CSDH | Conformité de la pratique suisse en matière d’asile avec le Règlement Dublin II
Le Tribunal administratif fédéral considère qu’une décision de non-entrée en matière suite à la réadmission d’un requérant d’asile est légitime dans le cadre du Règlement Dublin II.
Analyse publiée le 13 juin 2013 par le Centre suisse de compétence pour les droits humains (CSDH). Cliquez ici pour lire l’article sur le site du CSDH.
Pertinence pratique
Selon le Tribunal administratif fédéral, les procédures suisses d’examen des décisions de non-entrée en matière remplissent les exigences du Règlement Dublin II pour les raisons suivantes:
- la question de savoir si l’exécution de l’expulsion est admissible est toujours examinée;
- dans la plupart des procédures de non-entrée en matière, il s’agit de «procédures matérielles sommaires», c’est-à-dire que la qualité de réfugié est examinée matériellement de manière sommaire;
- en présence d’indices de persécution, on entre en matière sur la demande;
- dans le cas d’une expulsion vers un État tiers sûr, le risque d’un refoulement vers le pays d’origine est pris en considération;
- les demandes d’asile de personnes, dont le comportement porte à croire qu’elles ne sont pas réfugiées, font l’objet d’une décision de non-entrée en matière formelle.
Point de départ et contexte
L’arrêt E-3504/2011 concerne une personne de nationalité ukrainienne ayant déposé plusieurs demandes d’asile en Suisse, en Allemagne, en Norvège, au Liechtenstein et en Suède, sous des identités et nationalités différentes. En 2011, les autorités hollandaises ont demandé à la Suisse la réadmission du requérant d’asile. La Suisse a accepté la demande d’admission de ce dernier, en application des dispositions du Règlement Dublin II. L’Office fédéral des migrations n’est pas entré en matière sur la demande d’asile car des recherches menées par les autorités norvégiennes étaient arrivées à la conclusion que, dans le cas de la personne concernée, il ne s’agissait pas d’un apatride né en Russie, mais d’un citoyen ukrainien en possession d’un passeport. L’art. 32 al. 2 let. b de la Loi sur l’asile (LAsi) prévoit que les autorités doivent rendre une décision de non-entrée en matière dans les cas de tromperie sur l’identité.
Dans le recours, la question s’est posée de savoir s’il était admissible, suite à la réadmission par un État Dublin, que la demande d’asile de la personne concernée aboutisse à une décision de non-entrée en matière. Le recourant a invoqué le fait que les procédures suisses de non-entrée en matière ne satisfaisaient pas aux exigences du Règlement Dublin II, qui obligent l’État membre responsable à examiner la demande d’asile. Cette réglementation exigerait un examen matériel détaillée qui n’aurait pas été effectué dans le cas présent. Dans cet arrêt de principe, le Tribunal fédéral prend position de manière approfondie sur cette question controversée dans la doctrine et considère que le fait de renoncer à la procédure ordinaire est compatible avec «Dublin».
L’arrêt
Le Tribunal administratif fédéral retient d’abord que chaque décision de non-entrée en matière sur une demande d’asile est suivie d’ un examen matériel illimité, afin de savoir si l’exécution de l’expulsion est admissible. Dans ce cas, le principe de non-refoulement devrait notamment être respecté. De plus, les faits constitutifs de décisions de non-entrée en matière sont pourvus d’une clause de protection. Par cette clause, un examen préalable sommaire est effectué, afin d’établir s’il existe des indices de persécution et si la qualité de réfugié peut être reconnue. En présence d’indices de persécution, on entre en matière sur la demande d’asile.
Une décision purement formelle de non-entrée en matière sans examen matériel peut être rendue dans les cas suivants: tromperie des autorités, violation de l’obligation de collaborer, non-paiement de l’avance de frais et absence de demande d’asile. Le Tribunal administratif fédéral, dans de telles situations, part du principe que le requérant d’asile, en raison de son comportement, ne remplit clairement pas les critères du statut de réfugié (consid. 7.3).
Par contre, les demandes d’asile sont examinées afin de déterminer s’il existe des indices de persécution dans les situations suivantes: «dépôt ultérieur abusif d’une demande d’asile», «demande d’asile émanant d’un État sans risques de persécution» et «suppression de la protection provisoire». En présence d’éventuels indices juridiquement pertinents pour le statut de réfugié, la procédure ordinaire s’applique alors. Par conséquent, dans toutes ces constellations, on procède soit à un examen sommaire des aspects matériels, soit à un examen approfondi de la demande d’asile (consid. 7.4.5). La même procédure est applicable aux demandes subséquentes (consid. 7.5).
Les faits constitutifs des décisions de non-entrée en matière, s’appuyant sur la réglementation d’un État tiers, rempliraient également les exigences du Règlement Dublin II car l’effectivité de la protection contre le refoulement par l’État tiers et le respect du principe de non-refoulement seraient examinés (consid. 7.6.5). Par conséquent, la procédure sommaire d’examen est également appliquée dans le cas de refoulements vers des États tiers considérés comme sûrs. La même procédure s’appliquerait aussi dans les situations de non-entrée en matière pour les sans-papiers (consid. 7.7.3).
Commentaire
L’arrêt de principe du Tribunal administratif fédéral sur la compatibilité de la pratique suisse en matière d’asile avec Dublin II doit être salué car la pratique confuse de non-entrée en matière a donné lieu à des débats par le passé. Toutefois, il convient de relever le fait que la jurisprudence n’aura pas d’effet durable, étant donné que la loi sur l’asile révisée le 14 décembre 2012 abroge les articles 32-35a LAsi. L’article 31a de la loi révisée sur l’asile ne prévoit de décisions de non-entrée en matière plus que dans les cas de procédures Dublin et de refoulements vers un État tiers sûr. Les autres demandes d’asile abusives ou vouées à l’échec, qui aboutissent aujourd’hui à une décision de non-entrée en matière, seront traitées à l’avenir dans le cadre d’une procédure matérielle rapide.