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Notre regard

Témoignages | Réfugiés bosniaques abandonnés à leur sort: L’aide au retour dans l’impasse

Lors de l’accueil des réfugiés bosniaques dans les années 93 à 95, et jusque dans la mise en œuvre du programme d’aide au retour, les déclarations des autorités, articles et communiqués de presse n’ont pas manqué pour donner l’impression d’une grande générosité de la Suisse. Dix ans après, quels sont les constats qui s’imposent? Pour la majorité qui a dû rentrer en Bosnie, divers témoignages démontrent aujourd’hui les contradictions et les impasses d’une politique dépourvue de toute perspective à long terme.

C’est par le Groupe Accueil Réfugiés de La Chaux-de-Fonds que nous avons eu connaissance de plusieurs lettres envoyées par des familles bosniaques, anciennement réfugiées en Suisse, et reparties en automne 1999 pour tenter de se réinstaller en Bosnie-Herzégovine. Des lettres qui sont souvent de véritables appels au secours.

Lettre reçue en décembre 2001:

«Bonjour. Tout d’abord je vous demande comment allez-vous? Peut être que vous avez oublié mais c’est la famille H… Cela fait deux années que nous sommes retournés en Bosnie et chaque jour est plus horrible. (…) On ne sait pas vers qui nous tourner pour demander de l’aide, car ici personne ne veut rien entendre. Mon père a un peu travaillé et ils ne l’ont jamais payé et maintenant il ne peut plus travailler, car il ne peut presque plus se tenir sur ses jambes, et le boulot ici il n’y en a pas (…) On vous demande si c’est possible par des organisations humanitaires de nous aider de n’importe quelle manière, car ici c’est impossible de s’en sortir.»

Aucun soutien

Puis une deuxième lettre, qui apporte des précisions en 2002:

«A la sortie du centre pour réfugiés à Neuchâtel on n’a pas reçu d’argent, ils nous ont dit qu’ils vont l’envoyer dans le canton (en Bosnie) où on vit. Ici ils nous disent que ce n’est pas vrai, qu’il n’y a pas d’argent qui a été envoyé. J’ai été à Caritas suisse qui est à Bihac et là non plus on n’a rien reçu (…) On a contacté le président de la commune et des gens qui travaillent pour les familles sans domicile, puis la même chose pour le canton, aussi le ministre fédéral. Aucune aide. Et le peu d’argent qu’on a apporté de Suisse, on l’a dépensé pour avoir un toit sur la tête. (…) Combien d’aide est parvenue en Bosnie-Herzégovine ? Ceux qui sont dans les plus hautes fonctions volent cette aide et les gens dans le besoin restent dans le besoin. Sur la scène mondiale, ils mettent les fleurs, mais en fait on a les cailloux.»

Piégés en Bosnie

Le Groupe Accueil Réfugiés décide de contacter le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à Genève. Un représentant en Bosnie rend alors visite à la famille H. en avril 2002. Il constate l’état de précarité dans lequel vit cette famille et lui donne quelques adresses. Nouvelle lettre datée de mars 2003:

«J’ai été dans toutes les organisations dans toutes les villes où j’ai entendu dire qu’il y avait de l’aide. La réponse était toujours la même: on ne peut rien pour vous (…) On a encore essayé de faire appel à la loi pour retrouver ce qu’on avait avant la guerre comme biens matériels. On sait en plus qui les a pris. Au lieu de nous aider, les juges ont dit que l’on doit payer 1’500 mark, et que s’ils ne reçoivent pas cette somme d’argent, ils viendront nous prendre ce qu’on possède maintenant (…). Je ne sais pas où me tourner. Ici, si on n’a pas de liens avec les grands, on n’existe pas (…). Ce qu’on aimerait le plus, c’est quitter ce pays pour toujours (…)».

De fait, de nombreux réfugiés renvoyés dans une impasse sont revenus en Suisse. Parfois, l’accumulation des épreuves ayant achevé de les détruire psychologiquement, ils obtiennent l’admission provisoire qu’on leur avait refusée initialement.

Un autre exemple

Cette femme lançait, en janvier 2001, un autre appel à l’aide:

«Chère amie, je voulais t’écrire cette carte pour Noël, mais je n’avais pas de l’argent pour l’envoyer. Ici c’est une grande crise. Il n’y a plus de salaire depuis cinq mois. Jusqu’à maintenant c’est allé, on avait l’argent depuis là bas, mais il n’y a plus. Avec cette lettre, j’aimerai te demander si tu peux me tirer depuis ici. Je ne devais pas partir en Bosnie. Avec les enfants on va être malade sans avoir beaucoup à manger». Elle est revenue en Suisse en été 2002. On l’avait connue forte, très active, ouverte aux autres et toujours prête à rendre service. On la retrouve déprimée, angoissée et très fragilisée, n’arrivant plus à gérer sa tristesse. Ce n’est plus vraiment la même… Suivie en traitement psychiatrique, elle obtient une admission provisoire.

