Mobilisation | Expulsion d’un mineur: Vaud et Berne s’en lavent les mains
Nous reproduisons ci-contre l’appel lancé mi-novembre par le responsable des classes d’accueil du canton de Vaud, choqué par l’expulsion vers l’Italie d’un élève dont il avait la charge, un Somalien mineur et sans famille. Les réactions et interventions politiques, au niveau cantonal et fédéral n’ont pas manqué. Les autorités cantonales et fédérales, pour leur part, se bornent à assurer que la procédure était légale, et que toutes les garanties avaient été fournies par l’Italie. Pas sûr qu’elles changeront leurs pratiques.
C’est ce qu’on appelle un hasard du calendrier. Le 17 novembre, Evelyne Widmer-Schlumpf rencontrait le ministre italien de l’Intérieur Roberto Maroni pour discuter, entre autres, de collaboration en matière de réadmission et dans le cadre des accords de Dublin.
Tentatives d’intimidation
Au même moment, les politiques et les médias s’emparaient de l’affaire du renvoi vers Rome d’un jeune Somalien de 17 ans en vertu des accords de Dublin. L’indignation (lire ci-contre) du responsable des classes d’accueil du canton de Vaud, qui le comptait parmis ses élèves, face à l’appareil judiciaire et législatif mis en place, en a ému plus d’un. Et le fait qu’un mineur, sans famille et en formation, ne bénéficie d’aucune protection particulière dans le cadre juridique de Dublin, a choqué le landernau politique vaudois.
Aux diverses résolutions et appels lancés aux législatifs cantonal et fédéral, se sont ajoutés de sérieux griefs quant au zèle employé par l’exécutif vaudois et à sa réaction à l’initiative du fonctionnaire. Le ministre de tutelle incriminé, Philippe Leuba, s’était en effet empressé de menacer à mots couverts l’homme par qui la tempête était arrivée, Etienne Corbaz. Il lâchait par voie de presse que «sa démarche posait un certain nombre de questions» qu’il réservait à ses collègues du Conseil d’Etat. Ces derniers ont par la suite estimé que le fonctionnaire n’avait commis aucune faute. (1)
La contestation enflant, Philippe Leuba s’est ensuite défendu de toute inhumanité, annonçant ici et là avoir demandé «des explications» à l’ODM quant aux garanties de prise en charge du mineur données par l’Italie. Dommage que ces explications n’aient pas été demandées avant l’expulsion. C’est que les faits sont quelque peu gênants: la police italienne a bien embarqué le jeune Somalien à sa descente d’avion à Rome, mais juste pour enregistrer ses empreintes. 2 Elle l’a ensuite laissé livré à lui-même, avec pour seul capital un billet retour pour la Sicile… Sans argent et sans toit, le jeune Somalien a erré pendant quatre jours, avant d’être retrouvé par un journaliste italien, qui l’a conduit dans un centre d’accueil pour mineurs tenu par des jésuites. Bref, quelles que soient les garanties, la prise en charge de l’Etat italien semble pour le moins aléatoire. Or rien ne dit que la pratique vaudoise ou helvétique sera désormais plus prudente pour autant.
Les militants vaudois du droit d’asile relèvent en effet à quel point cette affaire s’inscrit dans un bras de fer. Celui que mène une partie du Parlement vaudois, rejoint par le Service de la population du canton aujourd’hui dirigé par Philippe Leuba et qui persiste à répéter que le canton n’a aucune marge de manoeuvre et se doit d’exécuter fidèlement les renvois prononcés par l’ODM. Un bras de fer auquel s’oppose l’autre partie du Grand Conseil, soutenue par la société civile, et qui demande l’application d’une clause arrachée de haute lutte à la suite de l’affaire des 523 déboutés du canton de Vaud, fin 2007. La Loi vaudoise d’application de la LEtr oblige depuis le canton à vérifier que l’exécution d’un renvoi est possible, licite et raisonnablement exigible. Cette disposition, le SPOP comme Philippe Leuba l’ignorent ostensiblement, refutant encore et toujours toute autonomie cantonale dans l’exécution des renvois.
Mais quelle obligation?
Le fait que l’affaire soit un cas Dublin leur donne une nouvelle occasion de s’abriter derrière un «droit supérieur» court-circuitant les mécanismes de protection interne. C’est oublier un peu vite les clauses humanitaires prévues par les accords de Dublin. Oublier, surtout, que si ces accords obligent effectivement l’Italie à réadmettre les «cas Dublin», ils n’obligent aucunement la Suisse à les expulser.
