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2. Suspension de la procédure : versions divergentes en français et en allemand

Service de presse N° 3 - 11 mai 1999

L'asile, un domaine de non droit

  1. Voies de recours à un seul niveau
  2. Suppression de tout recours
  3. Absence de recours effectif en cas de renvoi immédiat
  4. Non entrée en matière généralisée
  5. Déni de justice institutionnalisé
  6. Défaut d'assistance judiciaire
  7. Limitation du recours contre une décision incidente
  8. Administration unilatérale des preuves
  9. Restrictions à la consultation du dossier
  10. Notification fictive
  11. Pas de notification au mandataire en procédure d'aéroport
  12. Langue de procédure choisie par l'administration
  13. Pas de report des délais pendant les féries
  14. Délais réduits en procédure de recours
  15. Protection limitée des données personnelles
  16. Transmission de données à l'étranger
  17. Protection des mineurs amoindrie
  18. Assistance sociale réduite
  19. Mesures de contrainte discriminatoires

Les dérogations aux règles générales du droit administratif que constituent les nouvelles règles sur les féries judiciaires, la notification des décisions en procédure d'aéroport et la langue de procédure surprennent par leur côté discriminatoire. Elles ne sont pourtant que la partie visible d'un ensemble de dispositions défavorables aux réfugiés. Si l'on tient compte de toutes les restrictions déjà inscrites antérieurement dans le droit d'asile, force est de constater que les candidats à l'asile ne sont plus aujourd'hui que des personnes de seconde zone. Etat des lieux (les articles de loi cités sont en principe ceux de la nouvelle loi - LAsi).

1. Voies de recours à un seul niveau

Depuis la révision de 1983, l'asile est le seul domaine du droit touchant à des biens juridiques essentiels (la vie, l'intégrité physique, la liberté) pour lequel les possibilités de recours sont limitées à une seule instance (art. 105 al. 1). L'accès au Tribunal fédéral (TF) est exclu (sauf pour ce qui touche au droit pénal et à la détention en vue du refoulement - la nouvelle loi mettant fin au recours au TF pour les cas de rigueur et pour la révocation de l'asile). Dans d'autres domaines, il existe le plus souvent deux niveaux de recours successifs, sinon trois ou quatre. Résultat : un trafiquant de drogue angolais peu bénéficier du non refoulement par décision du TF du 22 février 1999. Mais l'Office fédéral des réfugiés (ODR) et la Commission de recours en matière d'asile (CRA) continuent d'ordonner le renvoi en Angolais des réfugiés déboutés qui ont fait l' « erreur » de ne pas commettre d'infractions pénales (Le Temps, 23.4.99).

2. Suppression de tout recours

Sur certains points, par commodité, le droit d'asile prévoit même la suppression de toute possibilité de recours. C'est le cas depuis 1990 en matière d'attribution à un canton (art. 27 al. 3), ce qui permet à l'ODR de ne pas tenir compte, au mépris du texte clair de la loi, des intérêts sociaux ou linguistiques légitimes du requérant et d'éloigner le nouvel arrivant de ses proches (sauf membres de la famille nucléaire) comme on l'a fait depuis des années avec les Kosovars au risque de favoriser les troubles de comportement et la délinquance. La nouvelle loi exclut également tout recours contre la protection provisoire et la suspension de la procédure en l'absence de persécution manifeste (art. 69 al. 2). Le projet d'ordonnance sur la procédure prévoit également, sans la moindre base légale, la suppression de tout droit de recours avant un renvoi préventif vers un pays membre de l'Union européenne (art. 32 al. 3 OA1). La jurisprudence a pourtant déjà montré que tel ou tel de ces pays pouvaient violer le principe de non refoulement (JICRA 1998/24).

