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Notre regard

Aide d’urgence | Le défi des soins aux déboutés de l’asile. Soigner la personne et sa dignité

L’aide psychologique aux personnes migrantes repose à la fois sur la nécessité de soins, mais également de réinscription dans un monde de liens et de sens. La guerre, l’exil, la migration par les pertes et les changements qu’ils occasionnent affectent le bien-être des personnes qui doivent se reconstruire et donner un sens à leur existence.

Jean-Claude Métraux, pédopsychiatre et cofondateur d’Appartenances, parle d’un triple deuil à surmonter: deuil de Soi (perte de celui que j’étais, que je voulais devenir), deuil de Toi (perte de mon environnement objets et personnes), deuil de sens (perte de mes appartenances). Si les ressources propres à l’individu et à son entourage sont essentielles à l’accomplissement de cette tâche, l’environnement social l’est également. Ainsi, les durcissements successifs de la loi sur l’asile dont la finalité est de rendre la Suisse moins attractive, de même que le discours ambiant à l’égard des demandeurs d’asile qui en découle, ont un impact énorme sur les possibilités de surmonter ces deuils. Précarité et exclusion sociale deviennent trop souvent les conséquences d’une telle politique. L’équilibre psychique déjà en pleine reconstruction est alors malheureusement très durement touché.

L’impact d’une décision négative

Jean Furtos, spécialiste des effets de la précarité sur le psychisme, décrit une souffrance dont l’origine est sociale et qui touche les personnes mises dans la marge. Celles qui se trouvent un jour déboutées de l’asile subissent une péjoration de la situation déjà très difficile qu’elles vivaient jusque-là. Il leur est ainsi signifié de quitter le droit d’espérer obtenir un statut légal, une sécurité et un avenir. On pourrait dire, et c’est souvent perçu de cette façon par les personnes qui le vivent, qu’il s’agit d’un modèle qui produit de la désaffiliation sociale. Le fait d’être mis hors du jeu social entraîne le sentiment que le droit d’exister est retiré. Concrètement, toute une série de portes se ferment: le droit de travailler, l’accès à certains cours de langue, à une aide sociale acceptable (l’aide d’urgence est en dessous du minimum vital). Pour renforcer encore un peu plus le sentiment de mal-être, des obligations de se présenter au contrôle de la population passent à  1 fois par mois, voire à quinzaine ou même tous les jours pendant certaines périodes, entraînant une situation d’angoisse permanente.

Recréer du lien

En tant que soignants, nous nous retrouvons face à des personnes qui, en plus des traumatismes et deuils à gérer, sont dans une forme de souffrance liée à leur exclusion de la communauté humaine. La violence symbolique et réelle de ces mesures amène à des incertitudes et à la perte du sentiment de sécurité. Les déboutés présentent alors souvent une symptomatologie exacerbée qui est la marque de cette souffrance due à la rupture d’une forme de lien et d’existence sociale qui leur est déniée, mais également à la résurgence de traumas plus ou moins contenus jusque-là. Ainsi, les plaintes exprimées, souvent de manière paradoxale, disent leurs besoins d’être rassurés, de se sentir reliés aux autres et ré-inclus dans une forme d’humanité. Les sentiments de colère,de panique, de désespoir, de renfermement, de honte sont les témoins d’une forme d’impuissance acquise (« à force d’être rejeté,  je finis par penser que je ne vaux rien, que je ne suis rien ») qui entraîne une résignation profonde ou une révolte.

Le défi qui s’offre à nous est de trouver le moyen d’aller à  la rencontre de ces personnes. Par notre statut professionnel, notre place dans la sociéte, nous nous trouvons dans le « camp » de ceux qui édictent les lois et par là de ceux qui agressent. Il est donc nécessaire de s’en distancier, mais ce n’est souvent pas suffisant. Encore faut-il montrer et faire preuve d’une sincérité perceptible par l’autre de notre sentiment de reconnaissance de leurs difficultés, de ce qu’ils traversent et de la souffrance que cela engendre pour eux.

