Tribune conjointe | Lampedusa, l’Europe assassine
Premiers signataires de cette tribune conjointe : Olivier Clochard, président de Migreurop, Stéphane Maugendre, président du Groupe d’information et de soutien des immigrés ; Abderrhamane Hedhili, président du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux ; Filippo Miraglia, responsable immigration, droit d’asile et lutte contre le racisme, Italie ; Mehdi Alioua, président du Groupe antiraciste de défense et d’accompagnement des étrangers et migrants, Maroc, et Karim Lahidji, président de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme – membres de la coalition Boats4People ; Michel Tubiana, président du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme.
Pour lire l’article sur le site de Migreurop, cliquez ici.
La guerre ? Comment nommer autrement la mise en place délibérée de dispositifs de contrôles frontaliers destinés, au nom de la lutte contre l’immigration irrégulière, à repousser celles et ceux que chassent de chez eux la misère et les persécutions ? Ces dispositifs ont pour nom Frontex, l’agence européenne des frontières, qui déploie depuis 2005 ses navires, ses hélicoptères, ses avions, ses radars, ses caméras thermiques et bientôt ses drones depuis le détroit de Gibraltar jusqu’aux îles grecques pour protéger l’Europe des « indésirables ». Ou encore Eurosur, un système coordonné de surveillance qui, depuis 2011, fait appel aux technologies de pointe pour militariser les frontières extérieures de l’Union européenne afin de limiter le nombre d’immigrants irréguliers qui y pénètrent. Comment nommer autrement la collaboration imposée par l’Europe aux pays de transit des migrants – Libye, Algérie, Tunisie, Maroc – afin qu’ils jouent le rôle de garde-chiourmes et les dissuadent de prendre la route du nord, au prix de rafles, arrestations, mauvais traitements, séquestrations ?
Plus spectaculaire que d’habitude par son ampleur, le nouveau naufrage de Lampedusa n’a pas manqué de susciter les larmes de crocodile rituellement versées par ceux-là même qui en sont responsables. A la journée de deuil national décrétée par l’Italie – pays dont les gouvernants, de droite comme de gauche, n’ont jamais renoncé à passer des accords migratoires avec leurs voisins proches – y compris lorsqu’il s’agissait des dictatures de Kadhafi et de Ben Ali – pour pouvoir y renvoyer les exilés, font écho les déclarations de la commissaire européenne aux affaires intérieures, qui appelle à accélérer la mise en place d’Eurosur, destiné selon elle à mieux surveiller en mer les bateaux de réfugiés. Où s’arrêtera l’hypocrisie ? Peu d’espaces maritimes sont, autant que la Méditerranée, dotés d’un maillage d’observation et de surveillance aussi étroit. Si le sauvetage était une priorité – comme le droit de la mer l’exige – déplorerait-on autant de naufrages entre la Libye et Lampedusa ?
Déjà sont désignés comme principaux responsables les passeurs, mafias et trafiquants d’êtres humains, comme si le sinistre négoce de ceux qui tirent profit du besoin impérieux qu’ont certains migrants de franchir à tout prix les frontières n’était pas rendu possible et encouragé par les politiques qui organisent leur verrouillage. Faut-il rappeler que si des Syriens en fuite tentent, au risque de leur vie, la traversée de la Méditerranée, c’est parce que les pays membres de l’UE refusent de leur délivrer les visas qui leur permettraient de venir légalement demander asile en Europe ?
On parle de pêcheurs qui, ayant vu le navire en perdition, auraient continué leur route sans porter secours à ses passagers, et des voix s’élèvent pour exiger qu’ils soient poursuivis et punis pour non assistance à personne en danger. A-t-on oublié qu’en 2007, sept pêcheurs tunisiens accusés d’avoir « favorisé l’entrée irrégulière d’étrangers sur le sol italien »ont été poursuivis par la justice italienne, mis en prison et ont vu leur bateau placé sous séquestre parce qu’ils avaient porté secours à des migrants dont l’embarcation étaient en train de sombrer, les avaient pris à leur bord et convoyés jusqu’à Lampedusa ?
Non, le drame de Lampedusa n’est pas le fruit de la fatalité. Il n’est dû ni aux passeurs voraces, ni aux pêcheurs indifférents. Les morts de Lampedusa, comme ceux d’hier et de demain, sont les victimes d’une Europe enfermée jusqu’à l’aveuglement dans une logique sécuritaire, qui a renoncé aux valeurs qu’elle prétend défendre. Une Europe assassine.
