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Service de presse
2. Capacité d'accueil : la grande intox recommence

Service de presse N° 4 - 25 mai 1999

3. Politique d'asile : propositions pour sortir de l'impasse

Depuis 15 ans au moins, notre politique d'asile s'enfonce toujours plus dans une impasse à cause d'une optique exclusivement dissuasive qui l'empêche de réaliser les conditions de base d'une alternative orientée vers l'accueil des réfugiés. Aujourd'hui, derrière les artifices juridiques qui caractérisent la nouvelle législation, et dont personne ne croit sérieusement qu'ils pourront changer la donne, les responsables politiques s'avouent coincés par l'épuisement des structures d'accueil et les contraintes budgétaires. C'est pourtant sur ce plan que les marges de manoeuvres sont les plus grandes.

Plus d'un milliard de francs, et peut-être bientôt deux. Au moment où la Confédération voudrait équilibrer ces finances, le coût toujours plus élevé de la politique d'asile inquiète. Mais regardons-y de plus près : à 80%, ces coûts sont ceux de l'assistance. C'est à dire d'une politique qui s'est efforcée d'écarter toujours plus les requérants du marché du travail pour les dissuader de venir en Suisse (3 à 6 mois d'interdiction absolue, suivie de telles restrictions cantonales que moins de 20% des requérants arrivés ces dernières années travaillent). La dissuasion n'a pas marché, mais elle coûte cher au contribuable. Et le budget de l'asile pourrait se réduire de moitié si nos autorités avaient le courage de reconnaître leur échec et d'inverser leur politique de marginalisation.

On nous dira que les places de travail font de toute façon défaut aujourd'hui. C'est faux. Même si leur nombre est impossible à déterminer, tous les observateurs s'accordent à reconnaître que notre système économique et social continue de reposer sur le travail au noir de plus de 100'000 clandestins, que notre pays continue de faire venir au fur et à mesure parce que nos concitoyens ne veulent pas se salir les mains. C'est peut-être le plus grand paradoxe de notre politique : d'une part nous empêchons de travailler des dizaines de milliers de requérants qui séjournent légalement en Suisse, d'autre part nous fermons les yeux sur des dizaines de milliers de postes de travail de l'hôtellerie, du tourisme, du bâtiment, du nettoyage et de l'agriculture, dont tout le monde sait qu'ils sont occupés par des clandestins.

Au delà de cette aberration fondamentale, notre conception de l'accueil débouche sur des effets pervers dont nous n'avons pas finit de payer le prix. Dans tous les pays du monde, on travaille pour subvenir à ses besoins. Et nous savons bien, à travers les effets sociaux dévastateurs du chômage de longue durée, que l'oisiveté n'est pas supportable dans la durée. Doublée du déracinement lié à l'exil et des tentations d'une société de consommation, notre politique d'accueil a poussé des milliers de requérants vers la délinquance (à 250 fr. la journée de prison) ou vers la maladie (à 600 fr. la journée d'hôpital psychiatrique). Des effets pervers encore aggravés par une politique systématique d'attribution dans un autre canton que celui où vivent des proches qui pourraient servir de personnes de référence. On sait à quoi cela à mené avec les jeunes Kosovars qui ont quitté en masse la Yougoslavie dès 1991 pour ne pas être enrôlés dans l'armée.

Notre système d'accueil, qui tourne le dos à toute démarche d'intégration a été conçu sur une illusion. Celle que l'arrêté urgent de 1990 allait conduire à des procédures très courte. Mais les faits sont cruels. Les autorités peuvent bien multiplier les décisions sommaires, cela ne modifie pas pour autant la situation dans les pays d'origine, et un grand nombre de requérants déboutés se sont retrouvés admis provisoirement ou tolérés à long terme. Croire que leur marginalisation facilite leur départ est un leurre. Aucune étude sérieuse n'est jamais venu démontrer que ceux qui s'habituent à vivre d'expédients (combines, travail au noir, petits et grands trafics) ou à végéter dans une passivité pathogène (dépression, abandon de toute ambition personnelle) sont ceux qui repartent le plus volontiers. Le sentiment des oeuvres d'entraide est au contraire que ceux qui ont gardé la faculté de vivre normalement sont aussi ceux qui peuvent le mieux assumer leur avenir à travers un projet de retour.

