Témoignage | Chaleur et accueil: Un après-midi à la Croisette
Lieu d’écoute, de réconfort, de rencontre, la Maison de la Croisette de l’Aumônerie œcuménique auprès des requérants d’asile et des réfugiés (Agora) est un lieu vivant et animé situé en face du foyer pour demandeurs d’asile des Tattes, l’un des plus grand de Genève. Le témoignage qui suit a été rédigé par un réfugié d’origine africaine qui y anime un atelier informatique.(Réd.)
Nous sommes en plein été, et la chaleur torride qui agit sur les êtres et les choses ne semble faire aucun effet sur les groupes de jeunes, éparpillés par affinité ou centre d’intérêt, ça et là, dams les deux salles réservées à l’accueil de la Maison de la Croisette. Nous sommes mercredi, jour béni parce que celui de mon repos hebdomadaire. Mais c’est sans compter sur l’attrait qu’exerce sur moi l’ambiance de la Maison de la Croisette. Dès la porte franchie, un salut bien africain m’accueille et me remplit d’aise: c’est Sœur Dominique, sénégalaise de cœur et nouvellement affectée à l’Agora, qui veille ainsi sur le protocole.
Ecoute et dialogue
Un peu plus loin, entourée de jeunes filles parmi lesquelles je crois reconnaître deux de mes stagiaires à l’atelier informatique, Anne s’évertue, avec la douce patience qui la caractérise, de donner les informations nécessaires, qui pour un cours de langue, qui pour celui d’informatique. Elle m’accroche au passage pour un complément d’information sur les activités de l’atelier informatique, tout en me rappelant la date fixée pour le repas de Vernier.
En fait de repas, la responsable Marie-José semble absorbée par un duel linguistique, et tente d’expliquer à un couple d’un certain âge, fraîchement débarqué du Centre d’enregistrement de Vallorbe, qu’il est le bienvenu pour un partage du repas de Vernier. Heureusement qu’à ce moment précis, de retour de la cuisine, d’une corvée domestique qu’elle affectionne par-dessus tout, Shirine, la mascotte de la Maison, vient à la rescousse, pour mettre tout ce petit monde d’accord, en se prêtant à merveille au jeu de la traduction. Tout content de cette marque de considération dont Marie-José semble détenir le secret, le couple de Kurdes remercie avec force effusions, et promet d’être au rendez-vous.
Situation douloureuse
Dans la salle du fond qui donne sur l’immense cour de la Maison, malgré un effort certain pour se montrer dignes dans la douleur, des visages graves toute la misère du monde. Leurs propriétaires, serrant fébrilement entre les mains l’objet de leur désarroi – la correspondance émanant de l’Office fédéral des réfugiés (ODR) – n’arrivent pas à masquer leur impatience d’être reçus par un des juristes d’Elisa – anagramme d’Asile. Je me faufile entre les groupes et me retrouve à l’air libre de la cour. Malgré la chape de plomb que fait peser sur moi une température qui avoisine les 30o à l’ombre, je me sens soulagé de n’être plus confronté à toutes ces angoisses, tellement poignantes qu’elles semblent presque palpables. Toutes ces vies tendues vers un seul but: obtenir un asile dont la quête a jusqu’à présent été plus dure que la vie que l’on a dû fuir!
Un dérivatif à l’angoisse
Un détour au jardin communautaire me met face à face avec Hassan, un pharmacien iranien que sa passion pour les plantes et le jardinage ont aidé à ne pas sombrer dans le désespoir. Le sourire permanent qui illumine son visage quand il s’occupe avec un amour non dissimulé de son «lopin de terre», montre combien son passe-temps favori constitue pour lui la meilleures des panacées. Avec sa spontanéité habituelle, il m’enjoint de l’attendre, le temps qu’il déterre quelques radis et cueille des tomates et des courgettes à mon intention.
Je le quitte muni de mon précieux butin et m’engouffre par la porte de la cuisine. Je suis surpris de voir la pièce la plus conviviale de la maison servir de salle d’audience au Maodo. Tiens ! Celui-là je n’avais pas encore parlé de lui. Et pourtant, ses moindres faits et gestes sont guettés comme autant d’exemples à suivre et à perpétuer. Il faut dire que notre homme n’est pas banal: toujours sur la brèche et d’une patience à toute épreuve, il distribue des sourires à tous et a le mot juste pour chacun. Lui, au fait, il s’appelle JPZ. C’est le patron, le Boss comme disent les Américains.
Une persévérance à toute épreuve
Pour l’instant, il semble immergé dans ce qui semble être un compte rendu que lui fait Véronique, l’autre ange de service, celle qu’Ibrahima a surnommée «Cyber-Aumônière», oui ! Celle-là même qui a réussi le tour de force de faire mentir l’adage qui veut que «qui trop embrasse, mal étreint». Inutile de chercher le sujet de conversation des aumôniers: le sort des requérants est leur pain quotidien, et il n’est pas étonnant de les voir se remettre chaque jour davantage à l’ouvrage, comme si les déceptions découlant des renvois, des non-entrées en matière que l’ODR distribue à tour de bras aux requérants, n’avaient plus de prise sur eux.
Une vraie famille
Comme un enfant surpris en faute, j’esquisse une salutation discrète en leur direction et m’engage prestement dans l’escalier qui conduite au premier étage. Des voix feutrées confirment qu’Ange-Marie et Magali sont en train de donner leur cours quotidien de français. Il se dégage de ces dames qui dispensent ces cours, une si grande patience et un tel sentiment de compétence et d’infinie bonté que les salles sont devenues exiguës à cause de l’affluence. Comme un pèlerin arrivant en terre sainte, je longe le couloir et me pose dans l’atelier informatique où me parviennent, dans un brouhaha, les mots «requérants», «requête», «recours», «asile». C’est mon jour de congé hebdomadaire et pourtant, pour rien au monde, je n’aurais perdu cette occasion de baigner dans cette atmosphère bénie et unique de la Maison de la Croisette, où angoisse finit par rimer avec réconfort et tristesse du moment avec joie de vivre retrouvée. Et je me surprends surtout à penser à ma chance d’appartenir à une vraie famille, celle de la Maison de la Croisette.
Paru dans Les Infos Agora, 11/03