La Cité | Le vrai visage de l’Aube dorée
Incurie judiciaire et collusion policière. C’est le terreau où prospère la formation politique qui défraye régulièrement la chronique en Grèce, pays en proie aux démons de l’extrémisme nationaliste.
Paru dans La Cité le 5 octobre 2012.
Texte de Cristina Del Biaggio, photos d’Alberto Campi
Petrou Ralli, un mot grec devenu synonyme d’espoir pour des centaines de candidats à l’asile. Mais aussi d’appréhension et d’humiliation. Petrou Ralli, c’est le nom d’une grande avenue à quelques kilomètres du centre d’Athènes où se situe le Département de police des étrangers. Dans une rue parallèle, les requérants campent des heures durant avant d’être autorisés à déposer une demande d’asile. Nous sommes dans la zone industrielle d’Athènes, un jour de fin juillet 2012. Du mercredi au vendredi, chaque semaine, le rituel de la sélection des candidats est immuable. à quelques exceptions près.
TROUBLANTE CONNIVENCE
Au cours d’une chaude nuit de juillet, les miliciens de l’Aube dorée, parti néonazi grec (6,97% des voix en juin 2012), s’invitent dans les lieux pour conspuer et maltraiter les migrants. Les agents de police venaient de bloquer le passage, signifiant la fermeture de ce guichet à ciel ouvert qu’est devenue la ruelle adjacente à l’office des étrangers. Plus personne ne peut y accéder, ni les demandeurs d’asile retardataires ou les amis des requérants (pour amener de la nourriture) ni les journalistes (sauf demande d’autorisation préalable) ou de simples citoyens. Personne, excepté les miliciens de l’Aube doré… Voici le récit de l’une de ces «visites» impromptues.
Il était environ 23 heures, sous les yeux de la police inerte, un groupe d’une quinzaine de motards portant des tee-shirts noirs à l’effigie de l’Aube dorée se sont mis à cracher à plusieurs reprises sur les requérants et à lancer des casques moto à leur encontre. L’opération a duré moins de trois minutes. Un peu plus tôt dans la soirée, nous avions déjà croisé ce même escadron de motards à l’arrêt de bus, à l’intersection de l’avenue Petrou Ralli et d’Agias Annis. Ils s’en étaient pris aux migrants qui attendaient avec nous.
Depuis le fulgurant succès du parti au scrutin de juin 2012, les fidèles de l’Aube dorée ont multiplié ce type d’agressions contre les étrangers. Ils ont jusqu’ici agi dans une totale impunité. Ce qui s’expliquerait, selon Laurie Penny dans l’Independent, par la collusion des milices avec les forces de l’ordre. Selon les statistiques citées par la journaliste britannique, quelque 50% des policiers auraient voté pour le parti xénophobe Aube dorée aux dernières élections. Un billet publié dans Rue89 rapporte un fait révélateur: la police aurait elle-même conseillé à une femme grecque d’appeler les milices du parti néonazi pour qu’elles chassent un immigré qui rôdait autour de son jardin(1). Formant de véritables escadrons, les membres du parti engendrent un climat de terreur dans les rues grecques.
Le rapport de l’ONG Human Rights Watch, intitulé Hate on the streets. Xenophobic violence in Greece (Haine dans les rues. Violences xénophobes en Grèce) dénonce des violences généralisées contre les migrants 2, qui souvent arrivent dans les dispensaires de Médecins du Monde «défigurés par les coups», témoigne Nikita Kanakis, président de l’association, dans le journal La Croix (3). Parfois, les attaques ont une issue bien plus tragique. En août dernier, un jeune Irakien de 19 ans a été tué par cinq motards dans le centre d’Athènes. Le procès de trois activistes accusés d’avoir poignardé Ali Rahimi, un jeune Afghan, est toujours en cours.
FRANCHIR LA LIGNE ROUGE
Le verdict, qui pourrait tomber à la fin de l’année, est très attendu. à ce jour, ces crimes racistes, attribués aux miliciens de l’Aube dorée, sont restés impunis. Malgré la fréquence des violences, les victimes refusent le plus souvent de se rendre au commissariat. Le journaliste indépendant Mathieu Martinière, collaborateur de Rue89 et Slate.fr, relève que la peur de représailles et la méfiance vis-à-vis des forces de l’ordre jouent un rôle. Mais qu’elles ne sont pas les uniques raisons pour lesquelles seulement 1% des agressés portent plainte (selon les estimations du président de la communauté pakistanaise de Grèce). En 2010, la Grèce a introduit une nouvelle mesure qui décourage encore davantage les victimes: pour éviter l’afflux de plaignants aux commissariats, souligne Mathieu Martinière, une loi oblige à payer 100 euros à chaque dépôt (4).
Il est ainsi très difficile de comptabiliser le nombre d’actes racistes. Les statistiques du gouvernement ne sont d’aucune aide: elles recensent deux crimes racistes en 2009 et un seulement en 2008, selon la chercheuse Eva Cosse (5). Les investigations de Human Rights Watch brossent, elles, un autre tableau. Et font notamment voir que Médecins du Monde a soigné 300 victimes d’attaques racistes dans la première moitié de 2011. Et que, dans la même période, l’ONG Praksis s’est occupée de 200 victimes. Alors qu’un réseau d’ONG locales a enregistré 63 incidents racistes d’octobre à décembre 2011 à Athènes et à Patras. Face à ce déferlement de violence, la passivité du gouvernement est pointée du doigt.
Mais, début septembre, Aube dorée franchit la ligne rouge. Ses membres se substituent ouvertement à la police en menant des contrôles de papiers d’identité dans un marché de plein air à Athènes, suivis de saccages d’étals (6). Cela provoque un électrochoc au sein de l’Exécutif grec. Le ministre de l’Ordre public, Nikos Dendias, décrète la «tolérance zéro» contre les groupes auteurs de violences qu’il désigne comme des «sections d’assaut» dans une référence directe aux S.A. hitlériennes (AFP, 20 septembre 2012). La police grecque est alors déployée devant le siège de l’Aube dorée, à Athènes, contrôlant les allées et venues des militants.
C’est en intervenant publiquement et physiquement contre les immigrés que le parti a conquis ses électeurs, qui voient dans les milices néonazies des “good boys” qui protègent leurs communautés, analyse le journaliste Daniel Howden dans The Independent (7). Des quartiers à Athènes sont régulièrement patrouillés par des groupes racistes, témoigne Patrick Keddie sur son blog, au plus fort des expéditions anti-migrants, en mai dernier (8).
CARTOGRAPHIE DE LA HAINE
Dans le petit film qui introduit le rapport de Human Rights Watch, Athènes est comparée à une ville en guerre. Un migrant déclare: «Ici [à Athènes], c’est comme en Afghanistan pendant la guerre. Lorsqu’on quitte sa maison le matin, on ne sait pas si on rentrera vivant le soir (9).»
La comparaison est encore plus frappante lorsqu’on sait que le président de l’association des Afghans de Grèce distribuait systématiquement aux nouveaux arrivants une carte où les quartiers à éviter étaient entourés par une ligne rouge. Il explique à la chercheuse Eva Cosse qu’il entendait reproduire la procédure qu’il avait apprise par la Croix Rouge quand il était encore en Afghanistan pour indiquer aux habitants les endroits où il était déconseillé de se rendre à cause des combats (10). Nous avons demandé une copie de cette carte au président des Afghans de Grèce: «Malheureusement je ne peux pas vous la donner, a-t-il répondu. Je ne sais pas quel journaliste est venu et [a fait circuler la carte]. Mais après cela, j’ai eu beaucoup d’appels d’Aube Dorée et des menaces. Je n’ai plus jamais montré cette carte à personne.»
Malgré la gravité de ces crimes, en Europe, Aube Dorée continue d’être traitée comme un simple symptôme de la crise économique, déplore Laurie Penny. En réalité, souligne Andreas Pantazopoulos, politologue et maître de conférences à l’Université Aristote de Thessalonique, il s’agit là d’une crise identitaire. Et si, comme l’affirme Laurie Penny, le parallèle avec le nazisme est un artifice rhétorique qui intervient souvent de façon simpliste dans le débat, en Grèce, il ne s’agit pas de rhétorique. Les néonazis marchent bel et bien sur Athènes en montrant des svastikas, en brulant des torches et en menaçant des minorités ethniques sous le regard impassible des gouvernements européens. Cela rappelle de (très) sombres moments de l’histoire.
L’OBSESSION DU NETTOYAGE
«Aube dorée» a été fondée en 1993 par Nikólaos Michaloliákos, qui depuisdirige ce parti sans partage. Il affiche clairement son appartenance idéolo-gique, en faisant le salut romain, dès la première session du conseil municipal grec, où il a été élu en 2010 (11). Les auteurs du rapport The 2011 political parties expert survey in Greece, publié par l’Université de Twente, aux Pays-Bas (12), définissent Aube dorée comme étant un «parti nationaliste et xénophobe».
Le Danish Center for Holocaust and Genocide Studies désigne pour sa part le nationalisme extrême et la xénophobie violente comme les caractéris-tiques majeures du néo-nazisme (13). La version moderne du nazisme est, toujours selon ce centre, une idéologie incohérente d’extrême droite, qui emprunte des symboles au nazisme traditionnel, notamment la croix gamée et le salut nazi.
Le néonazisme n’a plus ouvertement comme cible les juifs, mais s’en prend publiquement aux étrangers et aux immigrés. L’un des objectifs majeurs d’Aube dorée est, comme le rappelle l’historienne Emeline Amétis dans L’Humanité (14), l’expulsion de tous les immigrés et, parallèlement, d’empêcher leur arrivée. Le parti réclame à cet effet le (re)minage de la zone frontalière avec la Turquie, alors qu’Athènes et Ankara en ont achevé le déminage en 2009.
Les néonazis grecs poursuivent l’objectif du «nettoyage de la Grèce des immigrés» avec des méthodes qui sont également caractéristiques d’autres groupes nationalistes extrêmes, selon le Danish Center for Holocaust and Genocide Studies. Soit la perpétration d’attaques violentes contre les sans-abris et les étrangers. Le dernier rapport de Human Rights Watch témoigne de façon retentissante de cette dérive en cours en Grèce, une nation déjà tourmentée par un drame financier sans précédent.