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Notre regard

Témoignage | On vit mais on n’existe pas. Nous sommes provisoires…

Hakima s’est réfugiée en Suisse il y a 16 ans et y vit avec un permis F. Elle nous a contactés pour dénoncer un statut qui lui a concrètement coûté en possibilité de trouver un emploi dans sa branche, d’habiter dans un canton francophone, donc de s’intégrer plus facilement, d’acquérir une indépendance financière et finalement une stabilisation de sa situation. Elle avait envie de témoigner. Nous lui avons donné la parole.

Nous sommes arrivés en Suisse en 1999, épuisés et traumatisés par la guerre qui se déroulait en Algérie. Nous pensions trouver le repos et la paix, oublier les nuits passées dans l’angoisse.

Après un recours contre une décision négative nous avons obtenu une admission provisoire et depuis 16 ans nous sommes toujours provisoires! Ça veut dire quoi une vie provisoire? On vit ici, mais on n’existe pas! Nous avons enregistré notre demande d’asile à Genève et nous avons été attribués au canton de Berne. Déception! Nous espérions aller dans un canton francophone.

Notre fils aîné a eu un parcours scolaire difficile. Il a changé plusieurs fois d’école. Nous avions de la peine à comprendre les psychologues et les médecins car la langue allemande n’est pas simple. J’insistais qu’il fallait nous expliquer, que nous étions ses parents, qu’il ne fallait pas prendre des décisions à notre place. Mais c’était peine perdue! Pour cette raison, j’ai voulu que nos deux filles aillent à l’école française. J’ai fait une demande. Elle a été refusée, ils ne voulaient pas de permis F. J’ai fait une nouvelle demande, ils ont dit non. A la troisième, ils ont accepté. C’était une victoire!

En 2005, je voulais rentrer en Algérie. La situation du pays semblait stable. La guerre était terminée, il y avait un nouveau gouvernement. Cependant mon mari avait toujours peur. Il voulait rester en Suisse. Alors, j’ai décidé que je devais aimer la Suisse et accepter les conditions de vie qu’elle offrait.

J’ai suivi une formation de coiffeuse et j’ai obtenu mon diplôme. J’aime ce travail, j’ai des compétences et envie de participer à la vie de la société. Pourtant personne ne veut m’employer. J’ai postulé à de nombreux endroits. Partout on me dit : «Nous ne prenons pas les provisoires».

C’est une réponse normale parce que les patrons qui emploient des permis F ont davantage de démarches administratives à faire. Ils se disent : «Ce sont des gens provisoires, du jour au lendemain ils vont partir! Pourquoi je me casserais la tête avec toute cette paperasse!» J’ai demandé du soutien auprès de plusieurs associations pour pouvoir changer de permis. Leur seule réponse : «C’est la politique, on ne peut rien faire.»

En fait, en créant le F, on a construit un mur. Pour trouver du travail, affronter l’avenir et avancer dans la vie, il faut casser ce mur. Et si vous n’y arrivez pas, tant pis pour vous! Je me sens enfermée, nous ne pouvons pas voyager hors de Suisse! Il faut supplier pour qu’on nous laisse sortir, et encore…

Une de mes sœurs vivait à l’étranger. Elle est tombée malade et a été hospitalisée pendant plusieurs mois. Je ne l’avais pas revue depuis quinze ans. J’ai essayé d’obtenir des documents de voyage pour lui rendre visite. Je n’avais jamais les bons papiers. Je courais de démarches en démarches. A la fin, elle est décédée sans que je puisse la voir.

J’ai souhaité me rendre en Algérie pour l’ensevelissement. Lorsque j’ai demandé un visa, j’ai présenté une photocopie de l’acte de décès. On m’a demandé l’original et le billet du cercueil. J’ai baissé les bras! Dans ces cas-là, on se sent vraiment considéré comme une sous catégorie d’êtres humains. Notre vie est entre leurs mains et ils ne nous respectent pas. On ne peut pas garder des personnes provisoires si longtemps! Cela devient une violence morale. Il faut permettre des conditions convenables avec un permis convenable. Je ne peux même pas conclure un contrat de téléphone. Pour cela, je dois demander de l’aide à mes enfants. Ils ont le permis B. Je n’arrive pas à comprendre que l’on puisse l’accorder aux enfants et pas aux parents.

Souvent, je me demande si je ne devrais pas repartir. Je pourrais rentrer en Algérie. Mais comment abandonner mes enfants? Deux d’entre eux sont nés ici, je ne veux pas les déraciner. Même si la Suisse me refuse le droit d’établissement, c’est le pays natal de mes enfants. Je connais le chagrin et la souffrance de l’exil. C’est une douleur qui ne se soigne pas. Je ne veux pas l’imposer à mes enfants.

Propos recueillis par Nicole Andreetta

Cet article a été publié dans le cadre du dossier de notre numéro 156 sur l’admission provisoire et le permis F, qui comprend également les articles suivants: