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Notre regard

Incendie des Tattes | Révélateur d’une déshumanisation

Il y a trois mois, un incendie frappait l’un des foyers de demandeurs d’asile les plus peuplé du canton de Genève, le foyer des Tattes. Bilan: un mort, des dizaines de blessés, les habitants des deux bâtiments touchés forcés à déménager temporairement dans des abris de la protection civile. L’origine criminelle de l’incendie n’est toujours pas confirmée par l’enquête, malgré l’interpellation de deux prévenus. Des irrégularités dans le dispositif de protection incendie des bâtiments ont été constatées et des locaux de l’institution responsable du foyer, l’Hospice général, ont été perquisitionnés. De nombreuses questions restent encore sans réponse et seule la fin de l’enquête permettra, dans le meilleur des cas, de déterminer ce qui s’est effectivement passé et les responsabilités de chacun, entre portes fermées, contraignant les résidents à sauter par les fenêtres et pompiers qui ont tardé à arriver, faute d’avoir été alertés immédiatement après le début de l’incendie.

Au-delà de ces réponses judiciaires et actuelles, l’incendie des Tattes a aussi agi en révélateur de la déshumanisation dont sont frappés les habitants des Tattes, soumis au régime de l’aide d’urgence et du service minimum en matière d’encadrement social.

sDepuis l’incendie, les résidents des bâtiments touchés, étiquetés « demandeurs d’asile déboutés » dans les interventions médiatiques de l’Hospice général sur l’incident (Vivre Ensemble, n°150), peinent en effet à faire reconnaître leurs besoins en tant que victimes. Ou simplement à faire entendre leur voix, faute d’un lieu pouvant accueillir le récit de la nuit terrifiante qu’ils ont affrontée: personnes sautant dans le vide, corps blessés gisant à terre dans le froid et la pluie, cris, panique, errance à la recherche d’un lieu où passer la nuit et traumatisme d’une mort qui les a pour certains épargnés de peu et qui plane encore dans leurs yeux comme un cauchemar éveillé.

Aucune cellule de soutien n’a été mise en place pendant et immédiatement après l’incendie et aucune orientation vers les structures d’aide aux victimes n’a été organisée. Deux assistantes sociales en charge des quelques 700 résidents des Tattes, l’équipe de l’Agora, présents sur le site, et le personnel infirmier intervenant dans les foyers de demandeurs d’asile ont été les seuls, avec quelques juristes et avocats à les rencontrer et les entendre immédiatement après la tragédie. Un contraste déroutant avec l’incendie survenu deux semaines plus tard, sur la même commune, dans une résidence pour personnes âgées, au cours duquel les mécanismes d’aide aux victimes ont été cette fois dûment activés, notamment une cellule de soutien professionnel.

Aux Tattes, à force d’intégrer que ses habitants étaient des indésirables à expulser, ne méritant que le minimum pour survivre en sanction de leur réticence à quitter la Suisse tout s’est passé comme si les rescapés ne pouvaient être perçus comme de simples victimes. Un schéma intériorisé par les victimes elles-mêmes, dont certaines étaient convaincues, à force de s’entendre dire qu’elles n’avaient plus droit à rien en Suisse, que l’incendie des Tattes était l’ultime moyen d’en finir avec elles.

Pendant près de 10 jours, il n’était même pas possible d’obtenir une liste des noms des victimes, arrivées à l’hôpital sans leurs effets et leurs documents, gardés à l’entrée du bâtiment qui a pris feu, les reléguant ainsi à l’anonymat le plus complet. Sans parler des rescapés, qui, pris de panique en découvrant leur logement provisoire après l’incendie –abris PC sous terre, sans fenêtre et sans issue par lesquelles s’échapper en cas de nouvel incendie- ont refusé d’y dormir et ont disparu dans la nature.

La société civile et les associations regroupées au sein de la Coordination asile.ge ont tenté de pallier ces lacunes. Des auditions des victimes ont eu lieu, afin d’identifier celles qui souhaitaient témoigner ou se porter partie plaignante à la procédure pénale en cours. Un lieu de parole professionnel est sur le point de voir le jour en faveur de ces personnes encore profondément traumatisées. Et récemment, des citoyens se sont mobilisés pour créer le comité de solidarité avec les sinistrés des Tattes et ont convoqué une première assemblée des victimes et habitants des Tattes qui a accueilli près de 200 personnes. Au niveau humain, l’incendie des Tattes aura eu le mérite d’enfin alerter et de mobiliser de nouvelles personnes désireuses de s’engager auprès de ses habitants. Et de renouer un lien, autre que répressif, entre cette population et le reste de la société et lui redonner un espace de parole libre et non médiatisé par le discours politique omniprésent sur les demandeurs d’asile.

Marie-Claire Kunz

Le diable se cache dans les détails

Communiquant sur les mesures de sécurité incendie que l’institution a menée avant le sinistre qui a ravagé le foyer des Tattes, l’Hospice général indique, dans son « Point de situation » du 19 janvier (p.4): «Par ailleurs, un exercice d’évacuation s’est déroulé au centre des Tattes le 21 avril 2014. Celui- ci a été mené à satisfaction […]. Cet exercice s’est également déroulé dans d’autres bâtiments que ceux touchés par l’incendie au mois de novembre 2014 et dont la configuration est identique». Dans la réponse du Conseil d’État publiée le 21 janvier 2015 à la question urgente déposée par le député Pierre Vanek à propos de l’incendie (QUE295), et qui vise à «apporter quelques rectifications aux faits tels qu’ils ont été énoncés par le dépositaire», le terme «également» ne figure plus, ce qui change significativement le sens de la phrase: « Par ailleurs, il y a lieu de préciser qu’un exercice d’évacuation s’est déroulé au centre des Tattes le 21 avril 2014. Celui-ci a été mené à satisfaction […] Cet exercice s’est déroulé dans d’autres bâtiments que ceux touchés par l’incendie au mois de novembre 2014 et dont la configuration est identique.» Un copier-coller qui aurait mal tourné?

Sophie Malka