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Vacarme | Migrants et réfugiés: quand dire, c’est faire la politique migratoire

À partir de la polémique soulevée par Barry Malone sur la chaîne Al Jazeera visant à substituer au terme générique de migrants celui de réfugiés, «plus approprié pour nommer des personnes qui fuient la guerre et arrivent en masse en Europe», Cécile Canut propose une traversée des transformations et reformulations des mots utilisés pour qualifier la migration qui mettent à jour le durcissement des positions et les soubassements des choix politiques à l’œuvre, lesquels barrent toujours plus l’accès à la complexité des subjectivités individuelles, des trajectoires et de leurs causes pour construire des catégories d’êtres humains homogènes déterminées par «le même». Nommer c’est toujours faire exister rappelle-t-elle, d’où l’importance de cette attention à la bataille des mots et aux questionnements profonds qu’ils ouvrent.

Article de Cécile Canut, professeure à l’université Paris Descartes, paru sur le site de la revue Vacarme, le 12 juin 2016. Cliquez ici pour lire l’article complet sur le site de la revue.

Cet événement de parole est tout d’abord le révélateur d’un questionnement profond sur le processus de catégorisation des êtres humains dans nos sociétés, questionnement qui s’inscrit dans une longue histoire du sens, et dont bien des auteurs ont rendu compte, depuis les penseurs grecs jusqu’aux plus récents philosophes. Le langage n’est pas le filtre transparent d’un réel immédiat, les mots et les énoncés cristallisent bien au contraire un ensemble de connotations, de positionnements subjectifs et d’orientations sociales et politiques dont les locuteurs sont toujours responsables, même lorsque qu’à leur insu ils reprennent les significations et les catégorisations imposées par d’autres, ce que l’on attribue en analyse du discours à l’interdiscours ou encore au dialoguiste. Si le coup de force d’Al Jazeera a été de rappeler cette évidence au grand public, sa décision de ne plus employer le terme «migrants» renvoie pourtant à une approche supposée objective du langage: l’argument central de la démonstration de Barry Malone repose en effet sur l’idée que le terme «réfugiés» est mieux en rapport avec le réel; il est plus juste en ce qu’il rend compte de ce que vivent des millions de personnes fuyant la guerre: des personnes demandant refuge et devant être traitées comme des victimes. En imposant un des sens du terme «réfugiés», ou plus exactement en revenant à une signification oblitérée en Europe, la chaîne vient contrer un autre sens, celui-ci plus récent et plus restrictif, issu de la Convention de Genève (1951), elle-même ratifiée par cent-quarante-cinq états membres des Nations unies, et visant à définir le «réfugié» non seulement en considération de son état de victime de régimes politiques, mais en vertu d’un statut obtenu suite à une «demande d’asile».

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