Accueil | Requérants logés dans les PC: Un provisoire qui dure
Depuis maintenant bientôt deux ans, des requérants d’asile sont logés sous terre dans le canton de Vaud. Une solution provisoire, due au manque de places dans les foyers et aux difficultés à trouver de nouveaux logements dans les communes. Depuis octobre 2002, une quinzaine de bénévoles se relaient quatre soirs par semaine pour préparer à manger pour les requérants logés dans les quatre abris de Protection civile (PC) de la Côte. Faute de pouvoir faire la cuisine directement dans les PC, ce sont des paroisses qui ont mis à disposition des locaux et les communes qui paient les frais de nourriture. Petite visite à l’heure du repas à la paroisse qui accueille les requérants de l’abri de Coppet.
C’est une salle de paroisse avec une petite cuisine, dans laquelle s’affairent quelques personnes. Les requérants arrivent par petits groupes. L’accueil est chaleureux. Elisabeth, une bénévole, est arrivée là par des amis qui faisaient à manger pour les requérants une fois par semaine et qui l’ont invitée à se rendre dans un abri PC:
«J’y suis allée, et cela a été le choc. Il y avait une trentaine de requérants, et c’était mon premier contact avec eux. J’ai commencé à discuter avec un jeune homme qui m’a raconté son histoire et cela m’a beaucoup touchée. J’ai toujours pensé qu’on avait tous les mêmes droits en Suisse, et je me suis rendue compte que ce n’était pas le cas pour les requérants d’asile, cela m’a beaucoup choquée. J’ai ensuite fait une sortie luge en famille avec des requérants et cela a été un moment magique, après je suis venue faire à manger. On aide selon les besoins, j’aide certains à faire des démarches. Je discute beaucoup avec eux, d’autres bénévoles préfèrent faire la cuisine.»
Colette, elle, a tout simplement répondu à une petite annonce parue dans le journal La Côte, il faut dire qu’elle a été la seule. Une des cuisinières est arrivée suite à un appel de la Paroisse.
Des bénévoles entreprenants
Le soutien des bénévoles ne se cantonne pas aux fourneaux. Ils récoltent les points Migros pour les redistribuer aux requérants afin de les dépanner, et pour qu’ils puissent ainsi compléter leur assistance. Ils ont monté un vestiaire, alimenté par des personnes qui déposent régulièrement des habits. Ils donnent des cours de français aux requérants avant les repas. A Noël, ils ont récolté des jeux pour une trentaine d’enfants logés avec leurs parents dans des foyers de la région. Mais ils essaient surtout de soutenir les requérants:
«Je leur apporte un encouragement, tout simplement, une présence. Je les encourage à ne pas se droguer, à ne pas voler et j’essaie de leur expliquer les conséquences que cela peut avoir sur leur procédure d’asile.» explique Elisabeth.
Des requérants stoïques
Lorsque l’on discute avec les requérants d’asile de leurs conditions de vie, tout semble bien aller. «Je ne savais pas que j’allais être accueilli de cette manière là. Je n’avais aucune idée, mais cela ne m’a pas surpris. C’étaient les conditions pour tout les requérants.» dit F. un Guinéen logé depuis sept mois sous terre. Des responsables de la Fondation vaudoise pour l’accueil des requérants d’asile (FAREAS) passent de temps en temps leur expliquer qu’ils ont des problèmes pour trouver d’autres logements. «On est aussi obligé de comprendre» rajoute-t-il. «A partir de l’instant où tu as des problèmes et que tu cherches à sauver ta peau, tu ne fais pas attention à ça (être hébergé sous terre, ndlr.). Tout ce qui compte c’est d’être sauf. Mais à dire vrai, c’est difficile», ajoute stoïquement A., un requérants d’asile africain logé depuis quatre mois dans un abri.
Une promiscuité pénible
Quelques septante requérants de toutes nationalités sont inscrits dans l’abri de Coppet. Une quarantaine y dorment réellement se partageant trois dortoirs, les autres logent chez des amis. L’abri ouvre à 20h30 et ferme à 7h30. La journée, les requérants la passent dehors. En possession d’un abonnement de train leur permettant de se rendre de leur PC à Nyon, où se trouve un centre de jour de la FAREAS destiné à accueillir les résidents des quatre abris PC de la région, ils sont nombreux à s’y rendre en ces mois d’hiver.
L’un des principaux problèmes relevés en ce mois glacial de janvier, est l’heure du réveil:
«Ils nous font lever tôt. A 6h on doit se lever, faire sa toilette, déjeuner, puis on doit sortir. Ca c’est difficile pour quelqu’un qui n’a pas d’objectif pour sa journée. C’est long. Il y en a qui ont trouvé du travail, qui se lèvent très tôt à 5h pour aller travailler, ça c’est différent.» dit G.
