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Documentation

La Liberté | La Suisse désavouée

Le requérant nigérian pourra rester en Suisse, près de ses filles jumelles

Article de Serge Gumy paru dans La Liberté le 17 avril 2013. L’article peut être consulté en cliquant ici.

JUSTICE • La Cour européenne des droits de l’homme désavoue les autorités suisses sur l’expulsion d’un criminel étranger. Pour elle, l’intérêt des enfants prime sur la sécurité.

Voilà qui ne manquera pas de relancer le débat sur l’application de l’initiative pour l’expulsion des criminels étrangers. Hier, la Cour européenne des droits de l’homme a désavoué les autorités suisses. Aux yeux des juges de Strasbourg, l’expulsion d’un père de famille nigérian condamné en 2006 pour trafic de drogue viole en effet le droit à la protection de sa vie privée et familiale, garanti par la Convention européenne des droits de l’homme.
Agé de 40 ans, l’homme en question est père de trois enfants. Il a d’abord eu deux filles jumelles d’une Suissesse qu’il a épousée en 2003 et dont il a divorcé depuis (il a eu récemment un troisième enfant avec sa nouvelle compagne). Or, en raison du divorce de leurs parents, «l’éloignement forcé du requérant est susceptible d’avoir pour conséquence que les deux filles grandissent séparées de leur père», relève la Cour. Qui estime qu’il est dans l’«intérêt supérieur des deux filles qu’elles puissent vivre auprès de deux parents». Dès lors, «la seule possibilité de maintenir un contact entre le père et les enfants est de l’autoriser à séjourner en Suisse».

Condamné deux fois
En 2006, pourtant, le Nigérian a été condamné en Allemagne à 42 mois de prison pour trafic de cocaïne. Une peine qui s’ajoute à celle reçue auparavant en Autriche, toujours pour trafic de drogue. C’est sur la base de ces antécédents judiciaires que l’Office des migrations de Bâle-Campagne avait décidé de l’expulsion. Les 165 000 francs touchés au titre de l’aide sociale constituaient à son avis un facteur aggravant. Saisi d’un recours, le Tribunal fédéral partageait cette opinion.
La Cour européenne des droits de l’homme met le holà. Elle relève que le requérant n’a commis qu’une seule infraction grave et que son comportement ultérieur a été «irréprochable». Les sept juges de Strasbourg n’étaient toutefois pas unanimes. Pour deux d’entre eux, «sa condamnation pour trafic de drogue joue considérablement en défaveur» du requérant.

Pas le premier désaveu
Ce n’est pas la première fois que la Suisse se fait désavouer dans une affaire d’expulsion de criminel étranger. Cette fois, Berne pourrait ne pas en rester là. «Nous allons analyser la décision de la Cour européenne en détail avant de décider de saisir ou pas sa Grande Chambre (qui fait office d’instance de recours, ndlr)», commente Ingrid Ryser, porte-parole de l’Office fédéral de la justice.
Ce verdict s’avère d’autant plus sensible qu’il tombe alors que le Conseil fédéral cherche toujours le bon moyen d’appliquer l’initiative pour l’expulsion des criminels étrangers, acceptée en votation en novembre 2010. Le gouvernement balance entre le respect pur et simple du texte de l’UDC et un renvoi moins automatique et plus conforme au droit international (option qu’il privilégie). A bout de patience, les démocrates du centre ont déposé en décembre dernier une seconde initiative visant l’application à l’échelle «1:1».
«Cet arrêt montre toutefois que l’initiative de l’UDC peut entrer en conflit avec le droit international, accepté par le peuple et les cantons», avance le conseiller national socialiste vaudois Jean Christophe Schwaab. «Le comportement du plaignant ne m’inspire aucune mansuétude, il devait être condamné à la prison. Mais les droits de l’homme, dont le regroupement familial fait partie, sont aussi importants.»
Alors, inapplicable, l’initiative UDC? «Le risque de se faire moucher à Strasbourg existe, et c’est toujours embêtant. Mais l’immense majorité des cas seront à mon sens suffisamment clairs pour que la Suisse obtienne gain de cause», relativise le conseiller national UDC Yvan Perrin. Qui ajoute: «La Cour européenne manifeste en l’espèce son inadéquation totale avec la réalité. Sans compter que le  monsieur en question avait placé la barre suffisamment haut pour justifier une ­expulsion.»