Dublin et la non-entrée en matière
Une exclusion de la procédure d’examen des motifs d’asile
L’évolution des décisions NEM et NEM Dublin
Une décision de non-entrée en matière désigne la décision des autorités suisses d’écarter un dossier sans examiner les motifs invoqués par la personne requérant l’asile, parce que celle-ci a transité par un État membre de l’accord de Dublin (NEM-Dublin), par un État tiers dit «sûr» ou lorsqu’elles considère que la demande est «manifestement infondée» (Art. 31a de la LAsi).
Les procédures Dublin appliquées par la Suisse sont adaptées du Règlement Dublin, qui fait partie du Régime d’asile européen commun (RAEC). Pour la Suisse, l’accord est en vigueur depuis 2008. Les NEM Dublin sont aujourd’hui les motifs les plus fréquents de non-entrée en matière en Suisse.
La baisse importante des décisions de non-entrée en matière (sans Dublin) après 2013 est liée à un changement de la loi sur l'asile qui a supprimé certains motifs de non-entrée en matière (suppression des articles 32 à 36 de la Loi sur l'asile).
De la demande au transfert Dublin
Le principe de Dublin est que le premier pays de l’espace Schengen/Dublin dans lequel une personne en quête de protection pose le pied devient responsable d’examiner sa demande d’asile, sauf si des motifs s’y opposent. (voir Dublin comment ça marche)
En Suisse, lors de la phase préparatoire de la procédure d’asile, les autorités d’asile (le SEM) vérifient dans la base de données Eurodac si les empreintes digitales du demandeur d’asile ont déjà été prélevées dans un autre État membre du règlement de Dublin. Elles mènent également un « entretien Dublin » afin de connaître l’itinéraire suivi par le·la requérant·e. Si elles estiment qu’un autre État est responsable de l’examen de la demande, elle enclenchent la procédure de prise en charge, définie dans le Règlement européen 604/2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride. Celui-ci distingue trois phases :
- La demande de prise ou reprise en charge auprès de l’État responsable (article 21) qui doit être effectuée dans un délai maximal de trois mois à compter de l’introduction de la demande d’asile. Ce délai est réduit à deux mois s’il y a une correspondance Eurodac.
- La réponse de l’État saisi (article 22) doit intervenir dans un délai ordinaire de deux mois. L’absence de réponse dans ces délais vaut acceptation tacite. La Suisse prononce alors une décision de non-entrée en matière Dublin
- Le transfert vers l’État (article 29): En cas d’acceptation explicite ou implicite de la part de l’Etat saisi, le transfert doit avoir lieu dans un délai de 6 mois. Délai qui peut être prolongé en cas de recours avec effet suspensif (12 mois) ou de « disparition » (18 mois).
Lorsque le transfert n’est pas effectué dans les délais, la Suisse devient responsable d’examiner la demande d’asile. La procédure d’asile nationale démarre. C’est à ce moment-là que le besoin de protection du ou de la requérant·e est examiné.
Procédure Dublin - Une longue incertitude
Lors de la procédure Dublin, les personnes sont généralement hébergées dans les Centres fédéraux d’asile (CFA). Elles peuvent y séjourner jusqu’à 140 jours. À aucun moment, elles ne sont entendues sur les motifs de leur fuite, donc sur leur besoin de protection. Elles restent de longs mois dans l’incertitude. Et parfois pour rien.
Comme on le verra ci-dessous, seule une minorité des procédures Dublin aboutissent à un transfert vers un autre État membre. La Suisse enclenche les procédures Dublin de façon quasi-systématiques. Alors que les demandes « out » vers les autres Etats Dublin a suivi la courbe des demandes d’asile, notamment en 2015 au moment d’une augmentation générale des demandes d’asile en Europe, tel n’a pas été le cas des demandes émanant de ces autres Etats pour une prise en charge des requérants d’asile ayant transité par la Suisse.
Les Dublin "sortants"
Le nombre de transferts « out » effectués est toujours largement inférieur aux demandes de prise en charge et aux décisions NEM Dublin prononcées par la Suisse. Le décalage peut être très important, soit en raison d’un taux de refus élevé de la part des États sollicités (cela a été le cas entre 2014 et 2016) ; soit en raison de l'impossibilité d'effectuer le renvoi dans les délais légaux (6 mois). Dans le contexte d'une augmentation des demandes d'asile en 2015, nous observons également une augmentation de demandes de prise en charge Dublin de la part de la Suisse mais sans impact sur le nombre de transferts. En 2015, sur 16'105 demandes de prise en charge par la Suisse, 58% soit 8529 ont été acceptées (y compris tacitement) par le pays sollicité (contre 80% en 2019). Et 2417 transferts ont été effectués soit 15% des demandes initiales et 28,3% des décisions NEM Dublin (contre respectivement 40,3% et 68,4% en 2019).
Les Dublin "entrants"
Les demandes à la Suisse de prise en charge Dublin (procédures « in ») sont en augmentation constantes depuis l'entrée en vigueur du règlement Dublin en Suisse en 2008. Cette tendance a uniquement été interrompue en 2015 et 2016, où paradoxalement une baisse a été constatée alors que les demandes d'asile étaient en forte hausse en Europe. L’Allemagne avait alors décidé de ne pas appliquer le règlement Dublin pour les ressortissant·es syrien·nes.
