Aller au contenu
Notre regard

Le Courrier | Renvois: le «laxisme» vaudois agace la Berne fédérale

Simonetta Sommaruga a rappelé à l’ordre le canton, où les cas en suspens sont plus nombreux qu’ailleurs. Cette «exception vaudoise» fait aussi la fierté de certains.

Article de Mario Togni, publié dans Le Courrier, le 5 juin 2016. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.

Interpellée sur le «laxisme» vaudois en matière de renvois de requérants d’asile déboutés, Simonetta Sommaruga a tapé sur les doigts du canton, lundi devant le Conseil national. Elle a rappelé que les cantons sont tenus d’exécuter les décisions de renvoi et n’ont «aucune marge d’appréciation». Toute suspension des renvois reviendrait à «violer» la loi fédérale, voire la Constitution.

La réponse sonne comme un avertissement alors que Vaud est régulièrement pointé du doigt comme un «mauvais élève» en matière de renvois. En l’occurrence, la question du conseiller national Manfred Bühler (udc/be) faisait référence aux chiffres révélés récemment par la RTS, attestant de la persistance d’une «exception vaudoise».

Les statistiques fournies par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) confirment que la proportion de cas en suspens par rapport au nombre de requérants attribué au canton y est plus élevée qu’ailleurs en Suisse. «Le canton de Vaud a 57% de cas en attente de renvoi en plus que ce qu’il devrait avoir en théorie», résume Martin Reichlin, porte-parole du SEM.

«Il existe ici un compromis tacite»

Pour la conseillère nationale Cesla Amarelle (ps/vd), ce n’est pas une nouveauté. «Le SEM considère depuis longtemps Vaud comme le dernier de la classe en matière de renvois. Il existe ici un compromis tacite en faveur d’une politique de renvois mesurée. Elle est non seulement défendable mais efficace. Cela a permis de  pacifier le débat sur l’asile, après des années chahutées. Toute volonté de la remettre en cause aurait surtout pour conséquence de déterrer la hache de guerre.»

Il y a une dizaine d’années, l’affaire des «523» requérants déboutés avait en effet fortement ébranlé les autorités vaudoises et soulevé une vague de protestation populaire. Depuis, les mouvements de défense des migrants n’ont cessé de maintenir une certaine pression sur le politique à ce sujet.

Cette résistance citoyenne a contribué à freiner les renvois, estime Jean-Michel Dolivo, député de Solidarités et militant du droit d’asile. «Si Vaud est un mauvais élève, on ne peut que s’en féliciter, estime-t-il. Nous souhaiterions toutefois que le Conseil d’Etat aille plus loin contre cette politique inhumaine, aujourd’hui scandaleusement défendue par une ministre socialiste.»

Pour Philippe Leuba, il n’y a pas d’exception vaudoise

Philippe Leuba, conseiller d’Etat PLR chargé du dossier, fait une toute autre lecture de la situation. Il n’entend pas d’ailleurs dans les propos de Simonetta Sommaruga une réprimande spécifique à l’égard des autorités vaudoises. «Elle rappelle d’abord que les cantons n’ont aucune marge de manœuvre dans l’exécution des renvois, ce que je répète sans cesse depuis 2007!»

Le ministre cantonal de l’asile dément toute forme d’«exception vaudoise». «Ces chiffres, je ne sais pas d’où ils sortent! Dans les débats au Grand Conseil, on nous reproche bien plus souvent d’être durs que d’être laxistes en matière d’asile. La politique du Conseil d’Etat est claire et n’a pas changé. Notre priorité est de renvoyer les étrangers en situation irrégulière coupables de délits pénaux.»

Des mesures de rétorsion sont-elles envisageables à l’encontre du canton de Vaud? Cesla Amarelle ne l’imagine pas une seconde. «Mme Sommaruga a tout intérêt à éviter un conflit avec le canton, d’autant plus qu’il n’a de loin pas démérité en matière d’asile. Elle a tenu un discours légaliste devant le parlement, compréhensible vu sa fonction, le rapport de force et la réalité institutionnelle d’aujourd’hui.»

Le cas particulier du Sleep-In de Renens

Lundi, la conseillère fédérale s’est aussi exprimée sur le cas particulier du Sleep-In de Renens, où des dizaines de migrants sans-abri campent depuis plusieurs semaines dans des conditions précaires. A la question de savoir si la Confédération doit intervenir pour renvoyer ces personnes, elle répond «qu’il revient au canton de Vaud d’exécuter les renvois des étrangers en situation irrégulière qui ont élu domicile à Renens».

Là encore, Philippe Leuba se dit «100% d’accord». «J’ai demandé aux Villes de Renens et de Lausanne de recourir aux forces de l’ordre, afin qu’elles obtiennent l’identité de ces personnes. La gendarmerie cantonale est à disposition pour les aider si elles le souhaitent. A ma connaissance, elle n’a pas été sollicitée.»

Depuis deux semaines, la pression policière s’est accentuée aux abords du Sleep-in. Six personnes en situation irrégulière ont été interpellées, dont deux ont été conduites au centre de détention administrative de Frambois (GE) en vue d’un renvoi, selon le conseiller d’Etat.