Sophie Malka
Christophe Tafelmacher
(1) Le Courrier, 20 novembre 20092. 24 Heures, 21 novembre 2009
APPEL
Le 12 novembre 2009, Abdirashid, somalien mineur non accompagné (MNA) a été réveillé (alors qu’il était au Centre Evam spécialisé dans l’accueil des mineurs) et emmené par la Police de sûreté vaudoise pour être conduit à l’Aéroport de Zurich en vue d’une expulsion en direction de Rome.
A ce jour, nous ne savons pas si ce renvoi a été exécuté et n’avons aucune autre nouvelle. Aux dires des autorités cantonales et fédérales, qui ont été immédiatement alertées, cette procédure de renvoi a été faite dans le cadre légal et ce renvoi est donc exécutable. Abdirashid est en Suisse depuis le mois de janvier 2009, il y est arrivé seul, sa mère est à Mogadishu et son père est décédé en 2007. Il est scolarisé dans les classes d’accueil de l’OPTI (Organisme pour le perfectionnement scolaire, la transition et l’insertion professionnelle, classes du post-obligatoire de l’école publique dépendantes du DFJC du canton de Vaud) depuis le mois d’août 2009. C’est un excellent élève, sérieux, motivé ; il force l’admiration de ses enseignants quant à son désir d’apprendre et est un camarade respecté et aimé.
Avant son arrivée en Suisse, Abdirashid a transité par l’Italie. Après avoir fui les combats dans la capitale somalienne, il est arrivé à Lampedusa, puis est resté, dans des conditions de vie extrêmement difficiles (au niveau de la promiscuité et de l’hygiène de vie) dans un camp pendant trois mois. Au terme de ce laps de temps, il lui a été signifié: «L’Italie est grande, débrouillez-vous!». Après avoir erré quelque temps en Italie, il a pu rejoindre la Suisse.
Ce parcours, semé de douleurs et d’angoisse, fait que Abdirashid est considéré par les autorités fédérales comme un Cas Dublin. Pour lutter contre ce que les autorités européennes ont l’ironie d’appeler «l’Asylum shopping», les Etats européens ont mis en place un système donnant au premier pays d’arrivée sur sol européen le droit de statuer sur une demande d’asile. La Suisse a ratifié les Accords de Dublin.
Ces Accords ne font aucune distinction entre les personnes majeures et les mineures, la seule obligation étant d’annoncer, lors d’un renvoi, qu’un mineur est à bord. Aucun suivi n’est mis sur pied à l’arrivée dans le pays de destination.
Alors qu’il était en train de trouver un peu de stabilité au sein du centre Evam et dans l’école qu’il fréquentait, Abdirashid, jeune homme de 17 ans, est maintenant, à nouveau totalement livré à lui-même. Les récits des élèves qui ont transité par l’Italie nous font craindre le pire. Nous savons que ce départ a été fait dans le respect des lois. Mais que dire de lois qui lancent sur les routes de l’Europe un mineur, seul, sans aucun soutien ? Que dire de lois qui stoppent un jeune homme dans ses recherches de formation ? Que dire de lois qui empêchent un jeune homme de dire au revoir à ses amis et à ses proches ? Que dire de lois qui troublent le sommeil et conduisent jusqu’à la maladie des jeunes gens confrontés à cette violence institutionnelle ? Nous devons dire notre opposition à l’injustice de ces lois.
Etienne Corbaz Lausanne, le 15 novembre 2009
ACCORDS DE DUBLIN: Moins de renvois que prévu
L’accord de Dublin sur la détermination de l’Etat européen responsable de l’examen d’une demande d’asile est entré en vigueur, pour la Suisse, le 12 décembre 2008. Le bilan, après un an, est consternant. La Suisse persiste en effet à renvoyer en Grèce, en Italie ou à Malte ceux qui y ont transité. Des pays dépassés par le nombre de personnes qui leur reviennent et où les conditions d’accueil sont lamentables. La Grèce a même été condamnée le 11 juin pour traitement inhumain par la Cour européenne des droits de l’homme. Alors que l’Italie était jugée par la même Cour pour violation du principe de non-refoulement, et que sa pratique actuelle de renvoi vers la Libye est plus que problématique.
Pour empêcher les recours contre ses décisions, l’ODM a donné pour consigne aux cantons de les notifier au dernier moment, lorsque le renvoi est imminent. Jusqu’à fin septembre, 4020 personnes, soit un demandeur d’asile sur trois, ont fait l’objet d’une demande de la Suisse pour qu’elles soient reprises par un autre pays. Il y a eu 496 refus, et 1181 transferts ont été effectués, de nombreux cas restant en attente. Ce n’est que devant un cas dramatique, comme celui d’une femme qui a été violée dans un camp de regroupement à Malte, que la Suisse renonce au renvoi.
Yves Brutsch