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Documentation

CSDH | Application des conditions minimales d’accueil à tous les demandeurs d’asile «dublinés»

Le droit de fond et le droit de procédure européen en matière d’asile se rapprochent à nouveau.

Analyse publiée le 13 juin 2013 par le Centre suisse de compétence pour les droits humains (CSDH). Cliquez ici pour lire l’article sur le site du CSDH.

Pertinence pratique

  • Selon la Cour, la directive «accueil» (2003/9) s’applique à tous les demandeurs d’asile et donc y compris aux personnes qui devraient être transférées vers un autre État membre responsable en vertu du règlement de Dublin.
  • Les conditions minimales d’accueil doivent être respectées dès le dépôt de la demande d’asile et jusqu’à ce qu’il soit statué de manière définitive sur la demande ou jusqu’au transfert effectif vers un autre État.
  • La Suisse n’est pas formellement liée par la directive «accueil». Elle n’est donc pas juridiquement tenue de remplir les critères minimaux exigés par la directive «accueil» vis-à-vis des demandeurs d’asile qu’elle entend transférer à un État membre sur la base du règlement de Dublin. Elle devrait cependant s’assurer que sa pratique soit conforme à la directive «accueil», dans la mesure où la Suisse est un État partie au règlement de Dublin.
  • Le droit actuel et la pratique helvétique correspondent aux exigences imposées par le droit européen.

Dans sa décision Cimade et Gisti contre France (affaire C‑179/11, du 27 septembre 2012), la Cour de justice de l’Union européenne précise que les conditions d’accueil de la directive européenne 2003/9 s’appliquent aussi aux «Dublinés».

Point de départ

Deux associations françaises (la CIMADE et le GISTI) ont recouru auprès du Conseil d’État français contre une circulaire interministérielle qui exclut aux requérants «Dublinés» l’octroi d’une «allocation temporaire d’attente» (ATA), versée en principe aux demandeurs d’asile durant toute la durée de la procédure. Les associations estimaient que cette circulaire n’était pas conforme au droit européen et en particulier à la directive «accueil» 2003/9.
Dans le cadre de cette procédure, le Conseil d’État a décidé d’adresser deux questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne.

Décision de la Cour de justice de l’Union européenne

Se prononçant le 12 septembre 2012, la Cour luxembourgeoise a précisé le champ d’application personnel et temporel de la directive «accueil».
Elle a ainsi décrété que cette directive concerne tous les requérants, qu’ils soient dans l’attente d’une décision sur leur demande ou «dans l’attente de la détermination de l’État membre responsable de cette demande» (§ 43). Les «Dublinés» sont donc couverts par cette directive et les conditions minimales d’accueil (en matière de logement, nourriture, habillement, allocation journalière) doivent leur être accordées (§ 50).

Pour ce qui est de la durée de l’octroi de ces conditions minimales aux personnes qui doivent être transférées au sens du règlement de Dublin, la Cour a estimé que l’obligation de l’État membre «cesse seulement lors du transfert effectif dudit demandeur par l’État membre requérant» (§ 58), dans la mesure où «ni la décision de l’État membre de requérir un autre État membre qu’il estime responsable de l’examen de la demande d’asile aux fins de prendre en charge le demandeur d’asile ni l’acceptation de cette requête par l’État membre requis ne constituent une décision définitive au sens de la directive 2003/9» (§ 55).

Impact de cette décision pour la Suisse

En général

Comme les autres directives européennes matérielles qui concernent l’asile (voir NL CSDH no 7), la directive «accueil» n’est pas directement applicable en Suisse, contrairement aux instruments de procédure comme le règlement de Dublin ou la directive retour. Par conséquent, la Suisse n’est donc pas juridiquement tenue de remplir les critères minimaux exigés par la directive «accueil» vis-à-vis des demandeurs d’asile qu’elle entend transférer à un État membre sur la base du règlement de Dublin. Toutefois, la Suisse devrait se conformer à cette décision, étant un État partie au règlement de Dublin. En l’occurrence et dans la mesure où cette affaire concernait aussi une interprétation du règlement de Dublin (soit déterminer jusqu’à quel moment l’État est tenu d’octroyer les conditions minimales d’accueil), la Suisse a présenté des observations écrites allant dans le sens de la réponse donnée par la Cour, en estimant que l’obligation s’éteignait avec la prise en charge effective du demandeur par l’État requis.

Comparaison entre les conditions d’accueil prévues par la directive européenne et celles réservées par la Suisse aux «NEM Dublin»

En ce qui concerne le droit à l’assistance (ou le droit à une allocation journalière), la directive 2003/9 prévoit que l’accès à des «conditions matérielles d’accueil» doit être garanti. Ces conditions comprennent le logement, la nourriture et l’habillement, ainsi qu’une allocation journalière. Ces prestations peuvent être fournies en nature, sous forme d’allocations financières ou de bons. De son côté, le droit suisse octroie une «aide d’urgence» aux personnes ayant reçu une décision de non-entrée en matière «Dublin». Cette prestation (octroyée sous forme pécuniaire ou en nature) comprend notamment le logement, la nourriture, les vêtements et les soins médicaux de base ou autrement dit ce qui est indispensable à l’existence humaine. Ces prestations sont dues jusqu’au transfert de la personne concernée.

En matière d’hébergement, la comparaison des conditions applicables en Suisse et celles applicables au sein de l’Union européenne est difficile à établir dans la mesure où la directive ne prévoit que des normes «minimales» et où les cantons suisses connaissent également des pratiques variables (centres d’aide d’urgence, de transit, infrastructures militaires, abris de la protection civile, alpages, etc.). Fondamentalement, les conceptions suisses et européennes sont toutefois les mêmes: hébergement dans des lieux collectifs ou aide pécuniaire lorsque de tels lieux ne sont pas mis à disposition.

D’une manière générale, il est donc possible de constater que la pratique helvétique s’inscrit dans les lignes européennes, que cela soit à l’égard de ce qui est exigé par la directive 2003/9 ou par les précisions apportées en 2012 par la Cour de justice de l’Union européenne.