Le Courrier | Des requérants demandent à vivre décemment
Dans un courrier remis hier à l’Hospice général, cent dix-sept résidents d’abris PC dénoncent des conditions de vie indignes qui nuisent à leur santé.
Article de Sylvia Revello, publié dans Le Courrier, le 27 janvier 2015. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.
[caption id="attachment_20291" align="alignright" width="300"] Photo: Alberto Campi, 2015.[/caption]
«Stop bunkers we need fresh air!»: en arabe, en érythréen puis en français, une soixantaine de demandeurs d’asile reprennent le slogan dans le calme. Rassemblés devant le siège de l’Hospice général, qui prend en charge les requérants à Genève, ils sont venus protester contre leurs conditions d’hébergement dans les abris de la protection civile (PC). Dans un courrier remis à la direction de l’Aide aux migrants (AMIG), ils dénoncent la promiscuité, le manque d’hygiène et de sommeil, l’isolement aussi.
«Il n’y a que les morts que l’on met sous terre», relèvent les cent dix-sept signataires avant de demander que des mesures urgentes soient prises pour mettre fin à la situation. Dans le canton de Vaud, une démarche similaire a permis, en décembre dernier, de débloquer une subvention pour améliorer les conditions de vie des requérants.
Une fine pellicule de neige recouvre la ville en ce lundi matin. Réuni devant l’école Saint-Antoine à Rive, le collectif «stop bunker» se dirige vers les locaux de l’Hospice général situés à quelques mètres. Au sein du cortège, des hommes originaires d’Erythrée, de Syrie, du Soudan ou de Palestine, pour la plupart logés dans les abris PC de Châtelaine, Annevelle et Alexandre Gavard, mais aussi des sympathisants et des défenseurs de l’asile. Les requérants remettent alors à la direction, sortie sur le pas de la porte, une lettre ouverte qui décrit leur quotidien «sous terre: sans fenêtres, sans air ni soleil». Reçue à l’intérieur, une petite délégation est chargée de faire part des revendications du groupe.
«Beaucoup d’entre nous sont à bout»
Insalubrité, absence d’intimité, nourriture parfois avariée ou encore sanitaires et douches en nombre insuffisant: la vie en abri PC n’est pas «supportable», dénoncent les résidents. Allumée en permanence, la lumière les empêche de dormir, «tout comme le bruit, la ventilation, les ronflements des uns et les cauchemars des autres». Autant de conditions qui fragilisent leur santé mentale et physique. «Beaucoup d’entre nous sont à bout.»
C’est le cas de Léo*. A 24 ans, cet Erythréen vit à Annevelle depuis sept mois. Le «bagage de problèmes» qu’il a amené avec lui s’est encore «alourdi par la vie sous terre». Le manque de sommeil et l’insécurité pèsent chaque jour un peu plus sur ses nerfs. «Je fais semblant de vivre, lâche le jeune homme l’air résigné. Mais parfois, je perds patience.» Sur son t-shirt, un message qu’il veut faire passer aux autorités genevoises: «On veut de l’air pas du vent.»
Au sortir de la rencontre avec la direction, le compte rendu est bref. «Nous avons été entendus, déclare Michael*, porte-parole d’un groupe d’Erythréens âgé de 31 ans. L’Hospice est conscient de nos problèmes et doit nous répondre par écrit.» Et d’ajouter devant l’assemblée attentive: «Nous devons être solidaires, nous mobiliser pour défendre nos droits.» «La démarche d’aujourd’hui est une manière pour eux de reprendre leur destin en main», salue Aldo Brina, chargé de projet au Centre social protestant et qui côtoie la détresse des requérants au quotidien.
Pénurie de logements
Du côté de l’Hospice général, on prend les revendications au sérieux. «Depuis des années, l’Hospice déplore le caractère humainement insatisfaisant du logement de migrants dans de telles structures, par ailleurs très coûteuses, indique son porte-parole Bernard Manguin. Nous nous efforçons d’y recourir le moins possible et seulement pour des hommes seuls et en bonne santé.» Et de préciser qu’une réponse écrite détaillée suivra.
«Nous n’installons pas les gens en abris PC de gaité de cœur, confirme Mauro Poggia, conseiller d’Etat chargé du Département des affaires sociales. Mais, face à la pénurie de logements, nous sommes obligés de privilégier les familles.» Si des améliorations substantielles sont d’ores et déjà possibles «en renforçant les contrôles de sécurité et en éteignant les lumières la nuit», le magistrat reconnaît que des solutions doivent être trouvées. «Nous réfléchissons actuellement à installer des structures en préfabriqué à la route des Jeunes. Les requérants ne doivent surtout pas penser qu’on les considère comme des moins-que-rien.»
*Prénom d’emprunt.