3. Absence de recours effectif en cas de renvoi immédiat

L'obligation de saisir la commission de recours dans les 24 heures (et dans une langue officielle suisse !) en cas de décision de renvoi immédiat (art. 112 al. 1) ne satisfait pas aux exigences d'un droit de recours effectif. La Cour constitutionnelle autrichienne l'a dit clairement à propos d'une modification de la loi autrichienne sur l'asile qui réduisait le délai de recours à 48 heures dans certains cas de figure, en imposant un délai minimum d'une semaine, compte tenu de toutes les difficultés pratiques auxquelles les réfugiés sont confrontés. Mais la Suisse n'a pas de juridiction constitutionnelle. Saisir la Cour européenne des droits de l'homme en invoquant l'art. 13 CEDH sera d'autant plus difficile que cela devra être fait depuis le pays d'origine. Avec la nouvelle loi, le renvoi immédiat aujourd'hui limité à quelques pour cents des décisions pourrait toucher la majorité des cas. Il est prévu dans pas moins de neufs cas de figure : le renvoi préventif sur un pays tiers (art. 23 al. 2 et art. 42 al. 3), le rapatriement depuis l'aéroport (art. 23 al. 3), et d'une façon générale (art. 45 al. 2) en cas de non entrée en matière, c'est à dire pour défaut de demande d'asile (art. 32 al. 1), absence de papiers d'identité (art. 32 al. 2 let. a), dissimulation d'identité ou d'origine (art. 32 al. 2 let. b), défaut de collaboration (art. 32 al. 2 let. c), compétence d'un autre Etat (art. 32 al. 2 let. d), deuxième demande d'asile (art. 32 al. 2 let. e), interception en séjour illégal (art. 33), provenance d'un pays considéré comme « sûr » (art. 34). Dans tout Etat de droit, la possibilité de faire recours est considérée comme un garde fou essentiel face aux risques d'erreur et d'arbitraire. Dans le domaine de l'asile, tout se passe comme si l'ODR était infaillible.

4. Non entrée en matière généralisée

En elle-même, la multiplication des clauses de non entrée en matière est une curiosité du droit d'asile. Dans le droit ordinaire, outre l'abus de droit, défini assez restrictivement par la jurisprudence, la loi fédérale de procédure administrative ne connaît que le motif du refus de collaborer (art. 13 al. 2 PA).

5. Déni de justice institutionnalisé

Dans le droit administratif général, l'administré a droit à ce que son cas soit traité dans un délai raisonnable, et « une partie peut en tout temps recourir pour déni de justice ou retard non justifié à l'autorité de surveillance contre l'autorité qui, sans raison, refuse de statuer ou tarde à se prononcer » (art. 70 PA). Avec la suspension automatique de la procédure, pour 5 ans, en cas de protection provisoire collective, la loi sur l'asile fait exactement le contraire.

6. Défaut d'assistance judiciaire

N'importe quel malfaiteur a droit, en cas d'indigence, à l'assistance d'un défenseur d'office, payé par l'Etat. Il s'agit là d'une mesure propre à assurer le bon fonctionnement de la justice. Le TF a également admis un droit à l'assistance judiciaire en procédure administrative (y compris en première instance) en le déduisant de l'art 4 Cst. Ce droit figure expressément à l'art. 29 al. 3 de la nouvelle Constitution fédérale. Depuis 1968, il était déjà inscrit en toute lettre dans la loi fédérale de procédure administrative (art. 65 al. 2 PA), mais uniquement pour la procédure de recours. Malgré cela, et mis à part quelques cas rarissimes (notamment pour des mineurs non accompagnés), la CRA refuse systématiquement d'accorder aux requérants l'assistance judiciaire d'un défenseur d'office. Argument type : le candidat à l'asile peut très bien se défendre tout seul. Au vu de quoi, les oeuvre d'entraide et les réseaux de solidarités en sont réduits à organiser des permanences sur leurs fonds propres, bien insuffisants pour répondre à la demande.

7. Limitation du recours contre une décision incidente

Sans même attendre la décision de fond, certaines mesures de procédure peuvent normalement être contestées sous la forme du recours contre une décision incidente. La loi de procédure administrative (art. 45 al. 2) cite les motifs de contestation les plus fréquents (compétence, récusation, suspension de la procédure, obligation de renseigner ou de produire des pièces, consultation du dossier, admission des preuves, mesures provisionelles, assistance judiciaires). Pour tous ces motifs, sauf pour les mesures provisionnelles et la suspension de la procédure (hormis le cas de la protection collective), la loi sur l'asile interdit le recours à titre incident (art. 107 al. 1), ce qui empêche de demander la rectification d'un vice de procédure avant la décision finale.

