Editorial | Des sous-hommes, des sans-droits
Le Conseil fédéral n’a donc pas hésité à invoquer l’«état de nécessité», alors même que le nombre des demandes d’asile est en baisse et que les retours en Kosove s’amorcent, pour déroger à la loi et prolonger l’interdiction de travailler qui oblige les requérants à vivre comme des assistés sociaux.
Simultanément, des discussions se poursuivent pour restreindre l’accès aux soins des requérants d’asile, non pas seulement pour ce qui touche au choix du médecin, mais aussi quant à l’éventail des prestations. Sous l’impulsion de Madame Metzler, qui en aurait bien fait une mesure fédérale si cela avait été de sa compétence, les directeurs cantonaux de l’instruction publique ont en outre mis le doigt dans l’engrenage de la discrimination scolaire en recommandant la création de classes séparées pour les enfants kosovars, quand bien même leur retour devrait s’étaler sur plusieurs années.
Dans le prolongement de la nouvelle législation sur l’asile, qui multiplie les dérogations au droit commun (voir le document encarté dans ce numéro), s’inscrit ainsi contre les réfugiés une tendance lourde faite de discrimination, de marginalisation et d’exclusion. Très clairement aujourd’hui, les réfugiés non reconnus ne sont plus que des individus de seconde classe, et le pire est peut-être que notre société semble prête à trouver cela normal.
Dans leur dernier bulletin trimestriel, nos amis de «SOS Asile/Vaud» rappelaient fort opportunément certains aspects de la réflexion de la philosophe allemande Hannah Arendt, qui traite dans son analyse de la montée du nazisme et des prémices du génocide juif, de l’importance de l’accès au droit commun pour chacun. Hannah Arendt a bien montré le processus qui tranforme des êtres humains, en des sans-droits pour les livrer à l’arbitraire.
Des dizaines de milliers de réfugiés requérants ou déboutés sont aujourd’hui traités comme des parias, en Suisse et dans toute l’Europe. S’il est clair que priver des individus de l’accès aux droits ne signifie pas encore qu’un processus d’extermination soit en route – voire même envisagé – il n’empêche qu’il en est une des conditions préalables. L’histoire nous montre qu’avant de priver massivement une catégorie d’êtres humains de leur droit à la vie, c’est leur existence comme sujets de droit qui doit d’abord être niée. Et c’est parce que les juifs ont été marginalisés, diabolisés, et traités juridiquement comme des sous-hommes, privés du «droit d’avoir des droits» comme le sont si souvent les «sans Etat», qu’ils purent être livrés à la «banalité du mal», c’est à dire à la «solution finale» organisée comme une vulgaire tâche administrative et industrielle.
Toute proportion gardée, le sort qui est fait aujourd’hui aux réfugiés sans statut reconnu signe l’incapacité de notre société à tirer les leçons de l’histoire. Rien n’indique malheureusement où s’arrêtera la dérive actuelle sur cette pente nauséabonde, où l’exclusion fait de plus en plus écho à la xénophobie, tout en la légitimant.
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