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Le Courrier | « Il faut améliorer l’encadrement et occuper les requérants »

Selon Denise Graf, d’Amesty International, la gestion du centre de Perreux doit davantage mettre l’accent sur l’encadrement plutôt que sur la sécurité et les sanctions.

Article paru dans Le Courrier le 19 mars 2013, il peut être consulté en cliquant ici.

Le centre de requérants d’asile de Perreux continue de faire parler de lui. A la suite de l’ouverture d’une enquête pénale pour abus de détresse contre cinq agents de sécurité et trois employés du centre pour avoir entretenu des relations intimes avec des requérants, sept personnes ont été suspendues ou licenciées. Mais pas la directrice du centre, qui conserve son poste. Le ministre de tutelle Thierry Grosjean estime qu’il n’a pas d’éléments nouveaux pour justifier sa suspension. Pourtant, plusieurs témoins dénoncent son autoritarisme et des inégalités de traitement choquantes. La justice aura le dernier mot. En attendant, nous avons demandé la position de Denise Graf, coordinatrice des droits humains à Amnesty International et observatrice privilégiée de ce dossier.

Comment qualifiez-vous la situation à Perreux?

Denise Graf: Des responsabilités multiples pèsent sur le dos de la directrice, qui dirige les centres de Couvet, Fontainemelon et Perreux. Avec 150 requérants, ce dernier requérait à lui seul une direction à 100%. Il y a aussi un grave problème d’encadrement: seules trois personnes sont assignées à cette tâche, qui s’apparente davantage à de la gestion de personnes. Il manque une structure de jour pour les requérants, qui sont livrés à eux-mêmes. Il faut mettre sur pied des programmes d’occupation. Avec un crédit supplémentaire de 864 000 francs pour la sécurité du centre, un bon encadrement pourrait être mis en place, ce qui permettrait de baisser les coûts de sécurité.

Le centre de Sainte-Croix accueille entre 120 à 140 requérants. Outre une responsable régionale, il compte trois assistants sociaux-formateurs, une réceptionniste, un intendant, trois professeurs de français, une infirmière ainsi qu’une quinzaine de bénévoles qui organisent des cafés-contacts et font le lien entre les requérants et la population. Il n’y a pratiquement pas de problèmes d’incivilités tant dans le centre qu’à l’extérieur.

Autre exemple. Au Tessin, 70 000 francs sont investis annuellement dans un programme d’occupation, organisé en collaboration avec les communes. D’abord très réticentes, celles-ci sont maintenant enchantées. Là aussi, la sécurité a pu être réduite.

Depuis quinze ans, la Confédération diminue les forfaits pour l’encadrement. Les problèmes se sont multipliés et on a investi dans la sécurité, beaucoup plus coûteuse. Il est nécessaire de revenir à un meilleur encadrement.

La directrice ne serait pas entièrement responsable de la situation…

Elle a trop de responsabilités. Mais au niveau humain, elle a contribué à l’escalade. Toutes ces inégalités de traitement ont créé des tensions. Le Camerounais avec qui elle aurait entretenu une relation était responsable des requérants placés un temps à l’Ecole d’agriculture à Cernier. C’est extrêmement délicat car il avait un autre statut que les autres requérants. Lorsqu’il est redevenu simple requérant, il a eu des conflits avec des Securitas. Pourquoi n’ont-ils pas pris un réfugié reconnu pour assumer l’encadrement des requérants?

Pourquoi, alors qu’il y aurait eu relations intimes, les prévenus sont-ils soupçonnés d’abus de détresse et non de relations sexuelles forcées ou de viols, comme cela aurait probablement été le cas si ces faits s’étaient déroulés dans un lycée?

La question de savoir s’il y a eu davantage que des abus de détresse mérite un examen extrêmement fouillé. Au vu de la nationalité des femmes impliquées (entre autres des pays appliquant la charia, ndlr), il est difficile d’imaginer qu’elles aient pu être consentantes. L’enquête policière ne sera, selon moi, pas suffisante pour faire la lumière sur la nature de ces relations. Il faudra l’approfondir avec des psychologues. Lorsqu’on sait que dans le domaine de l’asile on a affaire à des personnes vulnérables et que dans certaines cultures parler du viol est totalement tabou, cette question est particulièrement délicate.

En octobre dernier, le Service des migrations (SMIG) a expulsé de manière définitive huit requérants «ingérables». Une décision contraire à la loi fédérale sur les étrangers que le Conseil d’Etat a dû invalider. Récemment, le SMIG a mis sur pied des sanctions contre les requérants ne respectant pas les règles de Perreux. Quel regard portez-vous ces agissements?

Ces pénalités violent l’article 12 de la Constitution fédérale sur l’aide d’urgence et s’en prennent à la dignité humaine. Le Tribunal fédéral a clairement dit qu’on ne pouvait pas restreindre ou couper dans les prestations pour la nourriture et l’entretien. Il est uniquement possible de couper dans les 4 francs d’argent de poche que les requérants en procédure reçoivent chaque jour – les NEM en sont privés.

Pour pouvoir appliquer ces sanctions, encore faudrait-il que les règles soient claires et que les horaires des cours de français soient affichés le soir avant et non le matin même, comme c’est semble-t-il parfois le cas. Par ailleurs, des leçons d’un quart d’heure ressemblent davantage à un moyen de contrôle qu’à un véritable cours.