Le Courrier | Après Calais, Paris
Un campement de tentes abritant environ 3000 personnes a poussé dans le nord-est de la capitale.
Article de Antoine Menusier, publié dans Le Courrier, le 1er novembre 2016. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.
«On parle d’une évacuation pour vendredi», a entendu dire Sylvie, une riveraine de l’avenue de Flandre, dans le XIXe arrondissement de Paris. Sur plusieurs centaines de mètres, tassés dans des tentes de camping, quelque 2000 migrants, la plupart très jeunes, occupent le terre-plein central de cette longue artère populaire du nord-est de la capitale. Mille autres, peut-être, squattent également le bitume, non loin de là, aux abords de la place Stalingrad. Lundi matin, la police a procédé à des contrôles d’identité. Une pratique semble-t-il courante, mais que certains analysent en relation avec le démantèlement de la jungle de Calais, la semaine dernière. Sylvie est «un peu la marraine » d’Abdel. Ce Soudanais étudiait «français langue étrangère dans son pays», explique-t-elle. «Avec les gens du quartier et les associations, on mange régulièrement», assure le requérant d’asile, qui aimerait pouvoir reprendre ses études. Yves, la quarantaine, habitant lui aussi le quartier, arrive les bras chargés de deux sacs bourrés de vêtements chauds. Et fait don, en plus, de la doudoune qu’il a sur le dos. Seules, les associations ne parviendraient pas à subvenir aux besoins de jeunes gens sans rien. Des particuliers comme Yves et Sylvie apportent, depuis plusieurs mois déjà, un supplément qui se révèle essentiel. A la sortie du métro Stalingrad, un groupe de femmes – «on est des personnes concernées», dit l’une d’elles – distribue le repas du midi à une colonne d’Afghans: un riz végétarien qui colle, «avec plein d’épices». Quatorze kilos de riz cuisiné pour cette fois, sachant que «sept kilos nourrissent cent individus». De Calais et d’ailleurs Samedi, le président de la République, François Hollande, se réjouissant de l’évacuation «sans incident» de Calais, affirmait que la France ne tolérerait plus sur son sol de camps de migrants qui, selon lui, bafouent les valeurs nationales de solidarité. Mais voilà: depuis lors, des centaines ont grossi les rangs de Stalingrad et environs, à Paris. Une partie d’entre eux proviendraient de la jungle calaisienne. On exagère le nombre du reflux de Calais, selon Sylvie, «ils sont quelques dizaines, pas plus», estime-t-elle. Ce qu’il reste de crédibilité au chef de l’Etat se joue, notamment, sur sa capacité à résoudre la question des campements sauvages, dans la capitale et ailleurs. Un problème peut-être sans fin. Avenue de Flandre, des commerçants se plaignent d’une baisse de fréquentation de la clientèle, ainsi que le rapporte l’employé d’un kebab. «Mais on donne aussi de la nourriture aux migrants», ajoute-t-il. Mamadou, 25 ans, vient de la Guinée-Conakry, en Afrique de l’Ouest, quand beaucoup de migrants atour de lui sont originaires d’Afrique orientale. Il a fui son pays en 2013, expliquant y être menacé de mort, à la suite du décès, alors qu’elle était enceinte, de sa «copine». Il a rejoint la Libye par les terres. «J’ai travaillé là-bas dans la maçonnerie, comme carreleur, explique-t-il en français. J’ai été arrêté et emprisonné avec d’autres travailleurs africains par des hommes en armes qui nous ont volé notre argent.» Le 27 janvier dernier, il embarquait dans une de ces grosses barques en caoutchouc. Ils étaient cent vingt à bord. Un navire portant, dans son souvenir, pavillons européen et roumain les a recueillis au bout de dix-huit heures de mer. Arrivé en Italie, il ne souhaite pas y rester, veut venir en France. «Le père d’un ami» domicilié à Paris lui paie le voyage, mais ce père n’a apparemment pas assez de place pour le loger. Pour l’heure, son seul habitat est une tente, qu’il partage avec un autre migrant. Mamadou a fait sa demande d’asile. L’attestation est datée du 15 juillet. Il a droit à une allocation quotidienne de 11 euros. La nuit précédente, Amadou-Telly, qui dit avoir 17 ans, Guinéen également, arrivant d’Italie, a dormi dehors, collé à la tente de Mamadou. Lui aussi est passé par la Libye et remercie «l’Union européenne». Footballeur, il a joué à l’Olympic Salerno, une équipe de la région de Naples, raconte-t-il. Pour prouver ses dires, il sort d’un sac-à-dos des chaussures de foot, des protège-tibias et un jeu de deux maillots. Hier soir, Amadou-Telly devait trouver une place sous la tente de Mamadou.