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Swissinfo | Italie: vagabonds de l’asile

Chaque année, des milliers de requérants d’asile arrivent en Suisse depuis l’Italie. Le manque de mesures d’intégration, de logements et d’emplois les pousse à franchir la frontière, le plus souvent pour être finalement renvoyés. Reportage à Milan.

Article de Stefania Summermatter publié le 16 avril 2013 par Swissinfo.

«Il n’y a pas grand-chose à faire ici… pas de travail, pas d’école». Il est dix heures du matin et Vivian est assise devant la télévision. Elle regarde défiler les images en essayant de capter quelques mots ici et là. Pour apprendre l’italien, dit-elle, mais aussi pour passer le temps.

Vivian a fui l’Egypte il y a presque deux ans, après la chute de Moubarak, avec son mari et ses trois jeunes enfants. A peine débarquée en Italie, la famille a été conduite au centre CARA de Mineo, en Sicile, où, selon la loi italienne, les candidats à l’asile ne peuvent rester que 35 jours au maximum, le temps de vérifier leur identité et de définir la procédure qui leur sera appliquée. Mais là, les conditions d’accueil sont limite (jusqu’à 1300 places) et les mesures d’intégration insuffisantes.

Pourtant, Vivian et sa famille sont restés une année à Mineo. Jusqu’à ce que, attirés par le bouche à oreille qui promettait de meilleures chances de trouver du travail, ils décident de venir à Milan. En poche, un statut de protection humanitaire (une particularité du droit italien), qui correspond à un statut national de réfugié et donne droit à un permis d’un an, renouvelable.

Nous la rencontrons au centre pour femmes de la Via Sammartini, un bâtiment plutôt spartiate, à quelques minutes de bus de la gare centrale de Milan. Ici vivent une trentaine de femmes et autant d’enfants. La plupart sont réfugiés et quelques-uns requérants d’asile, avec le droit de rester au maximum dix mois.

Requérants et réfugiés sous le même toit

«Les réfugiés n’ont pas droit à un minimum vital; ils peinent à trouver un logement et un travail. Ainsi, ils se retrouvent souvent en situation de grande précarité et se tournent vers les diverses structures d’accueil pour les migrants. Mais ces centres sont à peine suffisants pour offrir un toit aux milliers de personnes qui arrivent chaque mois sur le territoire», explique Don Roberto Davanzo, directeur de Caritas Ambrosiana à Milan, qui coordonne la gestion des centres d’accueil pour le compte des autorités de la ville.

En 2011, le Haut-commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) a recensé 34’120 demandes d’asile en Italie, puis 15’170 en 2012. S’y ajoutent 58’000 réfugiés politiques, selon une estimation des Nations unies de juin 2012. Or, les centres d’accueil gérés directement depuis Rome ne totalisent qu’environ 10’000 places. Et ceux qui dépendent des régions ne suffisent pas à compenser la différence. Conséquence: les listes d’attente s’allongent. A Milan, une quarantaine de femmes et d’enfants attendent qu’une place se libère à la Via Sammartino.

En fait, l’Italie est un des rares pays d’Europe à ne pas avoir de loi-cadre sur l’asile. Le domaine est régi par une série de décrets adoptés pour faire face aux urgences migratoires dans un pays que les accords de Dublin ont placé doublement en première ligne. «Le système est plutôt fragmenté et crée de grandes disparités entre les régions», explique au téléphone le Suisse Beat Schuler, juriste du HCR à Rome.

Trop tard, pas d’école jusqu’en septembre

Pendant que Vivian bavarde avec une compatriote, nous visitons le centre de la Via Sammartini. Trousseau en mains, la coordinatrice Daniela Ceruti nous montre l’infirmerie, la buanderie, la salle d’atelier et celle où les enfants peuvent jouer. Toutes strictement fermées à clé. Pour éviter les vols, dit-elle. Deux garçons descendent l’escalier. Bizarre… ce n’est pas un jour de congé, ne devraient-ils pas être en classe?

Daniela Ceruti explique que de nombreux enfants – dont la fille aînée de Vivian, neuf ans – ne sont arrivés au centre qu’après Noël. Soit trop tard pour être intégrés dans une classe. «Ils devront attendre jusqu’à septembre, si d’ici là la famille n’a pas décidé de quitter la ville», note la coordinatrice.

L’heure du repas approche et Vivian attend impatiemment l’arrivée de son mari. Elle le voit presque tous les jours, mais ils ne vivent pas ensemble. A Milan en effet, il n’y a pas de structure d’accueil pour les familles et les hommes sont logés dans des centres à part, parfois à l’autre bout de la ville.

