Magazine Amnesty | Un engagement sans retour
Se porter volontaire, ce n’est pas seulement donner de son temps, c’est aussi voir sa vie et ses valeurs complètement transformées. Le documentaire Volunteer s’intéresse à ces Suiss·esse·s parti·e·s en Grèce pour aider les réfugié·e·s et, surtout, aux conséquences de leur engagement. Le Magazine Amnesty s’est entretenu avec l’un des deux réalisateurs, Lorenz Nufer.
Grâce à l’aimable autorisation du Magazine Amnesty, n°103, nous reproduisons ci-dessous l’article d’Émilie Mathys intitulé “Interview culturelle: un engagement sans retour” et publié en décembre 2020.
Un engagement sans retour
Se porter volontaire, ce n’est pas seulement donner de son temps, c’est aussi voir sa vie et ses valeurs complètement transformées. Volunteer s’intéresse à ces Suiss·esse·s parti·e·s en Grèce pour aider les réfugié·e·s et, surtout, aux conséquences de leur engagement. Entretien avec l’un des deux réalisateurs, Lorenz Nufer. Propos recueillis par Émilie Mathys.
Par Emilie Mathys – Article paru dans le magazine AMNESTY n°103, décembre 2020
> AMNESTY Comment en êtes-vous venu·e·s à faire un film sur la crise migratoire du point de vue, cette fois, des bénévoles ?
< Lorenz Nufer : L’un des protagonistes, Michael Räber, se trouve être mon cousin. Son engagement en Grèce a été très médiatisé ici en Suisse et très discuté au sein de notre famille, ce qui m’a naturellement amené à me positionner sur cette problématique. J’ai alors décidé de faire ce que je fais le mieux : aborder un sujet à travers ma position d’artiste. Je suis parti plusieurs fois en Grèce, Serbie, Hongrie et Turquie comme volontaire, dans le but de mieux comprendre cette expérience et trouver des protagonistes. Anna Thommen, l’autre réalisatrice, elle, est restée en Suisse, ce qui a permis au film de garder une certaine distance avec ce sujet très prenant.
Lorsque le documentaire a été réalisé, en 2015-2016, peu de médias rendaient compte de la situation sur place, il était crucial que quelqu’un le fasse. Et le matériel existait déjà, beaucoup de séquences ont été filmées au smartphone par des bénévoles et migrant·e·s.
> La focale est mise sur le retour et l’impact d’une telle expérience plus que sur les raisons qui font qu’un jour on décide de s’engager. Pourquoi ?
< Ce que nous avons observé avec les gens que nous avons suivis, c’est que la décision de partir en Grèce ou ailleurs est rapide, impulsive. Personne ne sait ce que cela va signifier pour le restant de sa vie. Tous voulaient y aller deux semaines, mais tous sont finalement restés plusieurs années, physiquement, mais aussi émotionnellement. Il y a toujours ce sentiment de culpabilité qui nous dit qu’on n’en fait jamais assez. Que faire, repartir ou rester en Suisse ? C’est très compliqué de s’en détacher, mais à un moment, il faut passer le flambeau.
> L’un des aspects dépeints dans le documentaire est la somme des responsabilités que prennent les bénévoles amateurs, qui normalement incombent à des organisations ou aux gouvernements.
< Mon cousin dit à un moment dans le film « quelqu’un doit prendre une décision ». En effet, les bénévoles ne sont pas formés, mais ils avaient l’espoir qu’après 2-3 semaines les organisations prendraient le relais et qu’ils étaient juste là pour combler le fossé. Mais elles ne l’ont pas fait. Les bénévoles apprennent sur le terrain et acquièrent un véritable « savoir-faire » qui va du débarquement des bateaux à la gestion de la nourriture dans les camps (distribuer les sacs de nuit pour éviter les émeutes), tout en impliquant également les réfugiés eux-mêmes. Sur le terrain, ils deviennent de vrais spécialistes avec des connaissances qui malheureusement se perdent. Pourquoi les grandes organisations ne les approchent-elles pas pour s’enrichir de leur expertise ?
> On a l’impression que tant que les policitien·ne·s ne feront rien, en Grèce comme en Suisse, la situation restera sans espoir…
< Aujourd’hui, la situation pour les réfugiés est encore pire qu’à l’époque du tournage. L’Union européenne est déchirée entre des projets de réformes et des gouvernements qui pratiquent la politique de l’autruche. On ne peut pas ignorer la migration et les réfugiés. Le monde s’est construit sur les mouvements de personnes, et tant qu’il y aura des inégalités persistantes, cela ne disparaîtra pas. La vraie question est : comment intégrer les migrants ? Ils peuvent apporter énormément à nos sociétés alors pourquoi les laisser en attente pendant des années ?
> Quel était l’objectif de ce documentaire ? Faire naître des vocations ?
< Nous voulions avant tout que les spectateurs soient touchés et inspirés par les histoires que nous racontons, confronter le public à de vraies questions sociétales. Nous voulions mettre en lumière comment notre société fait face, ou non, à ce défi que représente la migration. Il est aujourd’hui beaucoup plus difficile de se rendre sur place qu’il y a cinq ans ; les gouvernements rendent la vie aux bénévoles et aux organisations très difficiles, mais il y a beaucoup de choses à faire ici, en Suisse. C’est parfois difficile de se mettre en action dans un monde qui nous semble absurde ou dans lequel on a l’impression qu’on ne peut rien changer. Mais ne pensons pas trop et soyons dans l’action.
Volunteer, Anna Thommen et Lorenz Nufer, 2019, 94 min, visible sur myfilm.ch, cinefile.ch et filmingo.ch