Une cohabitation difficile
Un autre point relevé est la difficulté de cohabiter dans un lieu si restreint: «Dans la PC, il y a parfois des problèmes avec les gens. Il y a des gens qui boivent, des gens qui fument et cela cause des problèmes. Le temps d’aller aux toilettes, je me suis fait voler le natel que j’avais acheté. Le responsable n’a rien fait et j’ai perdu mon natel. Parfois la police vient dans l’abri, elle prend des personnes et les ramène à 6h du matin. C’est difficile, car tu n’as pas de maison, de lieu à toi.» dit P., un jeune requérant de dix-sept ans qui a vécu six mois dans des abris PC avant d’être finalement transféré.
«Dans l’abri, il y a beaucoup de petits problèmes entre les gens. Il y a des gens qui se disputent pour la télévision, il y en a qui veulent regarder le football, d’autres autre chose. Ce sont les requérants qui interviennent pour régler les disputes. Parce que le Sécuritas, s’il intervient, il appelle la police.» dit A.
Un manque de sommeil récurrent
Et le manque de sommeil est semble-t-il récurrent:
«Il y a des gens qui n’arrivent pas à dormir dans l’abri PC. Moi parfois, je ne dors pas pendant 24h. On nous réveille à 6h, on doit prendre le café, et une fois que j’ai pris le café je ne peux plus dormir. Si tu veux te reposer, il faut que tu sois le premier arrivé pour pouvoir occuper un des lits superposés à disposition au centre de jour de Nyon. Et là où on peut dormir, cela sent très mauvais, quand tu fermes la porte l’air ne rentre plus.» dit A.
Des brimades inutiles
Selon une bénévole, certains veilleurs de nuit, dans les PC dont la garde est assurée par une société de surveillance privée, ont des comportements parfois problématiques «qui sont aux limites du racisme». A. raconte:
«On a des problèmes avec un Sécuritas, il nous réveille en tirant les pieds des gens. Le matin pour le petit-déjeuner, il ne dépose qu’une dizaine de morceaux de sucre sur la table. Si l’on n’est pas parmi les premiers levés, il n’y a plus rien. C’est la même chose pour le pain. Finalement, tout pose problème.»
Une inactivité pesante
L’inactivité est pesante pour les requérants: «Je passe la journée du matin au soir au centre de Nyon» dit A.
«Mais il est petit et il n’y a pas assez de place pour tout le monde. Il doit bien y avoir une centaine de personnes qui y vont. On doit parfois attendre que quelqu’un se lève pour pouvoir s’asseoir. Il y a juste un baby-foot, une télévision et des livres. Ce n’est pas facile de n’avoir rien à faire de toute la journée. Et quand après trois mois tu peux chercher du travail, que tu parles et écris en français, on te dit qu’il te faut une formation et quand les employeurs voient ton permis N, ils ne veulent pas t’engager.»
Des conditions pénibles
Les requérants ne peuvent pas faire la cuisine dans l’abri de Coppet, bien que celui-ci soit équipé d’une cuisine professionnelle. Alors, les requérants se font à manger au centre de jour de Nyon: «A Nyon, la cuisine est très petite, il n’y a que deux cuisinières sur quatre qui fonctionnent correctement. A peine tu as posé un ustensile de cuisine que quelqu’un le prend. Le personnel de la FAREAS fait des efforts, mais les requérants sont très nombreux. Même là-bas les gens se battent.» dit A. Malgré tout les requérants s’organisent pour vivre aux mieux.
«On reçoit à peu près 12 francs par jour, alors on s’est mobilisés et on fait la cuisine à dix personnes ensemble.» raconte G.
Un accueil chaleureux
Ils sont donc nombreux à venir participer au repas le mardi soir et pas seulement pour la nourriture. Des requérants maintenant logés dans des foyers d’autres communes reviennent régulièrement:
«Je reviens manger là, car je m’y suis fait des amis», dit P. en désignant les bénévoles autour de nous. «Je reviens là pour les voir, ce sont les personnes qui m’ont aidé quand je suis arrivé en Suisse. Ce sont des personnes bonnes. C’est comme ma famille et ici c’est presque comme ma maison. Vous savez, six mois, c’est long. Ils me respectent pour ce que je suis, c’est bien.» A. rajoute: «J’ai trouvé ici de nouveaux amis. Des gens sympathiques, présents».
Un transfert inespéré
Un possible transfert dans un foyer semble bien aléatoire pour ces requérants.
«Je ne pense même pas à être transférer, je n’espère même pas, car il y a des gens qui sont depuis plus de six mois dans la PC. Il a des personnes qui sont arrivées en même temps que moi, et qui ont déjà été transférées, tu ne sais pas par quel procédé. C’est la FAREAS qui décide.» dit A.
