Le Courrier | Tests osseux décriés
Les analyses pour déterminer si un requérant est mineur, et peut donc bénéficier d’un encadrement adapté, ne sont ni déontologiques ni fiables, dénoncent médecins et juristes.
Article de Rachad Armanios, publié dans Le Courrier, le 1er juin 2017. Cliquez ici pour lire l’article sur le site du Courrier.
Les médecins ne devraient pas effectuer d’analyse radiologique du poignet pour déterminer si un requérant d’asile est mineur ou non. La Société suisse de pédiatrie (SSP) a publié il y a quelques semaines cette prise de position dans son journal Paediatrica, un article relayé la semaine passée dans le Bulletin des médecins suisses.
En plus de n’être ni scientifiques ni fiables, ces tests osseux enfreignent la déontologie médicale, selon la SSP, rappelant que plusieurs sociétés et académies internationales de pédiatrie ont déjà pris une telle position. En 2016, les Sociétés suisses de radiologie pédiatrique ainsi que d’Endocrinologie et diabétologie pédiatrique s’étaient également érigées contre ces tests. En Suisse, lorsque les autorités ont un doute sur l’âge d’un jeune requérant, elles peuvent demander une analyse radiologique du poignet et de la main afin de vérifier la maturation du squelette. En 2015, plus de 2700 mineurs non accompagnés ont demandé l’asile en Suisse (2000 en 2016) et 1034 ont été soumis à cette analyse, selon un article de Swissinfo.ch. Lequel évoque une estimation du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM): dans environ 40% des cas, les requérants se présentant comme mineurs seraient en fait des adultes et donc enregistrés comme tels.
L’enjeu est de taille. Car le renvoi d’un mineur dans le premier pays d’accueil (selon le système Dublin) est interdit et celui dans le pays d’origine quasiment impossible, selon Laeticia Isoz, juriste à Genève dans l’association de défense des requérants Elisa-Asile. Quant aux adolescents considérés comme majeurs à leur arrivée en Suisse, ils ne bénéficient pas de l’encadrement réservé aux plus jeunes: foyer adapté aux mineurs avec éducateurs, protection par un tuteur et surtout accès à l’école ou à une formation leur permettant de se projeter dans l’avenir.
«Les chances de s’intégrer et de faire preuve de résilience sont beaucoup plus importantes chez un adolescent qui a accès à un encadrement adapté que s’il est livré à lui-même dans un abri PC et déscolarisé», insiste Sarah Depallens, pédiatre spécialiste en médecine de l’adolescent au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), et l’une des auteures de l’article de Paediatrica. Les professionnels de la santé ne doivent donc pas se positionner, car une mauvaise interprétation peut avoir de très lourdes conséquences, ajoute-t-elle.
La méthode n’est pas fiable
D’autant que la méthode ne permet aucune certitude. La croissance osseuse et la présence de cartilage de croissance sont analysées sur la base de l’Atlas de Greulich et Pyle, réalisé à partir d’un échantillon d’enfants blancs et en bonne santé aux Etats-Unis dans les années 1940. La méthode ne tient compte ni du contexte ethnique et socio-économique des requérants d’asile, ni des études récentes qui démontrent un avancement du début de la puberté chez les adolescents. Surtout, cette méthode a été conçue pour évaluer l’âge biologique – quel degré de maturité a été atteint – et non chronologique – la date de naissance. Enfin, ces examens restent très approximatifs, surtout pour les 15-20 ans. Un jeune homme de 17 ans en bonne santé peut avoir un âge osseux qui varie entre 15 et 19 ans.
Non seulement la déontologie médicale interdit le recours à des méthodes discutables, mais elle exige aussi que les examens répondent à un besoin thérapeutique, insiste la Société suisse de pédiatrie. Dans ces conditions, et même si la dose est faible, pas question d’irradier des requérants avec des rayons ionisants potentiellement cancérigènes.
Un faisceau d’indices
Par ailleurs, le SEM se fonde parfois aussi sur des examens génitaux pour aider à déterminer l’âge. «Ce sont des examens cliniques courants pour identifier le stade de puberté pour les 10-16 ans. Mais il faut d’abord établir un climat de confiance, expliquer la démarche au patient. Y recourir pour établir une date de naissance n’a à nouveau aucune valeur scientifique», critique Mme Depallens. Ces examens sont uniquement visuels, précise le SEM. Il nous répond que, dans le centre d’enregistrement de Zurich, une méthode dite «des trois piliers» est testée depuis 2014. En plus de l’âge osseux, l’âge dentaire et le développement physique sont pris en considération. Trois cents personnes ont été testées sur cette base. Pour une moitié, les rapports médicaux ont évalué comme «élevée à presque certaine» la probabilité d’un âge supérieur à 18 ans.
Reste que le Conseil fédéral lui-même a reconnu que les tests osseux n’apportaient pas une preuve fiable de l’âge. Il les a défendus malgré tout car ils font partie d’un «faisceau d’indices» permettant d’apprécier la vraisemblance de la minorité alléguée par un requérant. Ces tests sont un indice «faible» qui est mis en balance avec d’autres, considérés comme «forts». Soit la production de documents d’identités authentiques et les déclarations du requérant.
Beaucoup ne connaissent pas leur âge
Problème: de nombreux jeunes n’ont pas de papiers ou ceux-ci, émis dans des pays où la corruption règne, ne sont pas reconnus par l’administration fédérale. Beaucoup ne connaissent pas précisément leur âge. «En Somalie, seules 10% des naissances sont enregistrées», remarque Mme Depallens. Pourtant, lors des auditions, c’est au requérant de démontrer qu’il est bien mineur, comme le confirme le SEM. «Le fardeau de la preuve devrait peser sur l’administration», critique Laeticia Isoz. Mme Depallens, elle, juge «contraires aux droits des enfants» les auditions effectuées à l’arrivée. Car, trop souvent, ces jeunes ne sont épaulés par aucun adulte – juriste ou curateur. «De façon parfois subjective, un fonctionnaire établit une date de naissance qu’il est ensuite très difficile de changer!» Selon Mme Isoz, les tests osseux sont en réalité souvent un élément déterminant pour les autorités (lire ci-dessous).
Dès lors, comment établir l’âge d’un jeune réfugié? «Au lieu de chercher une réponse impossible, ces jeunes devraient être évalués par une équipe pluridisciplinaire pour analyser leur développement et leur statut psycho-cognitif, afin de leur offrir une prise en charge tenant compte de leurs vulnérabilités», répond Mme Depallens. Sur le plan du développement, le cap des 18 ans ne représente pas la fin d’un processus, le cerveau termine sa maturité vers 25 ans, explique-t-elle. «Les 18-22 ans devraient bénéficier d’une transition avec un encadrement adapté favorisant leur autonomisation. Vu sous cet angle, savoir s’ils ont 17,5 ou 18,5 ans fait peu de sens. Ils ont besoin d’être protégés, formés et encadrés pour réussir leur intégration en Suisse, en Europe ou là où le vent les portera dans le futur.»
Imran, 16 ans sur sa carte d’identité, 19 selon l’analyse osseuse
Selon Elisa-Asile et le Centre social protestant (CSP) à Genève, le Tribunal administratif fédéral (TAF) donne régulièrement tort à l’administration à propos de tests osseux. Il y a six mois, après un recours au TAF, le Secrétariat aux migrations (SEM) a ainsi fini par admettre qu’Imran était mineur et lui a reconnu sa qualité de réfugié. Cet Afghan est arrivé en 2016 en Suisse à l’âge de 16 ans, fuyant son pays en raison des menaces que subissait son père de la part des talibans et par crainte d’être lui-même persécuté. Il a été considéré comme majeur après un test osseux indiquant un âge de 19 ans, selon l’association Elisa-Asile qui l’a défendu avec succès. Et ce malgré ses déclarations et une «taskera» (carte d’identité afghane) indiquant le contraire.
Placé à Genève dans un abri de protection civile, avec environ une vingtaine d’hommes, puis dans une chambre avec trois autres personnes, il souffre alors d’insomnies et présente un syndrome de stress post-traumatique ainsi qu’un trouble dépressif majeur. Il n’a pas non plus accès à l’école. Imran supporte mal ces conditions de vie. Le SEM lui refuse l’asile, retenant qu’Imran n’a, en Afghanistan, pas personnellement vécu de persécutions. Un recours est déposé puis admis par le TAF, qui invite le SEM à se positionner à nouveau. Même si l’Hospice général a accepté de placer l’adolescent dans un foyer pour mineurs suite au recours, Imran aura vécu plusieurs mois dans des conditions ne répondant ni à sa minorité ni à son état de santé, déplore Elisa-Asile.
Une incidence sur la procédure
Les réfugiés sont-ils tentés de se faire passer pour des mineurs afin d’être mieux protégés? «Le jeune éduqué saura jongler sans problèmes avec les dates et les âges, calculer, trouver la réponse attendue, là où l’analphabète n’y arrivera pas», selon Rozenn Le Berre, une éducatrice ayant travaillé dix-huit mois pour une administration française chargée de l’audition de jeunes migrants (1). Chargé d’information au CSP Genève sur les questions d’asile, Aldo Brina cite, lui, un arrêt du TAF montrant qu’un mineur a prétendu être majeur pendant son voyage pour ne pas risquer d’être séparé de son demi-frère plus âgé dans des structures d’accueil temporaires italiennes. Selon lui, beaucoup n’ont simplement pas conscience que l’âge a une incidence sur la procédure.
Il cite également le cas d’une Nigériane victime de traite humaine, tranché en 2015. Cette fois, c’est elle qui affirme être majeure, alors que la personne chargée de l’auditionner en doute, car elle a l’air plus jeune que ce qu’elle prétend. Mais la requérante est affirmative. Tombe ensuite une décision de renvoi vers l’Italie, premier pays d’enregistrement. Le TAF cassera cette décision, indiquant que le SEM «ne pouvait pas se contenter d’ignorer les indices en faveur de la minorité de l’intéressée, et ce malgré les déclarations contradictoires de la recourante à ce sujet». L’adolescente, dans son recours, a dit qu’elle avait en réalité 17 ans. L’âge exact n’est pas considéré comme une donnée importante dans son pays, ce n’est qu’une fois en Suisse, après avoir contacté son frère et sa mère, qu’elle se serait rendu compte de son erreur. RA
Note:
(1) La chronique de Rozenn Le Berre «Comment vous faites pour savoir l’âge du jeune?» parues dans les pages du Courrier, le 10 août 2016.