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Notre regard

Analyse | L’attente à huis clos: des requérants mineurs retenus en zone de transit

Chaque année, 3% des demandes d’asile sont déposées dans les aéroports de Zurich ou de Genève, dont une petite partie par des mineurs qui sont astreints de séjourner dans la zone de transit. En 2009, cette restriction de liberté, qui peut durer jusqu’à 60 jours au maximum, a concerné quelque 22 mineurs. Dans le cadre du mandat que lui a confié le Département de l’instruction publique, l’association Elisa-asile a publié une étude qui examine leurs conditions d’hébergement.

La rétention-détention de mineurs dans les aéroports suisses est un phénomène peu connu et encore marginal dans le domaine de l’asile. Si cette restriction de liberté peut faire l’objet d’un recours auprès du TAF, le Tribunal n’a encore jamais examiné la conformité des conditions d’hébergement des mineurs séjournant dans la zone de transit à l’aune du droit international. En l’espèce, si la mise en œuvre de l’accord de Schengen a mené à une nette amélioration des conditions de séjour, respectent-elles pour autant les standards minimaux en matière d’hébergement des requérants d’asile mineurs ? Afin de répondre à cette question, il faut qualifier la forme de restriction à la liberté subie. À cet égard, la CRA s’alignant sur une partie du jugement rendu par la Cour EDH dans l’Affaire Amuur c. France considéra que la détention et la rétention étaient par essence identiques et ne différaient que par leur intensité. L’évaluation de la Cour EDH est plus tranchée puisque selon elle: «l’étranger retenu en zone de transit est considéré comme en détention lorsque la seule possibilité qu’il a de quitter la zone transit est celle de se rendre dans un pays qu’il a quitté en raison de menaces dont il se prétendait être l’objet ». Pour le Comité européen pour la prévention de la torture, un séjour en zone de transit peut s’apparenter à une privation de liberté et entre donc dans son mandat. La question de la qualification est d’une importance fondamentale puisque le risque inhérent à une qualification erronée est de priver l’individu des garanties et des protections prévues par les instruments juridiques pertinents.

PAS DE PLAINTES INDIVIDUELLES

Et justement, quel est le droit applicable en zone internationale de transit ? Le droit national étant quasiment muet en la matière, il faut se tourner vers le droit international. Il ressort de la jurisprudence de la Cour EDH que la zone de transit d’un aéroport est sous la juridiction de l’Etat. La Suisse doit donc s’y acquitter de ses obligations internationales. Le droit pertinent en la matière est soit européen soit international. Reste à savoir qui va pouvoir le faire appliquer et comment. Bon nombre des normes internationales utilisées font partie du droit non contraignant pour la Suisse, et ne permettent donc pas aux mineurs de s’en prévaloir face à une autorité judiciaire. Pour leurs parts, la Convention européenne des droits de l‘homme (CEDH) et la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) font toutes deux partie du droit contraignant, mais pour cette dernière le caractère auto-exécutoire des normes (possibilité de les invoquer directement devant le juge national) est actuellement encore l’objet de polémiques en Suisse. Et la CDE ne connaît pas (encore) de mécanisme de plaintes individuelles permettant à un mineur dont l’un des droits garantis par la Convention aurait été violé de déposer une plainte.

UN VIDE DE PROTECTION À COMBLER

La Cour EDH analysa récemment les conditions de détention de quatre enfants mineurs détenus avec leur mère dans un centre de détention administrative en Belgique avant leur expulsion du territoire. Elle jugea qu’elles avaient atteint le seuil de gravité de l’art. 3 CEDH, c’est-à-dire qu’elles constituaient des traitements inhumains et dégradants au vu notamment de l’âge de l’enfant, de la durée de la détention, et des répercussions psychologiques engendrées. La Cour trouva également que cette détention violait le droit à la liberté des enfants qui n’avait pas été garanti de manière suffisante, précisant qu’un lien doit exister entre le motif invoqué pour la privation de liberté d’une part et le lieu ainsi que le régime de détention d’autre part. Enfin, la Cour cita à de nombreuses reprises la CDE ce qui peut sembler de bon augure, mais laisse craindre que le degré de non-respect des droits de l’enfant quant à ses conditions d’hébergement ne doive atteindre le seuil de gravité de l’article 3 CEDH pour se voir protéger. Entre les deux, il y a un vide de protection que nos tribunaux doivent combler et nous comptons bien le leur rappeler.

Yasmina Sonderegger, Membre d’Elisa-asile

UN SÉJOUR DERRIÈRE DES GRILLAGES

En 2009, suite à la mise en œuvre de l’accord de Schengen, de nouvelles structures d’hébergement pour les requérants d’asile ont été mises en place à l’aéroport de Genève avec quelques améliorations. Les locaux d’hébergement pour les requérants d’asile comptent désormais trois dortoirs au lieu de deux, le troisième devant servir à loger des mineurs isolés ou des familles pour un total d’environ 35 places. Ces pièces ont dorénavant la lumière du jour et les requérants peuvent se rendre à l’air «libre» grâce à une structure grillagée se trouvant sur le toit des locaux. Les requérants peuvent se déplacer à l’intérieur de la zone internationale de transit non-Schengen qui est moins étendue qu’auparavant. L’Organisation für Regie und Spezialaufträge (ORS) est responsable de l’hébergement et de l’encadrement des requérants d’asile. Les locaux comprennent des sanitaires, une buanderie, quelques livres, deux ou trois jeux pour les enfants, un baby-foot, une télévision et des tables dans la salle de séjour. Les requérants disposent de 3 francs par jour afin notamment de s’acheter des cartes de téléphone, ils ont accès au bureau de consultation juridique d’Elisa-asile et bénéficient des visites de 4 diacres de l’AGORA. Les repas sont livrés chaque jour et l’ORS permet aux requérants qui le souhaitent de cuisiner eux-mêmes. Si ces conditions ne représentent pas la panacée pour des adultes, elles le sont encore moins pour des mineurs qui se retrouvent souvent à jouer dans l’étroit couloir central…

Yasmina Sonderegger