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Le Courrier | Renvoi d’Ayop: la pression s’accentue sur le Conseil d’Etat

Des partis demandent au gouvernement d’annuler le renvoi du migrant. Celui-ci a été placé en détention après son refus d’embarquer.

Article publié dans Le Courrier, le 28 mars 2015. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

La pression monte autour du cas du jeune Ayop. La gauche et les milieux associatifs sont montés au créneau pour demander au Conseil d’Etat d’annuler le renvoi de ce ressortissant tchadien blessé lors de l’incendie du foyer des Tattes. Une nouvelle manifestation avait lieu hier soir dans la zone piétonne du Mont-Blanc. Cueilli jeudi matin par la police cantonale, le migrant a été entendu dans l’après-midi par le Ministère public, à la suite de son refus d’embarquer pour l’Espagne.

Enquête des Tattes inachevée

A l’heure où nous mettions sous presse, Ayop Aziz était de nouveau entre les mains de la police. Les autorités cantonales ont jusqu’à lundi pour procéder à l’expulsion de ce cas Dublin. Passé ce délai, une procédure nationale sera ouverte pour examiner la demande d’asile du Tchadien sur le territoire helvétique.

«En résistant, Ayop a gagné un temps extrêmement précieux», confient ses défenseurs, Me Pierre Bayenet et Laïla Batou. Le cas est doublement problématique à leurs yeux. Outre son état de santé précaire, il devait témoigner quelques minutes après son arrestation dans le cadre de l’enquête pénale sur l’incendie du foyer de requérants d’asile des Tattes (notre édition d’hier). Une coïncidence que Me Bayenet n’a pas manqué de relever.

Pour les militants présents hier lors d’une conférence de presse ad hoc, le cas d’Ayop est symptomatique de la politique d’asile musclée menée par le canton. Ils demandent à l’Etat d’annuler son renvoi. Lisa Mazzone, présidente des Verts, rappelle qu’une pétition a déjà été déposée en ce sens au Conseil d’Etat. «Le gouvernement doit prendre ses responsabilités et annuler tous les renvois des sinistrés des Tattes tant que ces derniers ne sont pas pleinement rétablis et que l’enquête pénale est inachevée.»
D’autant qu’«Ayop n’est pas en état de prendre l’avion», précise Viviane Luisier, du comité de soutien des sinistrés des Tattes. Pour la conseillère municipale Olga Baranova, le droit fondamental à la santé devrait primer sur les accords de Dublin.
Dans un communiqué publié hier, le Conseil administratif de la Ville de Genève va dans le même sens. «[Ayop] demande, à juste titre, d’avoir l’assurance d’être soigné et correctement soigné. Il serait incompréhensible que le canton n’accorde pas à la victime ce droit pourtant fondamental», écrit-il. Selon l’exécutif municipal, le Conseil d’Etat devrait «utiliser sa marge de manœuvre et ne pas exécuter le renvoi tant que les garanties pour sa santé ne sont pas réunies et les responsabilités quant à l’incendie du foyer établies».

No comment de Maudet

Contacté, le conseiller d’Etat Pierre Maudet, chargé du Département de la sécurité et de l’économie, a refusé de commenter l’affaire. Quant à savoir si le Conseil d’Etat va ou non se saisir de la question, le Département présidentiel nous a également renvoyé à notre copie.

Seul Mauro Poggia, à la tête du Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé, s’est risqué à une déclaration. Le magistrat est indirectement responsable du Foyer des Tattes, dont l’Hospice général est propriétaire. «La marge de manœuvre du Conseil d’Etat est malheureusement inexistante, mis à part un refus d’obtempérer à une décision de la Confédération qui agit ici dans le cadre du délai impératif des accords de Schengen-Dublin. On ne peut que se sentir concerné par la situation des migrants qui ont été blessés. Mais le départ de cette personne n’a évidemment rien à voir avec ce drame et je m’étonne que l’on fasse le lien.»

Reste la justice pénale qui instruit l’enquête. Si le Ministère public n’est pour l’instant pas intervenu, il dispose, en théorie, d’un levier d’action. «Cette personne n’a pas fait l’objet d’un mandat de comparution, mais seulement d’un avis d’audience», explique Henri Della Casa, porte-parole du pouvoir judiciaire. «En cas de renvoi, le procureur peut délivrer un sauf-conduit, s’il juge nécessaire de l’entendre pour les besoins de l’instruction.»

Le poids de la santé face à Dublin

Comment se fait-il qu’une personne dont l’état de santé est précaire puisse être renvoyée dans le cadre des accords Dublin? Cette question est sur toutes les lèvres depuis que la décision de renvoi d’Ayop, ce jeune ressortissant tchadien blessé lors de l’incendie des Tattes, fait l’objet d’une levée de boucliers. Mal en point, le jeune homme a toutefois été jugé «apte au transport». Et c’est bien la seule chose qui intéresse le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), de qui dépend la décision.

Ce critère d’«aptitude au transport», le médecin Sophie Durieux le connaît bien. Ce «fit to fly» représente un défi quotidien pour les soignants du Programme santé migrant des Hôpitaux universitaires genevois, dont elle est responsable. Cette unité est régulièrement sollicitée par l’Office cantonal de la population et des migrations pour ce genre d’expertise. «Nous sommes le plus objectifs possible, mais le SEM ne se préoccupe que de savoir si la personne est physiquement capable de monter dans l’avion, résume-t-elle. Il ne prend pas en compte la problématique globale. Le risque suicidaire qui accompagne les symptômes de dépression ou de stress post-traumatique est rarement considéré.»

Les cas Dublin sont malheureusement en première ligne. «La loi part du présupposé que tous les Etats signataires de l’accord fournissent une prise en charge médicale et psychosociale équivalente, ce qui est loin d’être le cas.»

D’autre part, le SEM dispose de ses propres médecins, via l’Oseara (qui assure également l’accompagnement médical lors des vols spéciaux). «Ils ont souvent une lecture différente des rapports médicaux, puisqu’ils n’ont pas le patient sous les yeux. Et ils sont mandatés par le SEM, ce qui doit compliquer leur travail», poursuit la Desse Durieux.

D’après la loi, la responsabilité de la Suisse se limite à la transmission des informations sur l’état de santé de la personne et, le cas échéant, du traitement initié en Suisse à poursuivre à l’étranger. Seule exception à la règle, les cas de tuberculose, qui font, en principe, l’objet d’un suivi… sur le papier en tout cas. «Au moins deux patients sous traitement antituberculeux que nous connaissions n’ont pas pu le poursuivre», nous confie le médecin.

Pauline Cancela