de créer la levée collective de la protection pour des milliers, sinon des dizaines de milliers de cas.

En fin de compte, il ressort de cette comparaison qu'il n'y a pas d'amélioration décisive pour les réfugiés de la violence. La suspension de la procédure et les restrictions introduites à la levée de la protection empêcheront par contre de nombreux réfugiés individuellement persécutés à obtenir l'asile comme ils en aurait le droit, plutôt que de rester cantonnés dans un statut précaire et provisoire.

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