Editorial | La grangrène est partout
Est-il permis de dire ouvertement sa colère et son indignation face à l’actualité, telle qu’elle nous arrive d’ici et d’ailleurs?
A l’œuvre en Irak, les «combattants de la liberté» viennent de susciter des milliers de vocations terroristes à coup de tortures et d’humiliations. La haine ainsi semée nous promet, pour demain, un monde de violence sans pareille. En Afrique, des réseaux d’intérêts obscurs attisent les guerres ethniques pour assurer à l’Occident, par multinationales et compagnies de mercenaires interposées, la mainmise sur les ressources naturelles du continent noir. Les flux de réfugiés ne sont pas prêts de tarir.
C’est le moment que la Suisse, et toute l’Europe avec elle, juge opportun pour réviser son droit d’asile afin de mieux rejeter les demandeurs d’asile. L’arrogance de nos parlementaires va même jusqu’à menacer les pays d’origine de leur supprimer l’aide au développement s’ils ne «collaborent» pas.
Faire souffrir, terroriser, forcer l’autre à collaborer sous la menace, c’est devenu le leitmotiv du moment. Pas seulement en Irak. De Genève à Romanshorn, partout, on utilise désormais «l’arme alimentaire». Pas d’aide à la survie pour ceux qui ont reçu une décision de non-entrée en matière s’ils ne montrent pas dociles. Et certains nous préparent déjà de petits Guantanamo sous forme de centres de renvoi dans l’Oberland bernois ou ailleurs.
Comparaison excessive? A peine. La brutalité, chez-nous, n’a pas atteint le même degré (encore qu’elle ait déjà tué Khaled Abuzarifeh, Samson Chukwu, et quelques autres, morts «accidentellement» ou «suicidés» suite à des mesures de contrainte). Mais la logique est la même. D’ailleurs, est-ce une coïncidence si les révélations sur le recours systématique aux humiliations sexuelles, en Irak, nous atteignent au moment où, on peut lire dans le même quotidien en page 5, que l’Angola expulse ses travailleurs étrangers illégaux en les soumettant à des fouilles dégradantes des orifices corporels, et en page 10 que la police suisse commet des abus racistes en utilisant couramment la mise à nu et les fouilles anales pour humilier les Africains interceptés dans nos villes (Le Temps, 28.4.2004)?
Humilier pour mieux dominer. Mépriser pour mieux rejeter. La gangrène est partout. Elle ne s’arrêtera pas sans une insurrection des consciences.
Yves Brutsch