Si les requérants d’asile parlent avec retenue de leurs difficultés à vivre cette situation, les bénévoles, eux, trouvent scandaleuses les conditions dans lesquelles ils vivent. Il suffit de descendre dans un abri pour s’en rendre compte.
Isabelle Furrer
Genève. Une vie sous terre
Dans le canton de Genève, des requérants d’asile sont également logés depuis plus d’une année dans des abris PC ou dans des baraquements. Voici le témoignage d’un ancien civiliste de l’Aumônerie œcuménique auprès des requérants d’asile (AGORA), qui a donné de février à août 2003 dans l’abri de la Protection civile de Châtelaine et dans le baraquement de la Voie-de-Traz, des cours de français à des requérants d’asile. (Réd.)
Dans l’abri ne résident que des hommes seuls, dont à peu près les trois-quarts sont originaires d’Afrique Ils sont généralement une soixantaine, répartis entre les quatre dortoirs souterrains. Comme pour les autres foyers pour requérants d’asile, c’est l’Hospice général qui est chargé de la gestion des lieux. Un intendant est présent la journée, tant pour accueillir les nouveaux arrivants, en provenance d’un des centres d’enregistrement, que pour résoudre les nombreux problèmes auxquels les requérants sont confrontés. Autant dire qu’avec la meilleure volonté, il ne lui est pas possible de s’occuper de l’animation du foyer, mais juste de parer au plus urgent.
Se débrouiller tout seul
Lorsqu’un requérant d’asile arrive dans un abri PC, il ignore combien de temps durera son séjour. S’il est en moyenne de quatre mois, il arrive qu’il dure bien plus longtemps, et ce dans des conditions difficiles. On fournit aux nouveaux arrivants des draps et des couvertures, mais ils doivent ensuite se débrouiller avec les 426 francs qu’ils reçoivent de l’assistance, pour se procurer des ustensiles et couverts de cuisine, ainsi que leur nourriture et tout ce dont ils peuvent avoir besoin pour leur hygiène personnelle.
Perte des repères temporels
Il ne leur est pas interdit de manger ensemble, mais c’est à eux d’en prendre l’initiative. En effet, aucun moment n’est prévu pour des repas en commun, ce qui fait qu’à toutes heures de la journée, on voit des gens manger dans le réfectoire. N’étant pas autorisés à travailler les trois premiers mois suivant leur arrivée, la plupart sont donc profondément désœuvrés et perdent petit à petit leurs repères temporels. Particulièrement ceux qui vivent sous-terre, privés de lumière du jour et soumis à des néons allumés en permanence. Certains souffrent de l’air conditionné qui leur occasionne des problèmes respiratoires. Des douches sommaires existent. Au foyer de la Voie-de-Traz (qu’on appelle communément le camp militaire…), il faut traverser une cour balayée par le vent avant d’y accéder. En hiver et en slip, c’est très bon pour la circulation sanguine.
Une vie spartiate
Les murs des abris sont dénués de décoration, seules de sommaires informations ou des directives concernant la répartition des tâches ménagères sont affichées. Les résidants ne peuvent que rarement s’offrir un sommeil réparateur étant donné la cohabitation forcée entre ceux qui se couchent tôt, les rares chanceux qui travaillent et qui finissent parfois tard, et ceux qui se livrent à des activités illicites parfois réprimées par la police qui mène la chasse à ces derniers jusque dans les dortoirs communs.
Nos autorités semblent avoir comme premier souci, en ce qui concerne l’asile, de ne surtout pas donner une image trop favorable des conditions de vie des requérants dans notre pays. Et pour avoir enseigné à certains, six mois durant, des rudiments de notre langue sur leur lieu d’habitation, je peux témoigner qu’effectivement elles ne sont pas favorables; spécialement pour ceux qui sont logés sous terre pendant des mois.
«Je me retrouvais presque en prison!»
En Suisse, ce fut une autre expérience. Comme il était difficile à quelqu’un de très actif de devenir oisif ! Logé dans un abri à quelques mètres sous terre, je devais partager ma chambre avec vingt personnes inconnues d’autres nationalités. Mon lit mesurait 60 cm sur 200. A un mètre au-dessous de mon matelas, ce n’était déjà plus mon domaine. D’une grande chambre et d’un lit à trois places, voilà où je me retrouvais: presque en prison ! Au bout de quatre mois, les médecins constatèrent que, de 88 kg, mon poids avait chuté jusqu’à 65 kg. A tous ces maux s’ajoutaient les séquelles des mauvais traitements que j’avais subis.
Témoignage d’un requérant d’asile logé dans un abri PC à son arrivée à Genève, paru dans Les Infos de l’Agora, décembre 2003.