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Notre regard

Le Courrier | Caché derrière un petit bout de papier

Où se trouvent les Musa ce matin? Se sont-ils réveillés à Zagreb, dans cette Croatie que les trois jeunes Syriens avaient traversée l’an dernier durant leur exode, où ils ne connaissent personne et dont ils ne savent rien? Sont-ils d’ores et déjà en voie d’expulsion vers la Turquie, à laquelle les voue l’accord inique passé avec l’Union européenne, et dans laquelle leur origine kurde viendra s’ajouter aux difficultés du quotidien de plus de deux millions de réfugiés syriens?

Editorial de Benito Perez, publié dans Le Courrier, le 7 septembre 2016. Cliquez ici pour lire l’éditorial sur le site du Courrier.

Il ne manquait pourtant pas grand-chose pour que l’aîné Walat (25 ans) et ses sœurs Slava et Hazma se réveillent ce matin dans leur famille genevoise. Auprès de leur tante qui les a accueillis et qui leur a offert un refuge, un abri, après des années d’errance et de peur. Quant au petit Redur, il aurait très bien pu continuer de grandir aux côtés de ses frères et sœurs.

Il n’a manqué qu’un peu d’humanité.

L’arrestation brutale, absurde, hier matin, des trois jeunes requérants d’asile kurdes de Syrie qui s’étaient réfugiés la semaine dernière dans l’ancien Temple des Pâquis n’est qu’une des nombreuses taches qui salissent l’uniforme du capitaine Maudet, plutôt caporal d’opérette, dont la raideur et le suivisme atavique tiennent lieu de politique. Il va sans dire qu’on le préférait à la gestion des parcomètres ou des puciers de Plainpalais.

Comme quelque trois mille requérants depuis le début de l’année, les Musa ont goûté à l’application stricte des accords de Dublin, qui protègent si bien le paradis helvétique, quasiment inatteignable sans laisser de trace ailleurs. Au prétexte d’un document administratif récolté au passage de la Croatie, la fratrie Musa doit donc être séparée, la solidarité familiale brisée, l’espoir de trois jeunes gens de s’en sortir réduit à presque rien.

Caché derrière ce petit bout de papier croate et un paquet de directives fédérales, le canton de Genève n’est pas le moins zélé lorsqu’il s’agit d’actionner la machine à expulser. Aux commandes, le naguère si «prometteur» Pierre Maudet a depuis longtemps accouché d’un piètre bureaucrate. Manquant de cette hauteur de vue – hauteur de l’esprit, hauteur morale – qui permet de voir au-delà du règlement et des objectifs de renvois fixés par d’autres.

Dans sa mesquinerie, l’arrestation d’hier, lors d’un banal rendez-vous à l’Office cantonal de la population devenu traquenard, malgré les soutiens, malgré l’émotion, malgré les promesses, résume à elle seule votre politique, M. Maudet.

Une manifestation de protestation est prévue ce jour à 12 h sur la place de la Taconnerie, en Vieille-Ville.