Le décalage entre les requêtes de prise en charge, acceptation par la Suisse et transferts effectués est également important. En 2019, 46,7% des demandes ont été acceptées par la Suisse – et 47,7 % des décisions positives ont finit par un transfert vers la Suisse.
L'exécution des renvois Dublin incombe aux cantons, chargés de les effectuer. Afin de garantir un taux d'exécution des renvois élevés – selon les autorités suisses une preuve de la "crédibilité" de la politique d'asile – la Confédération encourage financièrement les cantons. En cas de non-renvoi les cantons doivent assurer la totalité des frais d'accueil et d'intégration des personnes concernées. Cette pratique incite les cantons à durcir leur pratique de renvois mais se traduit également par un nombre important de "disparitions" des personnes préférant la clandestinité au renvoi.
Dublin- un bilan à somme nulle
L'application de l'accord Dublin jugé comme très positif par la Confédération a été vivement contesté par divers associations qui reprochent à la Suisse une application aveugle des renvois: séparation des familles, renvoi de personnes vulnérables ou encore en mettant le poids des demandes sur les pays frontières de l'Union Européenne. Les uns raisonnent en terme de chiffres mettant en avant un bilan positif pour la Suisse entre le nombre de transferts sortants et le nombre de transferts entrants, les autres mettent en avant les coûts humains d'une aburdité administrative.
Alors que l'Appel Dublin appelle depuis 2017 à une application plus humaine du Règlement Dublin, les pratiques du SEM continue à être sujet de critique avec la poursuite des renvois des personnes vulnérables et la séparation des familles. Le bilan numérique des transferts Dublin témoigne de l'absurdité de ces procédures. En Suisse comme ailleurs, les transferts entrants et sortants montrent un jeu à somme nulle, coûteux avant tout humainement, mais aussi financièrement et administrativement.
Le système Dublin est une machinerie coûteuse dont le fonctionnement se chiffre à plusieurs dizaines de millions d’euros par année. "Aldo Brina | Accord de Dublin : des milliards d’euros (et de francs suisses) partent en fumée", publié dans Vivre Ensemble (n°171, février 2019).
Covid-19. Application du règlement Dublin III en pleine pandémie
La Suisse, contrairement à d'autres pays européens, n'a jamais suspendu les renvois Dublin malgré les risques sanitaires et la fermeture des nombreuses frontières.
Même en période de pandémie mondiale, les États membres continuent d’opter pour des choix politiques qui visent à tout sauf à assumer la responsabilité des personnes demandant une protection internationale.
Transferts Dublin et pays destinataires et émetteurs
Le système Dublin a été conçu pour déterminer la responsabilité de la prise en charge des demandes d'asile. Le système du « premier pays d’entrée » a eu pour conséquence une surcharge des pays opérant comme État frontière de l’UE, conduisant à la fois à des difficultés dans l’accueil et l’enregistrement des réfugié·es par ces États et/ou à des pratiques de non-enregistrement ou de refoulements illégaux et de violations de droits humains. La jurisprudence européenne a parfois été amenée à suspendre la procédure Dublin dans certains pays défaillants (la Grèce, la Hongrie) ou à la conditionner à des garanties de prise en charge, notamment pour les familles (Italie).
NCCR | Transferts Dublin: évolution de la jurisprudence
Alors qu'à la fin 2022, l'Italie a annoncé ne plus accepter les transferts effectués depuis la Suisse, au vu de l'augmentation des demandes dans le pays et probablement en lien avec le changement de gouvernement, les transferts de et vers les pays limitrophes témoignent des chemins suivis par les réfugié·es, dont beaucoup liés à la situation politique en Afghanistan ou en Turquie. La Suisse a elle-même été accusée de "laisser passer" les personnes exilées cherchant à rejoindre l'Allemagne, la France ou la Grande-Bretagne depuis l'Autriche, sans enregistrer leurs demandes. Une pratique assumée par les autorités fédérales, qui pourtant adressent la même critique à l'Italie...
L'absurdité de Dublin vue d'Europe
En 2022, sur 180'923 demande de prise en charge Dublin, seules 14'789 ont abouti à un transfert – soit un taux de 8 transferts effectués pour 100 demandes. On note surtout que le nombre de demandes et de transferts entrants et sortants sont quasi-égaux. Des centaines de milliers de personnes sont ainsi ballotées d’un pays dans lequel elles souhaitent s’installer ou ont de la famille vers un autre où elles ne connaissent personnes…
En Europe, en 2022, seules 8 % des procédures Dublin ont effectivement abouti à un transfert vers l’État considéré comme responsable d’examiner la demande d’asile. La procédure Dublin, marquée par une grande inefficacité et une lourde bureaucratie, laisse dans l’incertitude des milliers de personnes avant qu’un État s’intéresse à leur besoin de protection. Quelle que soit leur histoire et les persécutions subies, elles sont traitées comme si leur demande d’asile n’était pas fondée et qu’elles n’avaient pas de raisons d’être là.
Le système Dublin est une énorme charge financière et administrative pour la Suisse et pour toute l'Europe. Le coût de l'inefficacité de Dublin s'élève en milliards d'Euro par année selon un rapport sur les coûts de l'inefficacité de la politique européenne en matière d'asile. Lire à ce propos: