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Un avis de droit commandé par la Commission fédérale contre le racisme considère les interdictions territoriales collectives à l’encontre des requérants d’asile contraires au droit et les couvre-feux trop restrictifs.
Article de Mohamed Musadak, publié dans Le Courrier, le 6 mars 2017. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.
[caption id="attachment_38286" align="alignright" width="212"] Etude Requérants d’asile dans l’espace public (2017)[/caption]
Interdiction d’accès à des lieux publics ou à des territoires entiers, couvre-feux dans les centres d’hébergement: les restrictions à la liberté de mouvement des requérants d’asile sont fréquentes en Suisse. Si certaines mesures prises par les autorités font régulièrement polémique, leur légalité n’est que rarement remise en cause. C’est pourtant ce que vient de faire le Centre de compétences pour les droits humains de l’université de Zurich, il y a une semaine, avec son avis de droit commandé par la Commission fédérale contre le racisme (CFR). L’institut académique y dénonce des restrictions de libertés collectives contraires aux droits fondamentaux et aux dispositions constitutionnelles.
«La CFR a estimé nécessaire de se pencher sur la question en constatant que depuis plusieurs années maintenant, la question de la liberté de mouvement des requérants d’asile fait l’objet de débats et de critiques», résume sa présidente Martine Brunschwig Graf.
Plusieurs décisions communales, cantonales ou fédérales passées ont en effet soulevé des controverses et certaines mesures n’ont pas manqué de choquer l’opinion publique.
Le cas de Bremgarten
Comme en 2013, où un accord passé entre la Confédération et la commune de Bremgarten (AG) autorisait cette dernière à interdire aux migrants d’entrer dans les installations scolaires et sportives tous les jours de la semaine entre 7h et 18h. A l’époque, le Secrétariat d’Etat aux migrations avait justifié cet accord par une volonté d’assurer des relations «ordonnées» et «non conflictuelles» entre les demandeurs d’asile et la population locale.
D’autres affaires ont aussi défrayé la chronique, tel les cas des localités de Nottwill (LU) et Alpnach (OW) qui défendaient aux requérants d’entrer dans certains périmètres de la commune. Plus récemment, en novembre dernier, la police cantonale vaudoise a interpellé à Lausanne un demandeur d’asile attribué au canton des Grisons et l’a forcé à acheter un billet de train avec son propre argent pour le renvoyer dans son canton d’origine. L’individu n’avait, a priori, pas commis d’infraction justifiant ce renvoi. Enfin, à Genève, les personnes qui effectuent leur demande d’asile à l’aéroport sont contraintes de demeurer dans la zone de transit internationale.
Restrictions collectives interdites
Tous ces cas étant relativement différents, l’avis de droit se contente de rappeler et d’interpréter de manière générale les dispositions légales applicables. Les juristes de Zurich expliquent que, comme pour les Suisses, toute restriction d’une liberté fondamentale doit «reposer sur une base légale, poursuivre un objectif d’intérêt public et être proportionnée». Surtout, ils soulignent que ces entraves à la liberté de circuler doivent être prononcées à l’encontre d’individus et en aucun cas être des mesures collectives.
L’avis de droit stipule également qu’il y a une atteinte à la liberté de mouvement lorsqu’une interdiction est formelle mais également «lorsque l’on fait savoir d’une autre façon aux requérants d’asile que leur présence n’est pas souhaitée en certains lieux».
La réponse est tout aussi claire quant à la réglementation des horaires de sortie dans les centres d’hébergement gérés par la Confédération. Les spécialistes de l’université de Zurich reconnaissent qu’elles sont fondées sur une base légale mais estiment qu’elles «vont au-delà de ce qui est nécessaire au niveau personnel et temporel et sont, au bout du compte, incompatible avec la Constitution». Enfin, si les autorités ont recours à des tiers pour appliquer leurs mesures, comme c’est souvent le cas pour les centres d’hébergement fédéraux, elles restent responsables juridiquement.
Couvre-feux trop stricts
Sur la base de ces constations, la Commission fédérale contre le racisme a émis une série de recommandations. Elle suggère notamment aux autorités cantonales «de ne pas prononcer d’assignations et d’interdictions territoriales collectivement contre les requérants d’asile». Si une restriction individuelle est décidée, la CFR rappelle que «les sentiments subjectifs d’insécurité, de harcèlement ou de peur d’autrui ne sont pas des justifications suffisantes». Quant aux couvre-feux et autres horaires imposés des centres d’hébergement, la CFR recommande de «réviser la réglementation des heures de sortie et du refus des autorisations de sortie».
Du côté des associations, les recommandations et l’avis juridique sont accueillis favorablement. Pour Jasmine Caye, présidente du Centre suisse de défense des droits des migrants, il s’agit d’une «petite victoire». La juriste regrette cependant «le caractère indigeste de l’avis de droit», qu’elle juge «inutilement complexe». Et de conclure que «pour que ces recommandations s’appliquent, elles devront être portées politiquement sous peine de les voir rester lettre morte».