8. Administration unilatérale des preuves

Dans une procédure ordinaire, les parties peuvent donner leur avis sur l'administration des preuves. C'est le cas, notamment, lorsqu'une expertise est ordonnée et qu'il s'agit d'en définir le mandat (art. 19 PA, resp. art. 57 al. 1 procédure civile fédérale). La loi sur l'asile exclut expressément cette possibilité (art. 11).

9. Restrictions à la consultation du dossier

Le droit de consulter le dossier de la cause est une conditions préalable essentielle à l'exercice du droit d'être entendu. Celui-ci ne saurait en effet être exercé valablement sans possibilité de s'exprimer sur l'ensemble des pièces. Dans une procédure normale, le droit de consulter le dossier est la règle, et l'intérêt d'une enquête officielle non encore close ne justifie un refus qu'à titre exceptionnel (art. 27 PA). Dans le domaine de l'asile, le refus d'autoriser la consultation du dossier est systématique jusqu'à la fin de l'instruction, et aucun délai n'est laissé à l'intéressé pour s'exprimer avant la décision.

10. Notification fictive

La notification est essentielle puisqu'elle enclenche certains délais de procédure. Des erreurs postales, un changement d'adresse ou d'autres difficultés peuvent cependant survenir de bonne foi. Dans le domaine de l'asile, une règle spéciale fait toutefois reposer toute la responsabilité sur le requérant. En effet : « toute notification effectuée à la dernière adresse dont les autorités ont connaissance est juridiquement valable à l'échéance du délai de garde de sept jours, même si les intéressés n'en prennent connaissance que plus tard en raison d'un accord particulier avec la Poste suisse ou si l'envoi leur revient sans avoir pu leur être délivré » (art. 12 al. 1).

11. Pas de notification au mandataire en procédure d'aéroport

La procédure menée à l'aéroport suite à la demande d'asile d'un requérant arrivé par avion est réputée urgente, l'intéressé étant assigné à résidence dans la zone de transit jusqu'à droit connu sur sa demande d'entrer en Suisse. En cas de refus, l'ODR peut prononcer une décision de rapatriement immédiat qui ne peut être contrée qu'en saisissant l'instance de recours dans les 24 heures pour lui demander la restitution de l'effet juridique. Il est clair que le réfugié livré à lui-même ne peut agir valablement dans cette procédure très rigoureuse. L'intervention d'un mandataire qu'il aura pu contacter depuis la zone de transit, par l'intermédiaire de proches, voire avant d'arriver en Suisse est essentielle à la sauvegarde de ses intérêts. Le droit d'être assisté d'un mandataire est garanti par la loi de procédure administrative (art. 11 PA). En toute logique, celle-ci précise que « tant que la partie ne révoque pas la procuration, l'autorité adresse ses communications au mandataire » (art. 11 al. 3 PA). La nouvelle loi sur l'asile n'en a cure. Pour la procédure d'aéroport, elle précise expressément que « l'art. 11 al. 3 PA n'est pas applicable » (art. 13 al. 3). Simple, mais il fallait y penser.

12. Langue de procédure choisie par l'administration

Dans le droit administratif ordinaire « les autorités notifient leurs décisions dans la langue officielle en laquelle les parties ont pris ou prendraient leurs conclusions » (art. 37 PA). La nouvelle loi sur l'asile introduit une dérogation à cette règle générale en prévoyant que « la procédure est en règle générale conduite dans la langue officielle dans laquelle l'audition cantonale a eu lieu ou dans la langue officielle du lieu de résidence du requérant » (art. 16). Le requérant francophone placé en Suisse alémanique recevra donc « en règle générale » une décision en allemand. Le message du Conseil fédéral laisse en outre entendre que l'ODR peut utiliser une autre langue que celle du canton d'attribution « pour liquider des dossiers en suspens » (message, p. 16). Des dossiers instruits en français et suivis par des mandataires romands pourront donc faire l'objet de décisions en allemand. La défense des intéressés n'en sera que plus difficile.

