Restructuration | Société civile dans les centres fédéraux : Un regard critique indispensable
Début mars, se déroulait à Olten la 4e rencontre de la plateforme nationale « Société civile dans les centres fédéraux d’asile » (SCCFA). Créée en 2015, celle-ci s’est donné pour objectifs d’assurer la présence de la société civile dans les centres (CFA) et de soutenir les actions des différents groupes bénévoles constitués autour de ceux-ci. Retour sur cette rencontre.
Une cinquantaine de personnes est venue de toute la Suisse pour discuter de l’engagement civique dans les CFA, quelques jours seulement après l’entrée en vigueur de la restructuration. Intitulée « un aperçu derrière les barrières », la rencontre propose une discussion sur les conditions de l’engagement bénévole dans ce nouveau système et un éclairage critique sur les premiers éléments de mise en œuvre de la révision.
Laura Tommila, directrice de la plate- forme, revient sur les conditions légales de l’accès aux centres, fixées par ordonnance1. Ceux-ci « ne sont, en principe, pas ouverts au public », mais le « SEM peut, sur demande, autoriser d’autres personnes, notamment les représentant·e·s d’œuvre d’entraide, à [y] accéder » (Art. 3). Les personnes qui logent dans les centres peuvent en sortir « du lundi au dimanche de 9 heures à 17 heures », mais «le SEM peut convenir des heures de sortie plus longues avec les communes qui abritent les centres » (art.17). Enfin,concernant le droit de visite dans les CFA, « les requérants d’asile et les personnes à protéger peuvent, avec l’accord du personnel, recevoir des visites. Les visiteurs ne sont admis que s’ils parviennent à rendre vraisemblable l’existence de liens avec le requérant d’asile ou la personne à protéger ».
Autant dire que les conditions sont strictes, mais le cadre légal offre quelques possibilités. Présent dans chaque article, le verbe « pouvoir » ouvre la porte à une présence de la société civile plus importante que ce qui se faisait jusque-là dans les centres de procédure. Au cours de la journée, les différents échanges montrent néanmoins que ce possible reste précaire. En deçà du droit, les conditions d’accès restent étroitement dépendantes d’une multitude d’acteurs – SEM, communes, exploitants du centre, agents de sécurité, autorités communales. Ce qui entraîne une grande disparité de pratiques, aussi bien pour les personnes demandeuses d’asile que pour les bénévoles, contraint·e·s de négocier leur accès au cas par cas pour la mise en place de leurs projets.
Plus tard dans la journée, Droit de rester Neuchâtel propose un exemple concret de ce qui peut être entrepris et revient sur ses actions autour du CFA de Boudry, projet pilote en Suisse romande depuis avril 2018. Au moyen d’une lettre ouverte2, de contacts réguliers avec les médias et différentes personnes-clés du canton et d’un travail de plaidoyer auprès des autorités fédérales, cantonales et communales, le collectif a obtenu plusieurs améliorations des conditions de vie des personnes qui logent dans le centre. Entre autres, l’élargissement des heures de sortie, l’arrêt de visites intempestives des Securitas dans les chambres, ou encore un accès à de la nourriture entre les repas. D’autres revendications sont en cours, telles que l’arrêt de fouilles systématiques, l’accès à un service médical adéquat, des décisions écrites lors des sanctions prononcées par le personnel d’encadrement (encadré) la création d’un espace protégé pour femmes seules et enfants ou encore une scolarisation hors des murs du centre.
L’exemple neuchâtelois souligne qu’au- delà des activités plus que nécessaires de rencontre et d’échange proposées par les groupes bénévoles aux personnes qui viennent d’arriver, ceux-ci peuvent être aussi témoins et relais de l’information. Observer ce qui se passe dans ces espaces grillagés et contrôlés, se faire l’écho des revendications des personnes qui y vivent et dénoncer les éventuelles pratiques abusives du quotidien, tel est l’enjeu de l’accès de la société civile au CFA. Dans un contexte de cloisonnement des personnes dans de grands centres et de limitation des droits et des libertés, la présence de la société civile est indispensable pour garantir une transparence de l’action étatique.
RAPHAËL REY
Observatoire romand du droit d’asile et des étrangers (ODAE romand)
[1] Ordonnance du DFJP relative à l’exploitation des centres de la Confédération et des logements dans les aéroports du 4 décembre 2018 (État le 1er mars 2019) – RS 142.311.23
[2] Droit de rester NE, « Centre pour requérants d’asile de Perreux : des problèmes à résoudre », juillet 2018.
SANCTIONS DANS LES CENTRES FÉDÉRAUX
DÉNI DE JUSTICE RECONNU PAR LE TAF
Le Tribunal administratif fédéral (TAF) estime que le SEM s’est rendu coupable de déni de justice pour avoir refusé de rendre une décision écrite suite à plusieurs sanctions émises à l’encontre de personnes hébergées au centre fédéral de Boudry – interdiction de sortie, privation d’argent de poche – et le recours à des fouilles corporelles systématiques. Leur mandataire avait demandé au Secrétariat d’État aux migrations (SEM) des décisions formelles justifiant ces sanctions afin de pouvoir faire recours. Le SEM s’y est refusé, se justifiant par le comportement fautif des requérants et la législation. La mandataire a donc déposé un recours au TAF pour déni de justice formel. Et celui-ci lui a donné raison.
Le SEM « aurait dû rendre une décision formelle sujette à recours », estiment les juges. En effet, « il convient de permettre aux requérants d’asile qui estiment leurs droits fonda- mentaux lésés de faire valoir leurs griefs à l’encontre d’actes étatiques qui viennent de se produire (…) ». Le TAF n’a pu en revanche se prononcer sur le fond du problème, soit la justification des sanctions, en raison précisément du manque de décision formelle du SEM. Le Tribunal relève au passage que la nouvelle législation, en l’occurrence l’ordonnance du DFJP, « tend à aller vers la consécration d’un droit à obtenir une décision formelle susceptible de recours ». «Une évolution vers un renforcement de l’accès au juge» qui reste cependant à mettre en œuvre. En effet, de nombreuses sanctions peuvent encore être notifiées oralement. Et c’est aux victimes des sanctions -ou à leur mandataire- de demander au cas par cas une décision écrite. Pas sûr que les requérant-e-s d’asile se sentent en droit de le faire. Et pas sûr que même en possession d’une décision écrite, les représentants juridiques mandatés par le SEM se fixent comme principe ou aient le temps de systématiquement faire recours contre les sanctions.
Source: ODAE romand / Arrêt F-4132/2017 du 9 janvier 2019
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