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Notre regard

Quand Helvétie protége(ait) ses enfants

C’est @PasseSimpleCH qui me fait découvrir sur twitter, ce matin, le motif d’un tableau du peintre vaudois Eugène Burnard, que je ne connaissais pas. Il en a fait une carte postale, vendue à l’occasion de la fête nationale de 1917 au profit de la Croix-Rouge.

Texte de Cristina Del Biaggio

L’Helvétie de Burnard est une Helvétie gardienne, qui tient sous son manteau trois enfants dans un geste protecteur. Son regard n’est pas tourné vers les trois enfants, visiblement effrayés, mais vers l’ailleurs. Nul ne sait ce qu’elle est en train de regarder, mais il est possible d’imaginer qu’elle se tourne vers ces pays qui ont conduit ces enfants sur la route de l’exil, pendant la Première Guerre mondiale, et que, à travers son regard, leur dise: « Ces enfants, maintenant sous mes ailes, ne pourront m’être soustraits ». Ici, ils ont trouvé refuge, ici, ils grandiront.

Aujourd’hui, 100 ans après le portrait de Burnard, Helvétie continue de regarder ailleurs. Mais ses bras n’enveloppent plus les enfants venus lui demander une protection. Sans vergogne, elle ouvre le manteau et les expulse de son pays. C’est aujourd’hui aussi que je découvre, non seulement l’illustration de Burnard, mais aussi la nouvelle de l’expulsion musclée d’une partie d’une famille afghane venue en Suisse demander l’asile. Vol spécial vers la Norvège pour les membres de la famille que la police vaudoise, arrivée en force les chercher, a trouvé dans le foyer dans lequel ils vivaient. Seuls le père et trois enfants de 3, 11 et 13 ans ont été mis sur ce vol vers le Nord. La mère et le fils aîné de 17 ans, ne se trouvant pas sur place, n’ont pas été embarqués. En dépit du principe de la préservation de l’unité familiale, inscrit notamment dans l’art. 44 de la loi sur l’asile.

Le Collectif R, qui a dénoncé publiquement le renvoi, ne dit pas pourquoi la famille Hassani s’opposait à son renvoi. Mais qui travaille dans le domaine de l’asile comprend vite le danger. Malgré l’attentat meurtrier qui a eu lieu il y a quelques jours à Kabul, malgré que dans le premier trimestre 2017, la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan, ou MANUA, ait enregistré 2181 victimes du conflit afghan (715 décès et 1466 blessés), la majorité des pays européens continue à considérer l’Afghanistan un pays sûr, vers lequel renvoyer des ressortissants déboutés de l’asile. La Norvège compte parmi les pays les plus assidus dans l’accomplissement de cette tâche. C’est donc probablement par peur, justifiée, d’être renvoyée dans un pays meurtri par la guerre, que la famille Hassani s’est opposée à un renvoi en Norvège. Comment lui en vouloir?

A l’approche de l’été, et à notre fête nationale, une question me tourmente aujourd’hui: Que s’est-il passé pour que 100 ans après, mes concitoyens et concitoyennes voient dans cette Helvétie non pas une mère protectrice, mais une figure qui divise les familles et les expulsent vers le danger?