D’autres articles et informations sur le drame de Lampedusa:
- Article de Fabrizio Gatti « Lampedusa, passing the buck of responsabilities: this is how they left the Syrian children drown« , publié dans L’Espresso, le 29 novembre 2013 (disponible aussi en italien en cliquant ici);
- Article de Celia Rooney « Exploiting a Tragedy: The Securitization of EU Borders in the Wake of Lampedusa« , publié sur le blog Border Criminologies, le 18 novembre 2013;
- Article de Annelie – Gatineau « ‘Le massacre des innocents » aux frontières de l’Europe« , publié sur le blog Alsace Libertaire;
- « Italie: manifestation à Rome de réfugiés érythréens après le naufrage de Lampedusa« , publié dans Libération, le 25 octobre 2013;
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« Quand les migrants arrivent à Lampedusa« , publié dans Le Nouvel Observateur, le 25 octobre 2013;
- « Les Européens à court de réponses face au drame de Lampedusa« , publié dans Les Echos, le 25 octobre 2013;
- « Après le drame de Lampedusa, l’UE s’émeut mais ne bouge pas« , publié dans Le Monde, le 25 octobre 2013;
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« A Lampedusa, « beaucoup de monde est venu, mais on est encore là »« , publié dans Le Nouvel Observateur, le 24 octobre 2013;
- Le reportage photographique « For Eritrean migrants, there is more dignity in death« , publié dans le New Internationalist, le 18 octobre 2013:
- « Lampedusa, naufrage européen« , publié dans Libération, le 13 octobre 2013;
- « EU mulls response as Lampedusa recovery continues« , publié sur le site de la Deutsche Welle, le 9 octobre 2013;
- « L’Europe doit-elle fermer ou ouvrir davantage ses frontières ?« , publié dans le Courrier international, le 8 octobre 2013;
- « Tragedy off coast of Italy reminds Europe of its need to revisit asylum and migration measures« , article publié sur le site de la European Union agency for fundamental rights (FRA), le 7 octobre 2013;
- « No accident: why have 19,142 died at Europe’s frontiers?« , publié sur Opendemocracy.net, le 7 octobre 2013;
- « Le drame de Lampedusa décrédibilise Frontex et Eurosur« , article publié sur le site Euractiv.fr, le 9 octobre 2013;
- « Fortress Europe responsible for deaths in Lampedusa« , article publié dans Malta Today, le 8 octobre 2013;
- « Lampedusa, Melilla, l’Evros… : ces portes de l’Europe où meurent les migrants« , article publié dans Libération, le 7 octobre 2013;
- « No accident: why have 19,142 died at Europe’s frontiers?« , article publié sur le site opendemocracy.net, le 7 octobre 2013;
- « Des bateaux sont passés à côté, ils ne se sont pas arrêtés« , reportage publié sur FranceInter, le 7 octobre 2013;
- « Conscience et humanité noyées« , billet de Olivier Favier, publié sur le blog « On ne dormira jamais« ;
- « D’où venaient les naufragés de Lampedusa?« , article de Léonard Vincent publié sur le site rfi.fr, le 6 octobre 2013;
- Progetto Melting Pot Europa, qui demande l’ouverture d’un corridor humanitaire vers un droit d’asile européen. Cliquez ici pour lire l’appel;
- « Un pont, pas un cimetière« , article de Rachad Armanios, publié dans Le Courrier, le 5 octobre 2013;
- « What the Italian press said about Lampedusa« , publié sur le site Africa is a country, le 4 octobre 2013;
- « Le naufrage d’une politique européenne de l’immigration« , publié dans le Courrier international, le 4 otobre 2013;
- « Lampedusa : indignation hypocrite et larmes de crocodile« , publié dans le Courrier internationale, le 4 octobre 2013;
- « Lampedusa vue par un migrant« : « Lorsque j’ai mis le pied par terre à Lampedusa, je me souviens juste de ma honte, l’unique chose que je portais avec moi », témoignage publié sur le site MyEurope, le 6 octobre 2013;
- « Mourir aux portes de l’Europe« , billet de Philippe Rekacewicz publié sur le blog Visions Cartographiques, le 4 octobre 2013;
- « ‘Lampedusa, c’est le cimetière de l’Europe’« , tribune sur RFI de Hélène Flautre, eurodéputée française: « Ce naufrage qui a coûté la vie à plus de 130 migrants originaires de la Corne de l’Afrique, ce jeudi 3 octobre, aurait pu être évité si l’Union européenne choisissait de consacrer au sauvetage en mer une partie des moyens alloués au contrôle des flux migratoires ».