Dernier avatar de cette politique de dissuasion, qui est sans doute la plus chère du monde, le refus récent de tabler sur les possibilité d'accueil dans les familles de la communauté kosovare. Admettre que les liens sociaux puisse favoriser une insertion sans heurts et qu'il n'y a pas de sens à refuser des « places gratuites » alors que les structures officielles manquent de place semble en effet impossible pour nos autorités. Le 27 octobre 1998, J.-D. Gerber, directeur de l'ODR, mettait en garde les cantons contre tout changement de notre politique d'attribution, en soulignant que la clé de répartition ne pourrait plus être respectée. Cette clé de répartition, pourtant, personne ne la met en question. Mais à l'intérieur des contingents dévolus à chaque canton, rien n'empêcherait de choisir des requérants ayant de la famille pour l'accueillir.

Tant au niveau des places disponibles que par rapport au budget global de l'asile, la redéfinition de notre politique d'accueil apporterait un oxygène bienvenu. Dans la foulée, on pourrait aller plus loin en développant enfin une politique d'information positive. Que seraient devenus les débats relatifs au SIDA si l'Office fédéral de la santé avait stigmatisé les malades du SIDA comme des toxicomanes et des homosexuels ? Dans le domaine de l'asile, pourtant, l'ODR n'a cessé de décrire les requérants comme des migrants économiques, en minimisant constamment la gravité des violations des droits de l'homme dans leur pays, comme le fait sa dernière brochure d'information générale (« L'asile en Suisse », ODR, 1999, hiver 1998/99). Les autorités fédérales ne cessent de justifier leur politique restrictive par le souci de ne pas dépasser un certain seuil de tolérance. Et si elles s'employaient à augmenter ce seuil plutôt qu'à le réduire, en présentant l'accueil de réfugiés non pas comme une corvée, mais comme une manifestation de solidarité élémentaire face aux drames vécus par ces derniers.

Ainsi dégagée des contraintes matérielles, financières et politiques qui pèsent sur elle, la procédure d'asile pourrait elle aussi être repensée dans une optique constructive. La lourde structure d'enregistrement mise sur pied en 1988 pourrait se trouver allégée par un enregistrement décentralisé dans les cantons, sans pour autant que la répartition ne s'en trouve modifiée. Dans le même temps, les critères de non entrée en matière pourraient aussi bien être traités dans le cadre de la procédure ordinaire, plutôt que de perpétuer une procédure préalable qui ne fait que compliquer les choses. Les forces ainsi dégagées pourraient permettre d'aller plus directement vers une décision de fond. Quand à l'équité de la procédure, il serait grand temps de l'assurer en transformant le système boiteux des représentants d'œuvre d'entraide en une véritable assistance juridique, plutôt que de s'enfoncer toujours plus dans la guérilla juridique et la multiplication des contestations auxquelles nous ont conduit les révisions successives de la loi. Il en coûtera un peu plus cher, mais cette dépense là serait faible à côté des économies possibles du côté de l'assistance et de l'hébergement. Des milliers de procédures parallèles de recours ou de réexamen portant sur la situation générale dans le pays d'origine pourraient aussi être évitées en faisant dépendre les cas concernés d'une seule décision de principe.

Bref, les possibilités ne manquent pas. Mais il y faut d'abord une volonté politique. Ni l'arrêté urgent décidé en catastrophe au printemps 1998 face à l'accroissement du nombre des requérants kosovars, ni le mépris affiché à l'égard de la proposition d'accueil dans les familles, ni les restrictions ajoutées à la nouvelle loi par des projets d'ordonnance d'application publiés en janvier, ni la façon lamentable dont on gère actuellement le drame des réfugiés kosovars, ne nous donnent hélas le sentiment qu'elle existe.

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