Témoignage | Cette vie en foyer qui tue la vie de famille
Quand une famille vit dans un foyer d’hébergement pendant plusieurs années, elle ne peut que se résigner à subir les désagréments de la promiscuité, avec pour prime des tensions quotidiennes entre époux. Les femmes en souffrent davantage, à l’instar de Refica, une Kosovare qui vit avec sa famille (cinq personnes) dans deux pièces au foyer de Saconnex.
Nous avions au départ l’intention de donner la parole à plusieurs femmes vivant avec leur famille dans un foyer pour requérants d’asile afin qu’elles nous décrivent elles-mêmes les conditions de vie qui sont les leurs dans ces lieux qui, selon les dires des pensionnaires, sont hostiles à toute vie familiale. Mais, des craintes irrationnelles ont empêché toutes les femmes contactées de s’épancher sur leurs expériences, sauf une.
Refica, une jeune femme kosovare, originaire de la Macédoine.Refica a pris le chemin de l’exil avec son mari et ses trois enfants en 2003. La famille est accueillie depuis cette année-là au foyer de Saconnex. Refica et son mari sont toujours dans l’attente d’un permis de séjour stable en remplacement du permis provisoire qui leur «barre le chemin de l’intégration» dans la société genevoise. Leurs trois enfants, eux, ont reçu un permis B. Cette situation ne fait que renforcer l’amertume dans le couple qui vit un calvaire depuis le démarrage de leur procédure d’asile en Suisse.
Refica, vulnérable et meurtrie par les souffrances de la guerre, avait raconté lors de son audition des détails sur ce qu’elle a subi pendant le conflit en Macédoine en tant que femme entre les mains de soudards. Elle n’avait jamais révélé ces faits à ses proches. Pour son grand malheur, le rapport de son audition a été envoyé à l’adresse de son mari. Ce dernier a pris connaissance des faits. Depuis lors, le couple vit dans une tension indicible. Refica vit la tête basse, subissant le regard accusateur de son époux en permanence.
PROMISCUITÉ ET MANQUE DE PERSPECTIVE
D’autre part, cette famille vit dans des conditions de vie précaire; la cuisine du foyer est équipée de deux gazinières pour treize familles. Ainsi, l’attente est longue si l’on veut se mijoter un repas. Pour atteindre les sanitaires, il faut franchir d’interminables couloirs où traînent des personnes ivres ou au comportement pour le moins bizarre.
Pour Refica, la vie intime est une notion presque inexistante dans le quotidien de sa famille. «Les enfants qui sont tous adolescents dorment à nos côtés», déclare-t-elle. Effectivement, ils cohabitent tous ensemble dans deux minuscules chambres ouvertes l’une sur l’autre, où sont juxtaposés des lits pour le mari, sa femme et les enfants.
Le père de famille se lève tous les matins pour aller travailler. Mais son emploi est un pis-aller qui rapporte juste de quoi payer les factures. Il déplore le manque de perspectives avec une autorisation provisoire de séjour. Refica et sa famille ont le sentiment d’être confinés depuis des années dans un réduit où il n’est pas possible de rêver d’une vie meilleure. L’assistante sociale qui s’occupe de la famille de Refica, Lefteri Hasanaj m’explique qu’elle et ses collègues font de leur mieux pour donner un peu de réconfort aux pensionnaires du foyer mais «il est difficile pour des gens qui vivent depuis sept ans dans un foyer de ne pas ressentir de plus en plus fort la frustration et l’humiliation.» Ces personnes sont vraiment isolées de la société qui prétend les accueillir, tournent en rond et plongent progressivement dans l’abîme des pensées négatives.
Salima Khadr
Article paru dans Voix d’Exil