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Notre regard

Non-entrée en matière | Mesures d’allégements budgétaires. Encore pire que prévu…

Depuis le 1er avril 2004, les personnes frappées de décisions de non-entrée en matière (NEM) sont soumises à des nouvelles mesures les excluant de la procédure d’asile et de l’aide sociale normale. Echos des premières mises en application.

Au centre d’enregistrement pour requérants d’asile (CERA) de Vallorbe, on a observé une nette diminution du rythme des décisions de non-entrée en matière à partir du 1er avril. La mise en place du nouveau système par l’Office fédéral des réfugiés (ODR) se fait donc plutôt doucement. Les mandataires du Service d’aide juridique aux exilés ont reçu les personnes concernées, mais les éventuels recours n’offraient aucune chance de succès, notamment à cause du délai de recours ramené à cinq jours.

Chantage à la survie alimentaire

La logique du système est de mettre les personnes sous pression par l’annonce de l’imminente exécution du renvoi. A Genève, une personne frappée de NEM a expérimenté ce que cela peut impliquer. Reconduite une première fois de l’Office cantonal de la population (OCP) sous prétexte de difficultés de compréhension, elle n’a reçu qu’une aide d’urgence limitée à cinq jours. Puis, l’OCP lui a refusé toute aide supplémentaire aussi longtemps qu’elle ne disposerait pas de papiers d’identité pour assurer l’exécution du renvoi. Face à ce chantage, il a fallu effectuer des démarches juridiques, avec l’aide du Centre social protestant, pour simplement obtenir le rétablissement provisoire de l’aide d’urgence.

L’aide d’urgence refusée

Une tendance forte s’impose partout: refuser de donner la moindre aide, sous n’importe quel prétexte. Le but: pousser les personnes visées à respecter l’injonction de quitter la Suisse. Vaud ne veut donner aucune information systématique concernant le droit constitutionnel à l’aide d’urgence. Ailleurs, on ferme la porte à une personne frappée de NEM qui s’est présentée au canton où elle avait vécu avant de déposer sa demande d’asile, car c’est un autre canton qui est chargé du renvoi sur la décision de l’ODR. Ailleurs encore, selon la ligne officielle, l’aide d’urgence n’est prévue que pour les malades.

Une autre méthode efficace: n’ouvrir les bureaux que de 9 à 11 heures, et, avant d’accorder l’aide d’urgence, attendre que la personne la demande très explicitement… A Berne, plusieurs personnes frappées de NEM ont été éconduites de l’aide d’urgence sans autre forme de procès: c’est probablement que le bunker perdu sur le col du Jaun, destiné à les «accueillir», n’était pas encore fonctionnel.

Une aide misérable

Il semble y avoir consensus à définir l’aide d’urgence de la manière la plus réduite possible, le plus souvent en nature, avec éventuellement la couverture des soins d’urgence. Les abris de protection civile sont fréquemment utilisés pour l’hébergement de nuit, mais on n’offre aucun lieu de séjour ni d’activités pour la journée. Quant à la nourriture, elle tend à être limitée à deux repas par jour: c’est bien connu, la victime de NEM n’a pas besoin de manger autant que les autres!

Pressions sur les anciens cas

Le canton de Vaud s’est distingué en étant très actif envers les personnes ayant reçu une NEM avant le 1er avril 2004. Toutes, au nombre de cinq cents environ, ont reçu une lettre début avril les informant qu’elles ne seraient prochainement plus prises en charge par la Fondation pour l’hébergement des requérants d’asile (FAREAS), et qu’elles devraient quitter la Suisse «par leurs propres moyens», une aide financière étant offerte dans ce but. Plusieurs dizaines de personnes ont ensuite été convoquées au Service de la population pour se voir signifier leur mise à la rue sur-le-champ. Affolement complet: elles ne savaient ni quoi faire, ni où dormir, ni comment se procurer à manger…

Directement en prison

C’est en Suisse allemande qu’on semble recourir le plus à la détention sous diverses formes. Ici, quelqu’un rapporte avoir été arrêté pendant 24 heures par la police, puis avoir été relâché sans autre aide d’urgence… qu’une ordonnance de condamnation pour séjour illégal ! Là, les personnes s’annonçant à la police des étrangers doivent compter passer une nuit en détention sous prétexte de vérifications d’identité. Ailleurs, une victime de NEM s’étant présentée au Service social a vu, après une longue attente, arriver… la police. Directement placée en détention, elle a été rapidement expulsée.

