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Notre regard

Transferts Dublin et relocalisation | Le mythe de la Suisse solidaire

«Au bout du compte, la poursuite du développement du système Dublin servira les intérêts de tous les Etats Dublin.» Telle est la conclusion du Conseil fédéral dans un rapport rendu public en mai 2017 [1]. Tous les Etats Dublin? Comme le montre notre carte réalisée sur la base des données des transferts Dublin effectués en 2016, la Suisse est la première bénéficiaire du système. Ce qui ne l’empêche pas de soigner son image de Suisse solidaire et investie auprès de l’Italie et de la Grèce, à coups de visites et de déclarations. Or les chiffres parlent d’eux-mêmes. Tout en incitant les Etats européens à «soulager» les pays du Sud de l’Europe par le biais du fameux «programme de relocalisation», la contrée d’Henri Dunant y charge le bateau de transferts Dublin.

Carte des transferts Dublin effectués depuis la Suisse et vers la Suisse en 2016 et des relocalisations depuis la Grèce et l’Italie, Agnès Stienne, collaboration Cristina Del Biaggio, Vivre Ensemble, 2017. Traduction en italien de la carte, ici.

La carte est aussi disponible en italien sur visionscarto.net. Cliquez ici pour consulter la carte en italien.

En 2016, la Suisse a procédé à 3750 transferts Dublin vers d’autres Etats de l’Union européenne, en tête desquels l’Italie (1523) et l’Allemagne (1313). Parallèlement, 469 personnes ont été transférées en Suisse en application du Règlement Dublin (voir tableau 1).

Le rapport produit par le Asylum information database (AIDA) )[2] (tableau ci-dessous), montre à quel point la Suisse profite de Dublin, en termes de transferts nets.

Les cas de la Grèce et de l’Italie

Parallèlement, les autorités s’efforcent de soigner le mythe de la «tradition humanitaire» helvétique. «La Suisse s’est toujours montrée prête à s’engager de manière solidaire», affirmait la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga en octobre 2016 [3], appelant les Etats européens à faire de même et à soulager l’Italie et la Grèce. Elle faisait référence au programme de relocalisation visant à une répartition coordonnée de 106’000 réfugiés depuis ces deux pays [4]. Un programme ardemment soutenu par Berne et on comprend pourquoi: pour être relocalisé, il faut avoir été préalablement enregistré en Italie ou en Grèce, via la base de données européenne Eurodac. Ce qui, en l’espèce, garantit ensuite à la Suisse d’exiger à l’Italie une prise en charge des demandeurs d’asile estampillés «Dublin» [5]. La boucle est bouclée et les intérêts de la Suisse bien gardés.

Dans le cadre de ce programme, donc, la Suisse s’engageait en septembre 2015 à relocaliser 1500 personnes depuis la Grèce ou l’Italie. Une offre «solidaire» en apparence: nous le rappelions à l’époque, ce contingent était déduit des 3000 réfugiés qu’elle avait promis de réinstaller depuis la Turquie quelques mois plus tôt… [6]

Dans les faits, comme le montre la carte réalisée pour Vivre Ensemble, la Suisse a effectivement relocalisé 368 personnes en 2016. Ce qui porte à un total de 1029 personnes relocalisées depuis la Grèce (344) et l’Italie (685) entre septembre 2015 et mai 2017 [7]. Restent donc 500 personnes à relocaliser en Suisse, alors que 15’000 personnes du programme européen croupissent en attente d’être transférées. [8]

Soulager les pays qui supportent le plus lourd fardeau?

1000 personnes relocalisées. Ramené au nombre de transferts Dublin vers ces deux pays pour la même période (septembre 2015 à mai 2017), le calcul est vite fait: la Suisse a renvoyé 2420 personnes. L’immense majorité vers l’Italie puisque les transferts vers la Grèce sont suspendus (17 transferts y ont tout de même été effectués). [9]

En comparaison, les quelque 89 personnes admises pour une procédure en Suisse en application de Dublin (75 depuis la Grèce, 14 depuis l’Italie) ne pèsent pas lourd dans la balance.

Ainsi, au jeu de l’enfumage, la Suisse se montre «exemplaire». Et la bouche en cœur, pratique la méthode Coué : «Au bout du compte, la poursuite du développement du système Dublin servira les intérêts de tous les Etats Dublin». Ceux de la Suisse à coup sûr…

Sophie Malka


Notes:

[1] Conseil fédéral, «Nouvelle conception de Schengen/Dublin, coordination européenne et partage des charges», Rapport du Conseil fédéral en réponse au postulat 15.3242 Pfister Gerhard du 19.03.2015, Berne, mai 2017.

[2] AIDA, « The Dublin system in 2016 Key figures from selected European countries », mars 2017.

[3] ATS, Les ministres européens font le point sur la crise migratoire 13 octobre 2016

[4] La relocalisation de 160’000 réfugiés avaient initialement été annoncée. Subrepticement, leur nombre a été réduit. Voir Cristina Del Biaggio, coll. Camille Grandjean-Jornod, «Où sont passés les 54’000 relocalisés de Hongrie?», Vivre Ensemble, n° 161, février 2017.

[5] En 2015, Berne reprochait à l’Italie de ne pas systématiquement relever les empreintes digitales des demandeurs d’asile arrivant sur la péninsule. Elle se félicite désormais des progrès accomplis. Conseil fédéral, «Simonetta Sommaruga en Italie pour une visite de travail», 25 novembre 2016.

[6] Cristina Del Biaggio, « Combien de réfugiés syriens la Suisse s’apprête-t-elle à accueillir?« , décryptage du Comptoir des médias, 22 septembre 2015.

[7] European Commission, «Relocation and Resettlement – State of Play», 14 juin 2017

[8] AEDH, « Relocalisation: des annonces à la réalité, une comptabilité en trompe-l’œil« , 29 mai 2017.

[9] En raison des défaillances systémiques du pays à prendre en charge dans des conditions dignes les réfugiés potentiels et à traiter leurs demandes d’asile. Dans ces cas, la Suisse est tenue d’appliquer la clause de souveraineté. Sur les 4000 applications de la clause de souveraineté en 2016, 3200 cas sont
 des cas «Dublin Grèce» dixit le Conseil fédéral dans une réponse à une question parlementaire de Lisa Mazzone (16.5238).