13. Pas de report des délais pendant les féries

Compte tenu des périodes de congé, qui interrompent l'activité des tribunaux, aussi bien que des études d'avocats et des bureaux juridiques des oeuvres d'entraide, il est admis dans tous les domaines du droit, et notamment en droit administratif, que les délais (notamment le délai ordinaire de recours qui est de 30 jours) ne sont pas comptés pendant 15 jours à Noël et à Pâques ainsi que du 15 juillet au 15 août (art. 22 a PA). Là encore, la nouvelle loi sur l'asile n'hésite pas à déroger à cette règle générale du droit censée garantie l'équité de la procédure. Elle précise en effet que « la disposition de la procédure administrative concernant les féries ne s'applique pas à la procédure d'asile » (art. 17 al. 1).

14. Délais réduits en procédure de recours

Selon la loi sur l'asile, « les délais impartis [en procédure de recours] pour fournir un moyen de preuve est de sept jours si ces moyens sont en Suisse et de 30 jours s'ils sont à l'étranger » (art. 110 al. 2). On ne connaît pas de règles aussi strictes dans le droit ordinaire. Pense-t-on que les réfugiés sont plus habiles que les autres et qu'ils viennent de pays avec lesquels il est si facile de communiquer et dans lesquels il est si simple de faire des démarches administratives, que l'on puisse leur imposer des délais aussi courts ?

15. Protection limitée des données personnelles

Dans son rapport d'activités 1993/94, le Préposé fédéral à la protection des données lançait un cri d'alarme. Sous le titre « protection des données de police : les nouveaux dangers ! », il expliquait : « ces ``nouveaux dangers'' concernent notamment l'extension constante des systèmes de police existants, la création de bases légales permettant de tout justifier ou encore la mise en place d'un nombre toujours plus impressionnant de liaisons en ligne » (rapport, p. 89). La nouvelle loi sur l'asile est un exemple type de « base légale permettant de tout justifier ». Contrairement au sens de la protection des données, qui consiste à en limiter l'accès et à réduire la saisie à ce qui est strictement nécessaire, elle multiplie les connexion entre tous les services fédéraux et cantonaux ayant affaire avec les requérants (art. 101). On sait pourtant que plusieurs personnes ont été torturées après la transmission d'une liste de requérants d'asile par un policier genevois à des collègues algériens (Tribune de Genève 29.10.97), et que l'accès à des données confidentielles ouvert à des centaines de fonctionnaires n'offre plus aucune sécurité. La nouvelle loi autorise par ailleurs le traitement des données les plus larges, y compris les données médicales (art. 100 al. 2), les données sensibles et les profils de personnalités (art. 102).

16. Transmission de données à l'étranger

S'agissant de la communication de données personnelles à l'Etat d'origine, la loi sur l'asile l'interdit seulement si elle « met en danger » la personne concernée. Au cours des débats, la commission du Conseil national avait remarqué que la preuve de la mise en danger n'existe pratiquement jamais à l'avance, et elle avait proposé d'interdire la transmission dès que celle-ci était « de nature à mettre en danger la personne concernée ». Cet amendement a cependant été repoussé par 76 voix contre 74 le 17 juin 1997, au motif qu'il paralyserait les échanges de données. On livrera donc des données de nature à mettre en danger les réfugiés déboutés. Au chapitre du renvoi, toute précaution a d'ailleurs été abandonnée, en violation formelle d'un des principe de base de la loi sur la protection des données, selon lequel « aucune donnée personnelle ne peut être communiquée à l'étranger (en) l'absence d'une protection des données équivalente à celle qui est garantie en Suisse » (art. 6 al. 1 LPD). La loi sur le séjour et l'établissement des étrangers, qui s'applique aux déboutés, a en effet été modifiée dans le cadre de la révision totale de la loi sur l'asile pour y faire figurer la dérogation suivante : « les autorités compétentes peuvent en vue de l'application des accords de réadmission et de transit, communiquer les données personnelles nécessaires à des Etats qui ne disposent pas d'un système de protection des données équivalent au système suisse » (art. 25c LSEE).