Recherche travail, désespérément

Nous nous rendons dans la banlieue nord de Milan, station Bignami. Au fond d’une ruelle, derrière une clôture verte, se cache un vieux bâtiment préfabriqué qui fait plus penser à un entrepôt abandonné qu’à un centre d’accueil. Autrefois, c’était une école. Aujourd’hui, une cinquantaine d’homme vivent là.

A cette heure de l’après-midi, le lieu est presque désert. Les résidents doivent partir après le petit déjeuner. La plupart s’en vont à la recherche d’un emploi, à l’usine, sur les chantiers ou dans les champs. En Italie, contrairement à la Suisse, la loi autorise les requérants d’asile à travailler dès qu’ils ont séjourné six mois dans le pays. Mais par ces temps de crise économique, les offres sont rares, même pour des emplois peu rémunérés.

Dans la pièce centrale, cinq ou six hommes assis à une table discutent avec les assistants sociaux. Ils tirent un bilan de leurs dix mois passés au centre. Dans quelques jours, ils devront partir, mais quelques-uns ont déjà une solution de rechange. Certains iront chez un ami, d’autres finiront peut-être dans un des nombreux refuges illégaux comme il s’en trouve dans toute l’Italie. «C’est la réalité du tiers monde, constatent les volontaires de l’ONG milanaise Naga Har, qui visitent régulièrement ces endroits. Les gens dorment sur des matelas jetés par terre, avec les rats, sans eau potable ni électricité».

Pour ceux qui ne veulent pas s’y résoudre, reste l’option de reprendre la route. Certains choisiront d’émigrer vers le sud, en attendant le début de la saison des travaux des champs, d’autres iront au nord, par-delà la frontière, soit directement en Suisse, soit en Allemagne, ou plus loin encore, vers les Pays-Bas ou la Suède.

Le «tourisme de l’asile»

Selon Beat Schuler, du HCR, l’Italie est davantage considérée comme un pays d’arrivée que comme un pays de séjour. De là, les réfugiés essayent de rejoindre les pays où ils trouveront une forte communauté de leurs compatriotes ou ceux où ils savent que les conditions sociales et les perspectives de travail sont meilleures. Dans ce sens, la Suisse est un objectif pour certains et un passage pour d’autres.

Celui qui arrive sur le territoire de la Confédération a souvent déjà déposé une demande d’asile ailleurs, principalement en Italie. Il devrait donc y être renvoyé. Mais ici, le conditionnel est de rigueur.

En 2012, la Suisse a présenté aux autres Etats Dublin 11’029 demandes de réadmission, dont 6605 à l’Italie. Mais moins de la moitié des personnes (2981) ont été effectivement renvoyées dans la Péninsule. Pourquoi? Pour diverses raisons, répond l’Office fédéral des migrations (ODM): problèmes de santé, recours pendants, retours à la clandestinité ou départs à l’étranger. Il y a aussi les requérants qui refusent de partir et que l’on finit par renvoyer des mois plus tard par «vol spécial».

Accélérer les procédures fait partie des objectifs prioritaires de la politique d’asile suisse. Mais la réalité du terrain montre les limites du système.

Une fois qu’ils ont atterri à Milan ou à Rome – les deux voies prévues par la procédure Dublin -, les réfugiés ne sont pas conduits dans des centres d’accueil, comme on pourrait s’y attendre. «On les considère comme des citoyens libres», explique Don Roberto Davanzo. Ils ont quelques jours pour se présenter à la police et reprendre la procédure d’asile où ils l’avaient laissée. «Rien ne nous dit que certains ne vont pas sauter dans le premier train pour la Suisse ou pour l’Allemagne. Et comment les en blâmer?», ajoute le directeur de Caritas Ambrosiana.

La fin et le début de l’urgence

Retour à Milan. La journée est morne et froide, le printemps peine à éclore. La municipalité a donc décidé de retarder de quelques semaines la fermeture des dortoirs pour les sans-abri. C’est là que se sont réfugiés ces derniers temps de nombreux requérants d’asile nord-africains.

A fin février en effet, l’Etat italien a fermé les centres spéciaux dits «urgence Afrique du Nord» qui ont accueilli quelque 28’000 réfugiés, parqués là sans aucune mesure d’intégration. Maintenant que la crise est considérée comme «terminée», l’Italie a mis à la porte les près de 13’000 personnes qui restaient, avec en poche un billet de 500 euro et un permis de voyage de trois mois.

Où ces gens vont-ils chercher refuge? Les ONG craignent une augmentation du nombre des sans-abri. En Suisse, certains prédisent déjà un nouvel afflux de requérants, même si pour l’heure, l’ODM dit ne pas avoir constaté de changements importants dans les flux migratoires.