Aller et retour sans fin?

Mais pour beaucoup d’autres, le dépôt d’une nouvelle demande d’asile n’aboutit à rien. Cette famille avait accepté de faire un projet de retour dans le cadre de l’aide au départ. Avec l’argent reçu, les parents ouvrent un café. Mais ils se font très vite traiter de traîtres et de déserteurs pour être partis à l’étranger pendant la guerre. Ils subissent insultes et discriminations. Les clients, policiers compris, repartent sans payer. Le chef de famille se fait même proprement passer à tabac. La famille finit, en outre, par être expulsée de son logement. Les enfants sont rejetés à l’école. Leur santé se fragilise, avec d’importants troubles psychosomatiques. Leur deuxième demande d’asile n’en sera pas moins définitivement rejetée en janvier 2004, les autorités estimant que les problèmes médicaux ne sont pas suffisamment graves et que rien de déterminant ne s’oppose à un retour en Bosnie.

Cas dramatique

Cette autre famille, avait été renvoyée en l’année 2001 sous la contrainte, bien qu’ayant passé huit années en Suisse, avec deux enfants qui avaient suivi toute leur scolarité dans nos écoles et qui ne parlaient pour ainsi dire plus le bosniaque. Ils se retrouvent en Bosnie dans une situation catastrophique. Les enfants sont placés en institution spécialisée pour enfants déficients vu leur méconnaissance de la langue, la famille est victime d’attaques et de violences de la part de tiers les accusant d’être des traîtres, leurs tentatives pour recevoir la protection de l’Etat restent vaines.

Aucun de ces faits ne sera pourtant considéré comme un nouvel élément à prendre en compte, lors de leur deuxième demande d’asile. L’Office fédéral des réfugiés (ODR) décidera la non-entrée en matière et tous les recours n’y changeront rien.

A titre de comparaison

Ces «retours ratés» ne peuvent que nous interroger quant à l’aide que la Suisse a réellement apportée aux victimes de cette guerre. Au-delà d’une protection immédiate, les promesses d’aide au retour n’ont pas été accompagnées par un véritable programme de réinstallation dans ce pays détruit par les massacres et l’épuration ethnique. Même les survivants du génocide de Srebrenica ont été nombreux à être renvoyés.

Après la fin du «Printemps de Prague», en 1968 les réfugiés tchèques recevaient systématiquement l’asile politique. Pourtant, aucun génocide, ni massacre, ni viol collectif, ni torture, ni emprisonnement massif n’avait eu lieu dans leur pays. Ils fuyaient un régime détestable et cela suffisait pour les accueillir. N’est-il pas temps de retrouver une politique d’asile capable de permettre aux personnes ayant fui la guerre et des persécutions de se reconstruire un réel avenir en Suisse ou dans leur pays d’origine?

Danielle Othenin-Girard


Un si difficile adieu…

La politique à courte vue de la Suisse a aussi de graves conséquences pour beaucoup de personnes finalement autorisées à vivre en Suisse, mais seulement avec une admission provisoire qui ne permet ni de s’intégrer, ni de voyager. C’est le cas d’un grand nombre de rescapés de Srebrenica. Une étude récente explique «l’impossible deuil des femmes bosniaques réfugiées en Suisse», principalement à cause de la précarité de leur statut.

Dans ce travail de mémoire, Sofia Ristic analyse les différents contextes de disparition d’un proche, en particulier la «disparition forcée», et s’interroge sur les conditions nécessaires pour mener un processus de deuil. En particulier: l’importance de pouvoir identifier, sinon le corps de la victime, du moins sa tombe ou un lieu d’exhumation; la nécessité de pouvoir retourner sur les lieux, en tout cas de pouvoir renouer quelque chose avec le passé. En Suisse, un grand nombre de ces veuves vivent depuis des années avec une admission provisoire (permis F) qui les empêche de sortir du pays pour tenter de tourner la page de ce passé destructeur.

«Un si difficile adieu… les difficultés dans l’élaboration du processus de deuil chez les personnes touchées par la disparition collective et «forcée» de leurs proches», Sofia Ristic, Ecole d’Etudes sociales et pédagogiques, Lausanne 2002.