17. Protection des mineurs amoindrie

Alors que le code civil consacre tout un chapitre sur la tutelle, qui est impérative pour « tout mineur qui n'est pas sous autorité parentale » (art. 368 CC), et qui a vocation à veiller à l'entretien et à l'éducation de l'enfant en remplacement des parents (art. 405 CC), la loi sur l'asile introduit une règle spéciale qui n'envisage plus que la nomination d'une « personne de confiance » au mandat mal défini et dont rien n'indique devant quelles instance elle rendra des comptes. Les droits des requérants d'asile mineurs non accompagnés pourront ainsi être traités au rabais.

18. Assistance sociale réduite

Dans le domaine de l'assistance, les barèmes applicables aux requérants d'asile et aux réfugiés de la violence admis provisoirement ne suivent plus les normes de minimum vital applicables aux autres personnes depuis la deuxième révision de la loi sur l'asile, entrée en vigueur en 1988. Actuellement, les subsides d'assistance accordés à un requérant célibataire vivant hors d'un foyer s'inscrivent dans une fourchette allant de 440,- fr. à 645,- fr., alors qu'un Suisse ou un étranger titulaire d'un permis de séjour recevra entre 990,- fr. et 1080,- fr., logement et caisse maladie non compris, selon les normes établies par la Conférence suisse des institutions d'action sociale (CSIAS). En pratique, les requérants d'asile doivent se débrouiller avec un demi minimum vital. Peut-on mieux dire qu'ils ne sont plus que des humains de seconde catégorie ?

19. Mesures de contrainte discriminatoires

On se contentera enfin de rappeler ici, globalement, que les requérants déboutés et autres étrangers en instance de renvoi peuvent faire l'objet de mesures de détention administratives allant jusqu'à un an sans avoir commis de délit (art. 13a et 13b LSEE). Ils peuvent aussi faire l'objet d'une détention préparatoire de trois mois et d'une détention en vue du refoulement de neuf mois en complément des sanctions pénales et pour le même motif (art. 13a let. e et 13b al. 1 let. b LSEE). En dehors des normes pénales usuelles, une mesure de bannissement ou d'assignation à un territoire, dont l'inobservation est punissable par une peine allant jusqu'à un an de prison, peut aussi être infligée à l'étranger sans statut précaire qui « trouble ou menace la sécurité et l'ordre public » (art. 13e LSEE), alors que le Suisse qui se comporterait de la même façon restera impuni. Les mesures de détention administrative ne doivent en outre être soumises au contrôle du juge que dans les 96 heures (art. 13c al. 2 LSEE), alors que ce contrôle intervient dans les 48 heures en matière pénale. Au contraire du criminel, l'étranger détenu administrativement n'a par ailleurs pas droit d'emblée à l'assistance d'un défenseur d'office.

La liste n'est probablement pas exhaustive, mais elle est déjà largement suffisante pour s'interroger sur la dérive qui conduit notre société de priver ainsi des milliers de personnes des droits qui sont ordinairement reconnus à tous. Analysant la montée du nazisme, la philosophe juive Hannah Arendt a bien montré que la Shoah n'aurait pas été possible sans ce long processus qui a consisté à priver systématiquement les juifs de leurs droits. Diabolisés, marginalisés, traités juridiquement comme des sous-hommes, privés du « droit d'avoir des droits » comme le sont si souvent les « sans Etat », ils furent livrés à la « banalité du mal » , c'est à dire à l'extermination organisée comme une vulgaire tâche administrative et industrielle. Des dizaines de milliers de réfugiés requérants ou déboutés sont aujourd'hui traités comme des parias, en Suisse et dans toute l'Europe. Une société démocratique ne peut s'en satisfaire.

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