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Le Courrier | «J’ai peur pour ma vie si je retourne au Togo»

Bien intégré dans le canton de Neuchâtel, prêt à lui octroyer un permis humanitaire, Fousseni, un Togolais, doit quitter son travail et la Suisse. L’ODM juge son intégration insuffisante. Son patron est outré.

Article de Claude Grimm, publié dans Le Courrier, le 30 novembre 2013. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

Fousseni n’a plus d’espoir: après presque sept ans passés en Suisse, ce requérant d’asile togolais débouté a vu début septembre sa demande de permis B humanitaire rejetée par le Tribunal administratif fédéral (TAF).
Dès le 16 décembre, Fousseni n’aura plus le droit de travailler car il devrait avoir quitté la Suisse à cette date. Son patron, Didier Rat, tenancier de l’auberge de commune à Bevaix, est révolté. Il doit contre son gré se séparer d’un employé qui lui donne entière satisfaction. «J’ai reçu le 16 novembre une lettre du service cantonal des migrations me demandant de résilier son contrat de travail pour la mi-décembre, alors que légalement je dois donner un congé à la fin d’un mois pour la fin du mois suivant», s’indigne-t-il. Craignant des représailles s’il ne s’exécute pas, il a demandé à sa fiduciaire de rédiger la lettre.

Patron révolté
Didier Rat raconte comment il a engagé Fousseni: «J’étais à la recherche d’un casserolier. J’ai appelé le service des migrations pour savoir s’ils n’avaient pas quelqu’un. On m’a répondu que oui, mais qu’il y avait un problème car cette personne était noire. J’ai été tellement choqué par cette remarque que j’ai décidé de l’engager sans le connaître. Il ne connaissait rien à la cuisine, je l’ai formé comme casserolier puis aide cuisine et je suis enchanté de lui. Pourquoi renvoie-t-on une personne indépendante financièrement, qui ne demande rien à la société et a toujours respecté nos lois?» s’interroge, dépité, le patron.
La décision du TAF étant exécutoire, Fousseni sait qu’il n’y a plus d’issue. Pourtant, il ne peut se résoudre à partir. La situation du Togo n’a guère évolué depuis qu’il a fui son pays en 2006: «J’ai peur pour ma vie si je retourne là-bas», confie-t-il, angoissé. Le président Faure Gnassingbé, arrivé au pouvoir en 2005 à la suite d’un coup d’Etat, fils de l’ex-président Eyadema Gnassingbé lui-même responsable du coup d’Etat de 1967, dirige toujours le pays.

Procédure interminable
Membre d’un parti d’opposition depuis 1999, Fousseni raconte avoir été arrêté, emprisonné et soumis à de mauvais traitements à quatre reprises entre 2001 et 2006. La dernière fois, des militaires l’auraient arrêté et emprisonné dans un camp, où l’un des responsables, apprenant qu’il est le petit-fils d’un guérisseur lui ayant sauvé la vie, lui aurait permis de s’évader alors qu’il était sur une liste pour être éliminé. Mais à une condition: qu’il quitte le pays. Il fuit au Ghana et de là en Italie puis en Suisse où, dès son arrivée début 2007, il dépose une demande d’asile.
Sa demande est une première fois refusée en 2008, suivie de plusieurs recours jusqu’en 2011, tous refusés. Atteint dans sa santé, son renvoi est ensuite suspendu par Berne pour des raisons médicales. Puis l’ODM réexamine son dossier et, début 2012, confirme son renvoi. Comme la loi le lui permet, Fousseni dépose alors une demande de permis B humanitaire, que le canton de Neuchâtel préavise favorablement. Mais l’Office fédéral des migrations (ODM) la refuse, suivi par le TAF récemment. Celui-ci estime qu’il ne remplit pas tous les critères pour être un cas de rigueur, notamment en matière d’intégration, jugée pas suffisamment «poussée». Malgré le fait qu’il ait participé à de nombreux programmes d’occupation et qu’il ait toujours cherché à travailler (même après le refus de sa demande d’asile), que ses employeurs aient tous salué son sérieux, qu’il se soit intégré socialement et qu’il ait depuis août 2012 un travail fixe lui permettant d’être financièrement indépendant, rien n’y fait. Le TAF estime par ailleurs que ses problèmes de santé peuvent être soignés au Togo et que ses craintes liées à sa sécurité ne relèvent pas des cas de rigueur mais de l’asile.

Violations des droits humains
Spécialiste de l’asile à Amnesty International, Denise Graf ne peut se prononcer sur un cas qu’elle ne connaît pas. Elle constate cependant que la plupart des requérants d’asile du Togo sont arrivés en Suisse pour des raisons politiques après les événements de 2005. «La majorité avaient de bons dossiers et le taux d’acceptation était très élevé. Une partie des dossiers ont été mis en attente sans qu’il y ait une appréciation négative. Lorsqu’ils ont été traités par la suite, ils ont souvent été rejetés au motif que la situation au Togo s’était améliorée», relate-t-elle.
Le dossier de Fousseni ne fait pas partie de ces cas. L’ODM, qui a émis des doutes quant à la véracité de son récit, a assez rapidement refusé sa demande d’asile. Il n’en demeure pas moins que la situation sur le plan des droits humains reste préoccupante au Togo. Dans son rapport annuel 2013, Amnesty International considère que, malgré le fait que la Commission vérité, justice et conciliation togolaise ait publié ses premières conclusions, aucune mesure concrète n’a été prise pour mettre fin à l’impunité. «Les forces de sécurité ont fait usage d’une force excessive pour disperser des manifestations organisées par des partis politiques et des étudiants. La torture a été utilisée pour obtenir des ‘aveux’. Les autorités ont restreint les droits à la liberté d’expression et de réunion, ainsi que la liberté de la presse», lit-on dans le rapport.
«L’ODM se contredit, car si la situation au Togo était aussi calme qu’il le dit, il aurait révoqué le statut de réfugié de ses ressortissants, ce qu’il n’a pas fait. Il devrait être un peu plus généreux dans l’octroi des permis humanitaires, surtout lorsque les cantons donnent un préavis positif», déplore Denise Graf.