Permis F | L’exclusion au féminin
L’intégration des femmes détentrices d’un permis F est parsemée d’embûches liées à leur genre, à leur statut, à leur position sociale et à leur parcours migratoire. Dans le cadre d’un travail de recherche effectué pour le CSP-Ge d’octobre 2010 à juillet 2011, Sophie Hodel décortique ces difficultés, et offre des pistes pour les dépasser. (réd.)
À Genève, 1’625 personnes vivent sous le régime de l’admission provisoire («permis F») (1). 48% d’entre elles sont des femmes, pour la plupart originaires de pays marqués par des conflits, comme la Somalie ou le Kosovo. Avec l’octroi du permis F, la Suisse les protège provisoirement contre le renvoi. Un statut qui n’a de provisoire que le nom: près de la moitié (46%) des permis F résident à Genève depuis plus de sept ans.
En examinant de plus près cette population féminine, on constate que 60% de celles qui sont en âge de travailler ne se trouvent ni en emploi, ni en formation (2). Des chiffres qu’explique en partie le fait que, jusqu’en 2008, les admis provisoires ne bénéficiaient d’aucune aide à l’intégration et ne jouissaient que d’un accès restreint au marché de travail. Si ces restrictions sont aujourd’hui levées (3), les entretiens menés auprès de vingt et une femmes titulaires d’un permis F à Genève révèlent que des obstacles plus spécifiques persistent dans leur intégration, liés à leur statut, à leur position sociale et à leur parcours migratoire.
Nombre de femmes arrivent en effet fragilisées par les événements précédents leur exil. Elles ont fui des situations de violences politiques, sociales, familiales ou économiques. Un nombre non négligeable d’entre elles sont arrivées seules ou avec leurs enfants et se trouvent en situation de famille monoparentale. D’autres viennent en couple, mais vivent confinées au foyer, sans pouvoir bénéficier des leviers d’intégration que sont le travail ou une formation. Dans ces deux cas, leur migration s’accompagne d’une perte brutale de leurs repères culturels, sociaux et familiaux.
Ces difficultés se conjuguent à celles rencontrées dans leur nouveau lieu de vie. Elles doivent répondre aux besoins de leurs familles dans des conditions sociales et financières très rigoureuses. La plupart des femmes interrogées vivent à la limite du seuil de pauvreté, confrontées à des problèmes récurrents de moyens, de dettes, de logement inadéquat.
Démultiplicateur de précarité
Le plus souvent dénuées d’expérience professionnelle et relativement peu formées, elles se heurtent à d’importantes limites sur le marché du travail. Celui-ci tend vers une professionnalisation de tous les secteurs, de sorte qu’elles n’accèdent qu’à des emplois précaires, mal rémunérés et peu qualifiés, notamment dans le secteur du nettoyage. Les horaires de travail et la flexibilité attendus d’elles dans ce secteur sont difficilement compatibles avec leur vie familiale, ce d’autant plus que les places de crèche font défaut ou qu’elles n’ont pas les moyens de les financer.
Dans ce contexte, leur statut administratif agit en démultiplicateur de précarité. Non seulement parce que la nature provisoire du permis F est source d’angoisse constante, mais aussi parce que ce permis est souvent dévalorisé par les structures et institutions avec lesquelles elles entrent en contact dans leur parcours d’intégration. Le permis F est perçu comme un permis «non valable». Il constitue ainsi un facteur d’exclusion de la société d’accueil et du marché du travail. Pour atteindre une plus grande stabilité, la plupart d’entre elles aspirent à l’obtention d’un permis de séjour (permis B). Mais l’obtention de ce sésame est soumis au critère de l’intégration; et qui dit intégration dit d’abord indépendance financière, et plus secondairement, acquisition de la langue et insertion sociale en Suisse. Or, malgré des efforts et sacrifices conséquents, rares sont celles qui parviennent à cette indépendance pour les raisons évoquées plus haut.
Le conditionnement du permis B à cette indépendance financière repose sur une vision de l’intégration unilatérale, dont la réalisation dépend des seuls efforts de l’étranger. Les difficultés subjectives, mais surtout structurelles qui peuvent y faire obstacle ne sont pas prises en compte. Cette vision contribue à consolider la marginalisation de personnes particulièrement vulnérables et de pérenniser des conditions sociales intenables.
Depuis trois ans, les cantons reçoivent de la Confédération des montants destinés à l’intégration des personnes admises à titre provisoire. De nouveaux dispositifs sont en cours d’élaboration. C’est une occasion de prendre en compte les difficultés rencontrées par cette population afin d’atténuer et non de renforcer ces dynamiques d’exclusion. Ces mesures d’intégration devraient davantage porter sur les besoins de leurs bénéficiaires, y compris les plus vulnérables, plutôt que sur leur seule insertion professionnelle. L’adoption d’une vision de l’intégration comme un processus multilatéral peut également contribuer à identifier et à combattre les entraves politiques et structurelles à l’intégration des femmes admises à titre provisoire.
En ce sens, trois éléments doivent impérativement être pris en compte: la désignation du permis F comme «provisoire», source d’angoisses psychologiques et de discrimination; le cloisonnement du marché du travail par la professionnalisation; et le manque de places de crèches accessibles.
Sophie Hodel
Collaboration: Marie-Claire Kunz
Notes:
(1) Sources: statistiques fédérales en matière d’asile. Etat au 31 décembre 2010. 112 des personnes admises provisoirement ont obtenu la qualité de réfugié.
(2) Statistiques fédérales en matière d’asile et statistiques de l’Office cantonal de la population de Genève.
(3) La nouvelle loi fédérale sur les étrangers (LEtr) du 16 décembre 2006 (RS 142.20) prévoit que les admis provisoires puissent accéder au marché du travail sans restriction, à l’instar des titulaires de permis B, C, ou des Suisses. L’Ordonnance sur l’intégration des étrangers (OIE) du 24 octobre 2007, entrée en vigueur au même moment, prévoit que la Confédération verse aux cantons un montant d’un maximum de 6000 CHF par personne admise à titre provisoire pour le financement de mesure d’intégration.