Penser la rencontre

Être acceptés par nos patients est indispensable, mais les obstacles à relever sont multiples et peuvent durer ou se représenter tout au long du suivi.Il est donc important que le dispositif de soins pense ces rencontres, en plus des soins qui seront déployés (Bastin et al. 2016). Dans la continuité de travaux comme ceux de Françoise Sironi, spécialiste de l’aide aux survivants de la torture, nous avons ainsi choisi de considérer les personnes que nous rencontrons comme les expertes de leur existence,porteuses de savoirs, de ressources, de richesses, mais aussi de besoins décrits plus haut. Face aux sentiments d’impuissance et d’injustice que suscitent ces situations chez les patients et les soignants, la proposition de réhumaniser la rencontre permet de prendre le contre-pied à la violence de la situation administrative. C’est aussi le premier et indispensable pas pour imaginer la possibilité de traverser cette épreuve qu’est l’annonce et l’attente d’un renvoi sans date certaine d’exécution.

PHILIPPE KLEIN
Psychologue, Association Appartenances-Genève

> Pierre Bastin et al., « Entre asile et renvoi, la femme qui ne tenait plus debout », Psychothérapies 2016/3, p.173-178.
> Jean Furtos et coll., Le syndrome d’auto-exclusion, in Les cliniques de la précarité, Contexte social, psychopathologie et dispositifs, Elsevier, Masson, 2008, p.118-133.
> Jean-Claude Métraux, La migration comme métaphore, Paris, La Dispute, 2011.
> Françoise Sironi, Psychopathologie des violences collectives. Essai de psychologie geépolitique clinique, Paris, Odile Jacob, 2007.

L’association Appartenances-Genève, active dans les soins et la prévention auprès des personnes et familles migrantes, est à la recherche de médecin psychiatre afin de renforcer son équipe soignante.

Annonce complète sur http://www.appartenances-ge.ch /a-propos/emplois/
Contact: rh@appartenances-ge.ch ou 022 781 02 05

Entre asile et renvoi, la femme qui ne tenait plus debout*

L’impact d’une décision de renvoi Dublin (NEM Dublin) sur l’état psychique et physique d’une dame ayant dû fuir l’Érythrée et l’approche adoptée quant à sa prise en charge médicale est au cœur de l’article «Entre asile et renvoi, la femme qui ne tenait plus debout».

Pierre Bastin, Ariel Eytan et Javier Bartolomei y décrivent comment la décision des autorités déclenche une véritable chute physique chez cette patiente. Une chute qui traduit son «effondrement psychique face à quelque chose de l’ordre de l’irreprésentable». Pour elle, un renvoi vers la France est aussi violent que le serait un renvoi vers son pays d’origine. Il symbolise « la non-reconnaissance, par une figure sensée  être protectrice, du réel danger représente». L’état dépressif sévère est diagnostiqué avec un risque de suicide. Menacés dans son pays d’origine, la femme a été agressée, séquestrée  et violée par ses employeurs: elle parvient à leur échapper, lors de vacances en France et rejoint un proche en Suisse. Elle n’y est pas identifiée à temps comme victime de traite des femmes, selon sa mandataire. Pour répondre à cette détresse et à ce «cri du corps», l’équipe soignante conviendra de recréer autour de la patiente un «espace» rassurant, réconfortant, y compris physique. «Nous convenons de doucement la relever, de faire quelques pas avec elle, en l’entourant et en évoquant le groupe de soignants que nous sommes, qui peut pour l’instant la porter». Les entretiens visent aussi à lui permettre de rassembler ses forces et ressources. Une véritable amélioration ne sera perceptible qu’une fois éloignée la perspective du renvoi.

SOPHIE MALKA

* Pierre Bastin et al., «Entre asile et renvoi, la femme qui ne tenait plus debout», Psychothérapies 2016/3.