Bilan: un système monstrueux

Comme on le voit, les premières expériences du nouveau système en confirment toute la monstruosité. La réduction du délai de recours combinée avec la mise à la rue immédiate prive concrètement les victimes de NEM de tout moyen de se faire entendre par les autorités d’asile: pas assez de temps pour amener des preuves justifiant le recours, plus de possibilité de compléter le dossier par la suite. Pour les anciens cas, l’extraction des lieux de vie est brutale et choquante, laissant les gens désemparés et réduisant à néant ce qui avait pu être construit jusque là.

Quant à l’aide d’urgence, non seulement on cherche à en limiter la portée et le contenu, mais encore elle est utilisée comme un instrument de pression en vue de l’expulsion. Il est extrêmement choquant que même des cantons s’étant opposés au projet en consultation exercent aujourd’hui ce genre de chantage à la survie pour contraindre des personnes qui, on le rappelle, sont venues demander protection à la Suisse. Enfin, le recours à la mise en détention de personnes venues solliciter cette aide d’urgence place l’Etat dans un rôle de producteur actif de sans-papiers. A quand des plaintes pénales contre les responsables cantonaux et fédéraux pour contrainte et favorisation du séjour illégal?

Christophe Tafelmacher


Quelques témoignages

Jean – couturier. Il vient régulièrement au groupe de couture du Point d’Appui à Lausanne (voir p. 18). Un homme sérieux, fier et compétent en tant que couturier. Dès le mois de mai il sera également dans la rue. Lui non plus ne peut pas rentrer chez lui. «En tout cas, je tâcherai de garder ma machine à coudre, nous dit-il, car j’ai beaucoup travaillé pour pouvoir l’acheter». Cet homme, en apparence sûr de lui, est devenu en un jour un homme abattu. Que deviendra-t-il ? Où ira-t-il ? Quel sera son avenir? Le Congo va de plus en plus mal…

Safyha – jeune érythréenne et son fils de deux ans. Elle sera dans la rue à partir du mois de juillet. Son mari l’a lâchée, il était américain. Son petit est aussi américain… Nous essayons un regroupement familial avec le Canada, mais rien n’est moins sûr, nous disait sa soeur à Toronto, car la législation a aussi changé. Elle ne peut pas rentrer, car elle serait punie avec du service militaire et de toute façon, rentrer avec un enfant américain, cela voudrait dire payer chaque année un visa pour lui… et la famille n’en a pas les moyens. De multiples démarches sont en route pour elle, mais l’assistante sociale n’a pas beaucoup d’espoir. Safyha qui ne parle pas encore le français, est vouée à la mendicité…

Témoignages recueillis par Brigitte Zilocchi, médiatrice Eglises-Réfugiés VD


Les requérants se mobilisent

Une trentaine de requérants d’asile africains ont créé mi-mai une nouvelle association: «l’Association des requérants pour l’aide sociale des NEM». Tous sont des requérants africains logés à la FAREAS d’Yverdon. Leur but: créer un fonds de solidarité, prélevé sur leurs maigres revenus, pour aider les requérants frappés d’une NEM. Car pour beaucoup d’entre eux, un départ n’est pas envisageable, et en les sortant de l’assistance, «c’est les pousser à devenir des clandestins. Et là, beaucoup n’auront rien à manger. Certains pourraient devenir malhonnêtes et faire des choses illégales», selon un membre Congolais de l’association, cité dans 24 Heures du 18 mai.