Editorial | Il y a 50 ans…
Au lendemain du vote durcissant le droit d’asile et des étrangers, de nombreux articles ont mis en exergue, par contraste, l’accueil exemplaire accordé aux Hongrois fuyant devant les chars russes, il y a cinquante ans. Reçus comme des héros, les réfugiés hongrois de 1956/57 furent 12’000 à recevoir l’asile sans même être soumis à une véritable procédure individuelle. «On m’a logé à l’hôtel avec vue sur le lac» explique l’un d’eux, «l’Université m’a accordé une bourse d’étude alors que j’étais sans papiers» raconte cet autre, et la Tribune de Genève de se demander dans un éditorial du 21 octobre «Mais où est donc passée la Suisse qui aimait tant les réfugiés?».
En 1956, la Suisse venait de prendre conscience, à travers le rapport Ludwig publié en 1954, des milliers de juifs qu’elle avait condamnés à la mort en leur fermant ses portes à l’époque du nazisme. La même année, l’Assemblée fédérale avait approuvé la Convention de Genève relative au statut des réfugiés de 1951, entrée en vigueur, pour la Suisse, le 21 avril 1955. L’écrasement du soulèvement hongrois offrait donc une occasion peu commune de concrétiser ces bonnes intentions.
Cinquante ans plus tard, la comparaison est évidemment consternante, et les grands principes paraissent largement oubliés. Mais les Hongrois étaient nos voisins, blancs et anticommunistes de surcroît. Faut-il donc que les réfugiés nous ressemblent pour que nous respections leurs droits? La nostalgie embellit d’ailleurs les choses, en présentant ces réfugiés comme exemplaires. Les archives du Centre social protestant de Genève, qui a créé son vestiaire social pour l’occasion donnent un autre son de cloche:
«A un enthousiasme immense a succédé des déceptions amères… le pays d’accueil apparaissait très beau, très riche… et le réfugié a eu bien de la peine à comprendre que tout ce qu’il voyait n’était, hélas, pas encore pour lui».
En mars 1962, le chef du service du patronage en était encore à convoquer les institutions publiques et privées autour de «certains cas de hongrois délinquants»…
Les problèmes de l’époque n’étaient donc pas si différents de ceux d’aujourd’hui, car l’exil est toujours un choc, et l’intégration ne réussit que si la société d’accueil le veut bien. Reste que, par comparaison, les réfugiés hongrois partaient avec un préjugé favorable, même si la majorité d’entre eux n’auraient jamais réussi, à l’aune des critères qui sont appliqués aujourd’hui, à démontrer qu’ils étaient l’objet d’une menace de persécution ciblée toujours actuelle. Les affrontements se sont arrêtés après quelques semaines, ils n’étaient pas généralisés, et en définitive, les 3000 morts dus à la répression de 1956 restent cent, voire mille fois moins nombreux que le nombre des victimes de certaines guerres africaines. Les réfugiés du continent noir, qui n’obtiennent plus l’asile qu’au compte-gouttes doivent hélas compter aujourd’hui, avec deux handicaps: la méfiance et le rejet.
Yves Brutsch