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Notre regard

Désinformation | Christoph Blocher: lapsus, mensonges et vidéo. Petits arrangements avec la vérité

Christoph Blocher ment: toute la presse en a fait la démonstration récemment autour du cas de deux Albanais présentés à tort comme des «criminels» par le chef du Département fédéral de justice et police (DFJP), pour critiquer la décision de la Commission de recours (CRA) qui considérait ces ressortissants d’un pays prétendument «sûr» comme victimes de persécutions. Un mensonge mis en évidence par l’enregistrement vidéo du discours de Blocher au rassemblement UDC de l’Albisgüetli, le 20 janvier 2006, et du discours du Conseiller fédéral devant le Conseil des Etats le 22 mars 2006, où il niait effrontément avoir qualifié ces réfugiés de «criminels». Les «regrets» sont venus le 29 mars, en invoquant une sorte de lapsus. Le problème c’est que le chef du DFJP est coutumier du fait.

Lors du même discours à l’Albisgüetli, le tribun zurichois avait aussi cru bon de tourner en ridicule des requérants tamouls rencontrés lors d’une visite à l’aéroport de Kloten, et qui n’auraient eu que le mot «tsunami» à la bouche pour expliquer leurs demandes d’asile. Une enquête de l’émission «Mise au point» avait démenti les faits dès le 29 janvier.

Usant de la même tactique de dénigrement mensongère, le chef du DFJP avait également suggéré, le 17 mars 2005, au Conseil des Etats, que Stanley Van Tha, condamné à dix-neuf ans d’emprisonnement après avoir été remis aux autorités birmanes par trois policiers bernois, le 14 avril 2004, avait dû commettre «des vols ou quelque chose comme ça». On sait aujourd’hui que c’est pour atteinte à la sûreté de l’Etat, que ce réfugié auquel la Suisse a refusé l’asile croupit aujourd’hui dans les geôles birmanes.

Données partielles

Le même jour, alors qu’il s’efforçait de convaincre la Chambre Haute de durcir la loi sur l’asile, Blocher avait repris un des grands arguments de l’UDC: il n’y a que 7% de réfugiés et les autres doivent repartir. En clair: la procédure d’asile est envahie de cas abusifs. Il se justifie donc de durcir drastiquement la législation. L’argument des 90% de faux réfugiés avait déjà failli faire aboutir l’initiative de l’UDC en 2002.

On peut s’attendre à le voir fleurir à l’approche des votations du 24 septembre. La vérité est pourtant qu’une majorité des demandeurs d’asile sont en danger. Les autorités elles-mêmes le reconnaissent en leur accordant souvent l’admission provisoire lorsqu’elles refusent l’asile.

Résultat occulté

Au total, malgré une pratique très restrictive, il y a eu 53% d’admissions à un titre ou à un autre en 2005, et ce taux serait encore plus élevé, si on ne mettait systématiquement certains dossiers de côté en attendant que la situation s’améliore dans le pays d’origine. Les statistiques officielles s’obstinent pourtant depuis des années à occulter ce résultat positif. L’idée des abus généralisés est en effet trop pratique pour démanteler le droit d’asile.

Petit problème de calcul

Une autre manipulation utilisée par Blocher consiste à affirmer que la Suisse dépense un million de francs pour chaque réfugié reconnu (Le Matin, 2.10.05). Le calcul est vite fait. Avec 23’500 réfugiés reconnus actuellement en Suisse et 24’500 admis provisoires, un million par personne impliquerait un budget de 48 milliards! En fait, le budget fédéral pour l’ensemble de l’Office des migrations est passé cette année en dessous de 900 millions…

Députés manipulés

Une des mesures de durcissement les plus sournoise de la révision en cours est aussi le produit du mensonge. Pour faire admettre que l’exclusion de l’aide sociale soit maintenue en cas de procédure extraordinaire – même lorsque l’autorité compétente chargée de la demande de réexamen ou de révision suspend l’exécution du renvoi parce qu’elle considère que la demande n’est pas dénuée de chance de succès – Blocher a fait croire aux Etats, le 1er décembre 2005, que c’était le Tribunal fédéral qui réclamait une base légale express.

En réalité, le Tribunal fédéral, dans un arrêt du 9 février 2005, avait constaté que l’exclusion de l’aide sociale avait pour but d’inciter les déboutés à quitter la Suisse, et qu’il n’y avait pas de sens à appliquer cette mesure à des personnes autorisées à rester en Suisse.

Cela, Blocher s’était bien garder de le dire. Car pour lui, l’exclusion de l’aide sociale a tout son sens si elle permet de faire «disparaître» ceux qui demandent la révision ou le réexamen de leur décision, évitant ainsi à l’Office des migrations d’avoir à corriger toutes ses décisions erronées. A l’évidence, le chef du DFJP n’aime pas la vérité et ne tient pas à la laisser sortir du puits.

Yves Brutsch